Lovecraft par Tanabe, l’horreur en manga

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Le pari était osé mais le résultat ne déçoit pas: le mangaka Gou Tanabe illustre en noir et blanc l’univers occulte et torturé de H.P. Lovecraft à travers une adaptation de 4 nouvelles qui ont profondément influencé le genre fantastique, et par extension toute la pop culture horrifique.

Dans un registre très différent de celui de Révolution, l’adaptation des nouvelles de H.P. Lovecraft en manga seinen par Gou Tanabe a également été primée au festival d’Angoulême 2020 en tant que meilleure série. Un mariage aussi étonnant que frais de récits bientôt vieux d’un siècle. Si le nom de l’auteur ne vous est pas familier, sachez que vous baignez en permanence dans son univers qui a influencé bon nombre de créations fantastiques du XXe et XXIe siècle, tant du côté de la littérature et du cinéma que de l’industrie ludique. Pour citer deux exemples emblématiques, les Dieux très anciens dans World of Warcraft ou les Eldrazis dans le jeu de cartes Magic: the Gathering sont directement pompés inspirés du mythe des Grands Anciens de l’univers de Lovecraft.

Le contexte de son œuvre

On sent qu’il respirait la joie de vivre

Comme la plupart de ses personnages, ses parents ont sombré dans la folie et la démence avant de mourir. Né aux États-Unis en 1890 à Providence dans le Rhode Island, il mourra en 1937 dans la souffrance et la pauvreté atteint d’un cancer du colon, sans avoir réellement connu le succès de son vivant malgré les publications dans des revues pulp comme Weird Tales.

On lui attribue un courant de pensée : le cosmicisme. L’humanité est un grain de poussière insignifiant dans l’immensité du vide intersidéral. Il suppose qu’il existe nécessairement des formes de vies plus évoluées et beaucoup plus puissantes que notre chétive espèce. L’Homme commet trop souvent le péché d’orgueil par anthropocentrisme. A l’époque de Lovecraft, la connaissance scientifique était encore loin des prouesses techniques d’aujourd’hui. Mais sa mise en garde vaudra pour toujours comme un avertissement d’humilité face à l’Inconnu et l’Autre.

Jugez de la qualité de ces couvertures

L’appel de Cthulhu

Entité bienveillante ?

Sans doute la nouvelle la plus connue de Lovecraft qui commence à esquisser ce qui plus tard sera appelé le Panthéon Noir et le mythe des Grands Anciens. Ces derniers seraient des êtres antédiluviens ayant habité sur notre planète bien avant les formes de vie primitives connues. Ils auraient fondé des cités à leur effigie, des cultes à leur gloire. Ces êtres aussi monstrueux que puissants auraient fini par sombrer dans un sommeil profond duquel certaines sectes occultes tenteraient de les réveiller…

Dans L’Appel de Cthulhu, d’étranges phénomènes se produisent en simultané aux quatre coins du globe. Des artistes ont des visions cauchemardesques d’une cité cyclopéenne et d’un être humanoïde gigantesque, mi-pieuvre mi-dragon, sortant lentement de sa torpeur…Après avoir découvert une étrange idole et mis fin à une cérémonie païenne de sacrifice humain, les enquêteurs croisent les indices et les témoignages pour prendre un bateau en direction d’une île qui ne figure sur aucune carte…

Les Montagnes Hallucinées

Qui veut mourir me suive !

L’inconnu est toujours l’un des composants essentiels et caractéristiques des récits de Lovecraft. De ce que l’on ne connaît pas émerge toutes sortes de fantasmagories. La conquête du continent glacé a fasciné les esprits au tournant du XIXe siècle. Parmi les dernières terres inexplorées pouvant recéler des trésors et des mystères sur notre monde, l’Antarctique fait partie de la sainte trinité des endroits à conquérir avec l’espace et le fond des océans.
Dans Les Montagnes Hallucinées, le récit évoque un thème récurrent : le péché d’hubris de l’Homme qui veut toujours maitriser davantage, accumuler des connaissances et dominer son environnement. Lors d’une expédition de reconnaissance, un téméraire scientifique s’aventure dans des contrées glacées, jusqu’alors encore vierges de toute présence humaine et ce depuis la nuit des temps. Il y découvre des fossiles qui ne ressemblent à rien de connu jusqu’alors. Ivre du succès certain qu’il obtiendra auprès de la communauté scientifique, il pousse les recherches au détriment de la sécurité des membres de l’expédition. Sa soif de connaissance ne sera étanchée qu’au prix de son propre sang…

Dans l’abîme du temps

Que se passe-t-il lorsque l’on ne se souvient pas d’un moment de sa vie ? Cela peut être une simple rêverie, un coma éthylique…ou une période beaucoup plus longue. Est-ce que quelqu’un d’autre peut occuper notre corps et chasser notre esprit ? Cette nouvelle publiée en 1936 vient faire écho aux avancées de la psychologie (parue 3 ans avant la mort de Freud) et de la possibilité qu’un Autre que notre propre conscience, un « Ça », agirait selon sa volonté propre sans nous laisser de souvenir. Ou bien à la façon du Horla de Maupassant, quelque chose d’extérieur à nous pourrait-il prendre possession de notre corps ? C’est ce que semble subir le protagoniste principal, un professeur d’université, qui n’a aucun souvenir des cinq dernières années de sa vie. Après avoir repris possession de son corps et de sa conscience, il décide de passer en revue ce que son autre « lui » a fait. Toutes ces informations que l’Autre a compilées pendant ces années…dans quel but ?

Que peuvent bien archiver ces êtres tripodes ?

La couleur tombée du ciel

Une météorite s’écrase dans un champ tout proche d’une maison habitée par une famille qui cultive la terre. La roche tombée du ciel luit d’une couleur…indescriptible. Elle finit par corrompre assez rapidement son environnement, les plantes, les animaux et même les humains. Cette histoire rappelle que dans l’infiniment grand de l’espace, nous ne sommes qu’une toute petite espèce en sursis au bord d’un immense gouffre d’ignorance et que, du jour au lendemain, toutes nos certitudes et nos repères peuvent être balayés…L’adaptation au cinéma de La Couleur tombée du ciel est sortie en début d’année aux Etats-Unis. Porté par Nicholas Cage entre autre, le film ne rencontre pas un franc succès…

Conclusion

Là où le cinéma échoue, les mangas de Tanabe font mouche. Rendre compte visuellement de l’horreur indicible et indescriptible des nouvelles de Lovecraft n’est pas chose aisée. Les monstruosités sorties de l’imaginaire de l’auteur ne supportent pas bien les effets spéciaux cheap ni la CGI mal maitrisée. S’il y a des parti-pris graphiques concernant le bestiaire, le mangaka manie bien la suggestion à travers des illustrations floues qui peuvent être perçues comme des mirages, laissant planer le doute des personnages quant à la réalité de ce qu’ils croient voir. Quand il ne s’agit pas de dépeindre des créatures fantastiques, l’auteur nous régale avec des visions architecturales escheriennes, des expressions de visages déformés par la folie, l’hébétude ou la malveillance démoniaque.

Tanabe ne subit aucune autre limitation que celle de son imagination. Sa propre folie est le seul frein à dépeindre ce qui, en un seul coup d’oeil dans la réalité, suffirait à entamer la santé mentale des plus vaillants d’entre nous.

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