Avec Triangle Strategy, le studio Artdink signe-t-il le grand retour du Tactical-RPG cher à Ogre Battle et Final Fantasy ?
Champ du cygne
Cela fait bien longtemps que je n’avais pas sorti ma Switch ; depuis Bravely Default 2 en février 2021 précisément. Et à la base, Triangle Strategy ne m’était pas apparu comme un incontournable qui la ferait ressortir du placard. Et puis sur un coup de tête, j’ai décidé de me lancer, motivé par mon goût inénarrable pour les FFTactics, Ogre Battle et autres Fire Emblem, en me disant que c’était l’ultime chance que je laissais à cette console qui m’aura tant déçu à bien des égards. Alors certes, je ne suis pas certain que le titre d’Artdink relance mon intérêt pour la machine de Nintendo, mais s’il s’agit d’un chant du cygne, ce n’est sans doute pas la façon la plus désagréable de rendre l’âme.
Triangle Strategy est donc un Tactical RPG en 3D isométrique, dans lequel trois royaumes, le duché d’Aesfrost, les terres sacrées d’Hyzante et le royaume de Glenbrook, s’unissent dans un ultime effort pour mettre fin à la grande guerre qui a secoué le continent de Norzélia. On y incarne Serenor Wolfort, jeune maître de l’une des trois grandes familles de Glenbrook, dont l’union avec la fille de l’intendant d’Aesfrost, doit sceller la paix entre ces trois pays. Bien évidemment, celle-ci va s’annoncer précaire et les trois nations vont peu à peu reprendre le chemin de la guerre, chacune avec ses propres motivations.
Et si le gameplay de Triangle Strategy s’articule autour de combats au tour par tour sur lesquels je reviendrai plus loin, le jeu d’Artdink se veut également et presque avant tout un jeu de décisions politiques, où les choix cornéliens qui se présenteront à vous, influeront considérablement sur la suite de l’histoire et la forme que va prendre le conflit. En effet, les convictions du héros s’orienteront peu à peu vers le pragmatisme, l’éthique ou la liberté, se forgeant au gré de vos conversations mais aussi de la plupart des actions que vous mènerez, y compris en combat. Trois dogmes vers lequel vous allez invariablement tendre sans jamais le savoir puisque cette inclinaison du héros est invisible aux yeux des joueurs.
Campagne politique
Ces convictions que vous vous forgerez tout au long de l’aventure, vous permettront d’influencer la suite de celle-ci. En effet, à de nombreuses reprises durant la partie, le jeu va vous mettre face à un choix délicat. Ce choix, vous ne le ferez pas vous-même : il se décidera à la majorité du vote de vos compagnons d’armes, au travers de ce que la famille Wolfort appelle « La Balance des Convictions ». Bien évidemment, vous pourrez orienter le choix de vos équipiers, voire les influencer si ceux-ci prennent une décision qui ne vous sied pas… sans garantie de résultat. Car pour exemple, autant je les menais à la baguette au départ, en leur faisant prendre les décisions que je souhaitais, autant ça devenait beaucoup moins vrai au fur et à mesure que j’avançais dans la campagne. Tout ça laisse un sentiment étrange, entre la frustration de ne pas être maître de son destin, et l’ivresse d’être happé par le tourbillon d’une aventure qui n’est pas seulement la vôtre, mais également celle de vos petits compagnons tout pixelisés et de leurs idéaux.
Ces choix qui vous sont donnés de faire ne sont pas là juste pour faire joli et changer deux ou trois détails dans une histoire tracée en ligne droite. Non, ici les routes que vous allez emprunter sont véritablement différentes et les répercussions de vos décisions vont se faire sentir jusqu’au bout, avec des environnements irrémédiablement modifiés, des personnages en plus ou en moins dans votre équipe et des événements et missions qui en amènent d’autres, immanquablement liés. De plus, si le scénario n’est pas particulièrement original dans son ensemble, le ton qui lui est donné est plutôt sombre et adulte. On y parle de guerre dans toute sa noirceur, même si le jeu ne dépasse jamais les bornes d’une certaine morale. On n’est pas devant un 18+ non plus, mais le choix est tout de même parfois laissé, d’exterminer ou laisser exterminer une population civile, ce n’est pas non plus anodin. Par contre, il faut vraiment s’accrocher tant le jeu est bavard et laissera indifférent toute une fange de joueurs, allergiques à la lecture. Clairement, passer les dialogues serait passer à côté d’une des forces de ce jeu, mais je peux comprendre qu’on n’ait pas envie de se farder un visual novel quand on a acheté un Tactical RPG.
Lutte des classes
Heureusement, lorsque le jeu décide d’arrêter les bavardages et de passer à l’action, il le fait avec une certaine maestria. D’abord par ses niveaux, tout en verticalité, offrant de nombreuses positions stratégiques pour prendre l’ascendant sur vos adversaires. Ensuite, par les nombreuses classes qu’ils proposent et ces compétences particulièrement originales qui y sont associées. Car si on retrouvera des classiques du genre, comme des flèches aveuglantes, des coups de lance sur plusieurs cases, des coups d’épée paralysants et toutes sortes de sorts de feu, de glace, de vent et de foudre, le jeu propose aussi toute une gamme de pouvoirs singuliers. De la chamane capable d’influer sur la météo (qui revêt une importance tactique certaine) au maréchal-ferrant construisant des échelles pour atteindre les points en hauteur, en passant par la pharmacienne qui use, abuse et transforme les objets en stock. A cela s’ajoute les classiques mécanique du tactical, à savoir le points d’action, points de compétences, avantages tactiques (hauteur, attaques de dos, etc.), soutiens et tout ce à quoi le genre nous a habitué.
Là où le jeu se perd un peu, par rapport à ses illustres ancêtres, c’est sur la progression des personnages. En effet, l’évolution de la classe est très, trop linéaire. Pour un jeu où les choix et conséquences sont au cœur de l’histoire, c’est un peu dommage de ne pas en avoir dans la progression de ses personnages, qui sont certes uniques mais également très cadrés dans leur progression. Heureusement, il est également possible de faire évoluer les armes de nos héros, via un arbre de compétences moins linéaire ; même si là encore les choix manqueront d’influence sur la partie. En effet, à quelques compétences exceptées, il s’agit surtout d’augmenter le nombre de PV, la puissance de l’arme ou la défense physique/magique. De plus, pouvoir monter suffisamment en compétences vos soldats, et à fortiori lorsqu’on veut diversifier ses unités et les possibilités tactiques qu’elles offrent, demande de passer par de nombreuses heures de leveling via un mode défit peu engageant. Des quêtes annexes auraient été plus plaisantes à jouer et surtout, je trouve toujours ça désolant de forcer les joueurs à farmer l’XP pour pouvoir parvenir au bout d’une campagne principale, là où on est en droit de pouvoir rusher comme on l’entend.
Malgré cette tendance à nous pousser au farming et son côté bavard, très bavard, trop bavard, Triangle Strategy est une franche réussite, avec son pixel art très joli et détaillé (qui manque toutefois un peu de finesse, Switch oblige), ses phases d’investigation relativement simples mais très rafraichissantes et ses phases d’action particulièrement tactiques, aux objectifs variés, qui nous poussent à jouer différemment, plus intelligemment que si on devait tout simplement exterminer l’ensemble des unités adverses. Un jeu un peu en dehors des radars, qui mérite pourtant clairement qu’on se penche sur sa question.