Baron Noir, une série faussement anti-manichéenne ?

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Depuis trois saisons maintenant, la série Baron Noir remporte avec brio un pari audacieux : ré-enchanter la vie politique française et la rendre passionnante. Mais le thème n’est pas anodin et son traitement réaliste calquée sur l’actualité politique française n’est pas sans conséquence : toute ressemblance avec des personnages réels ne saurait être fortuite.

L’histoire

Philippe Rickwaert, élu de la 13e circonscription du Nord et maire de Dunkerque est un ponte du PS. Il gère les magouilles dans l’ombre (d’où son sobriquet éponyme de la série). Il est finalement trahi par son parti et tombe en disgrâce, devant remonter les échelons du pouvoir un à un pour arriver à ses fins. Issu d’un milieu ouvrier, il se bat pour défendre ses idéaux ainsi que sa peau dans le panier de crabes qu’est le monde politique des élus, des manipulations et des jeux de pouvoirs Ce personnage autour de qui toute l’histoire gravite garde une certaine âme pure : la fin justifie les moyens, pour réunifier la gauche et donner au pays la politique sociale qu’il mérite, il est prêt à toutes les compromissions pour sauver l’idée qu’il se fait de l’intérêt général.

La tradition des séries françaises à succès

Il y a un goût notable des Français pour leurs institutions et les gens qui incarnent le pouvoir : Engrenages et le fonctionnement du triumvirat police/justice/avocats ou Le Bureau des Légendes qui dévoile en partie les dessous de la DGSE. Baron Noir s’inscrit dans cette lignée et explore la vie politique et ses vicissitudes.

A cela, s’ajoute un casting intelligent qui allie un savant mélange entre têtes d’affiche et seconds rôles très bien campés. On se délecte de la performance de Kad Merad en gentil pourri de gauche. Même si son capital sympathie est loin derrière celui d’Omar Sy auprès des Français, il reste une personnalité appréciée depuis son duo rigolo avec Olivier. Il a réussi à ne pas se laisser enfermer dans une image de guignol à travers des films comme Je vais bien ne t’en fais pas où il incarne magnifiquement un père en souffrance silencieuse.

A ses côtés on retrouve Anna Mouglalis, superbe technocrate aussi arriviste que détestable, et enfin un Niels Arestrup royal qui incarne l’ami (?) de Philippe et accède dès l’épisode 2 aux plus hautes fonctions de l’état.

Tout est politique

Si l’adage dit vrai, alors qu’en est-il de la série ? En devient-elle le comble boursouflé ? Importante est la responsabilité d’une production de divertissement qui s’inspire très largement de la vie politique française actuelle. Produit de l’opinion des showrunners Eric Benzekri et Jean-Baptiste Delafon, il semblerait que leur agenda soit de rehausser l’image de notre système politique qui souffre de ses affaires et d’un désintérêt désabusé de son peuple.

La série réussit un paradoxe : à travers son écriture et le rythme échelonné en 8 épisodes de 55minutes par saison, elle parvient à ré-enchanter la chose politique tel un cours d’éducation civique vitaminé au suspense. Les intrigues et coups tordus entre les protagonistes sont toujours le prétexte à expliquer le fonctionnement et les rouages de nos institutions. C’est d’autant plus remarquable qu’elle évite l’écueil d’un ton didactique qui en ferait un docu-fiction barbant.

En revanche, et c’est nécessairement le corollaire de cette prouesse, la série propose une version romantico-naïve fantasmée de la politique et de ceux qui la pratiquent. Est-ce que la série est un cri du cœur qui se voudrait performatif comme un souhait auprès d’une petite fée d’avoir un homme providentiel comme les légendes racontent que de Gaulle fut ?

Quand le divertissement devient propagande : angélisme et pro-électoralisme

(ATTENTION, spoiler alert au-delà de la saison 1 dans les lignes qui suivent)

Faire une femme présidente comme une sorte de clin d’œil progressiste, pourquoi pas. Mais modifier sa ligne narrative pour lui faire prendre un virage à 180° dans sa psychologie, non. Le personnage de Dorendeu incarné par A. Mouglalis est l’un des plus intéressant de la série, car on aime les méchants. Mais les scénaristes, derrière sa voix grave et sa stature de cheffe d’état, en ont fait une petite fille, plate dans ses motivations et pas très plausible. Je ne m’étendrai pas sur son idylle avec Rickwaert qui est une ficelle grossière et qui une fois de plus réduit un personnage féminin à un objet de désir.

Elle passe d’une technocrate à Bruxelles, énarque et vraisemblablement héritière à la femme la plus puissante de l’état et qui, sans transition, est transfigurée par les intérêts supérieurs de la Nation. Les auteurs lui font prendre des décisions lourdes qui vont à l’encontre de son intérêt personnel et de l’état de droit en faisant assassiner 3 terroristes potentiels avant qu’ils ne passent à l’acte. Ce script vient nourrir l’image fantasmée qu’une femme présidente, un peu comme une mère, sait se sacrifier au nom de ses enfants (ici le peuple français).

A la fin de la saison 3, une fois qu’elle a perdu le pouvoir, elle se suicide car sa vie n’a plus de sens et ce alors même qu’elle rencontre quelqu’un de bien (cette relation est d’ailleurs beaucoup plus intéressante que la précédente, joue sur les codes et les représentations homme jeune/femme mûre, et l’idée du bonheur interdit).

Mais avant de s’ôter la vie, en ultime sacrifice et don de soi, elle demande à son ancien amant désormais adversaire, pour sauver la France de ses dérives complotistes, de la trainer dans la boue pour l’intérêt supérieur de la Nation et ainsi éviter une catastrophe ! Non non non ! Alors on pourrait m’opposer que les showrunners ne proposent pas nécessairement une vision réaliste de la vie politique actuelle française mais telle qu’elle devrait être. Sauf que cela ne tient pas car JUSTEMENT c’est ce qu’ils font : à peu de choses près, le canevas de Baron Noir est un calque de la situation politique réelle et presque chaque figure politique à son double dans la série. C’est d’autant plus embarrassant que Dorendeu incarne la version féminine de Macron. Saluons néanmoins la performance de François Morel qui campe une très belle version de Mélenchon et de ses dérives du culte de la personnalité au détriment de son parti.

Un autre sujet traité à travers un prisme discutable : le regard porté sur la dissidence politique à travers des figures controversées comme Etienne Chouard. Ce dernier, à travers ses propositions comme le référendum d’initiative citoyenne ou le tirage au sort pour éviter la corruption des élus, est assimilé dans la série à un illuminé, à un apprenti sorcier qui pense pouvoir contrôler le raz-de-marée dont il est à l’origine mais qui, selon les auteurs, serait une catastrophe pour notre démocratie. Cette éventualité est rapidement évacuée avec un retour à deux anciennes figures : celle de la noblesse d’épée (incarnée par Rickwaert), défenseuse du peuple et prête à subir le parjure pour lui, et la noblesse de robe, illégitime car arriviste et opportuniste ( incarnée par tous les autres personnages qui veulent le pouvoir). La série ne va pas au bout des choses et ne veut pas trop malmener l’ordre établi.

Conclusion

Le thème choisi reste glissant et si la série se débrouille très bien dans l’ensemble, elle ne peut s’exempter totalement de quelques travers. Baron Noir véhicule certaines opinions mise à mal ces derniers temps avec les mouvements populaires. Tout au long des saisons, elle soutient un discours pro électoraliste. Est-ce citoyen et raisonnable d’utiliser comme outil de propagande politique un support entertainment ? Toutes les idées ont droit de cité et la série essaye au maximum de respecter la pluralité, mais reflet ou non des opinions propres aux showrunners, elle oriente la pensée du public, de la même façon que les Guignols avaient joué un rôle non-négligeable dans la réélection de Jacques Chirac grâce à la proximité et familiarité créées.

Dès lors, et bien que cela paraisse contre-intuitif au premier abord, plutôt qu’être la soeur outre-Atlantique de House of Cards, est-ce que Baron Noir, à travers sa glorification du rôle du chef de l’état, ne se rapprocherait-elle pas davantage de films américains où Harrisson Ford et Morgan Freeman sont présidents, ou pour rester sur le même format de série, de 24H Chrono ?

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