Retour sur Fahrenheit, il fait son cinéma

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Deuxième retour sur les projets de Quantic Dream avec cette fois Fahrenheit. La prochaine fois ce sera Heavy Rain

Un jeu construit comme un film

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Le jeu débute sur les chapeaux de roue, à mon sens c’est un des meilleurs début de jeux vidéo qui existe.
L’emblématique David Cage ne fait pas l’unanimité mais il a des idées toujours intéressantes, qui en tout cas me parlent particulièrement. C’est fidèle à lui-même qu’il présente Fahrenheit, en 2005 (PC, Xbox, PS2), pour qui il a mis un an à écrire l’histoire, pour qui Quantic Dream a créé un système de mise en scène unique (le Movie Maker), pour qui l’ambition première était de faire passer ce même scénario et cette même mise en scène au centre du jeu. On veut clairement nous faire vivre une aventure avant tout à travers des personnages et des événements très travaillés plutôt que mettre en avant une adrénaline toute bête et si commune dans le monde du jeu vidéo. Un pari osé comme toutes les idées innovantes mais pour lequel le studio français a pu s’en donner les moyens, l’avantage d’avoir un PDG Game Designer qui en plus vend ses créations comme personne.

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Carla et Tyler enquêtent et n’oublions pas se surveiller leur jauge de moral.
C’est comme un film que Fahrenheit commence, l’action prend place de nos jours en pleine nuit sous une neige tombante à gros flocons sur un bon vieux “diner” New-Yorkais. Les mouvements de caméra s’enchaînent et nous place en première loge d’une scène étrange dans les toilettes du diner. Un homme qui n’est visiblement pas en pleine possession de ses moyens sort du trône un couteau à la main, les avants bras tailladés, la démarche rappelant celle d’un zombie de Roméro se met à poignarder un autre homme qui vient de finir de pisser. Lucas Kane (le meurtrier en question) retrouve ses esprits au moment même où le joueur le contrôle pour la première fois. A vous de décider quoi faire, fuir à toute vitesse, nettoyer la scène du crime avant que le flic présent au bar ne se mette à avoir envie de faire pleurer le colosse, payer l’addition et finir votre café tranquillement, partir en métro ou en taxi autant de choses qui peuvent laisser des indices ou non pour les futurs enquêteurs. Ces mêmes enquêteurs que VOUS incarnez aussi, pas plus tard que juste après avoir réussi à faire fuir Lucas (dans le cas contraire vous allez connaître le Game Over le plus rapide de votre vie de joueur de jeu d’aventure). Carla Valentine et Tyler Miles font équipe dans la Police criminelle de New-York, deux personnages au caractère différent mais qui se complètent parfaitement. Vous allez très souvent pouvoir switcher entre les deux, histoire de voir avec l’un ce que l’autre ne voit pas forcément, un travail d’équipe.

Ceci est un DVD

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Le découpage à la 24 est vachement bien foutu et dynamise pas mal les scènes.
Chaque pas, chaque entrée dans une pièce, chaque “pressentiment” d’un personnage est un prétexte pour être mis en scène grâce au Movie Maker dont je parlais plus haut. On a l’impression d’être un acteur sur un plateau de tournage qui se fait filmer d’absolument tous les côtés, ça donne une pêche pas possible au jeu. On se fait emmener par le réalisateur où il veut qu’on aille, un reflet soudain dans un miroir de salle de bain nous fera sursauter tout autant que le personnage sous notre contrôle, c’est on ne plus immersif et ça sonne surtout très frais dans un jeu vidéo ! Rien n’est jamais laissé au joueur au niveau de cette fameuse mise en scène, même lorsqu’une touche nous permet de choisir entre 3 vues c’est toujours 3 angles de caméras plus ou moins “léchés” (genre face au personnage à ses pieds…) et c’est peut-être au dépourvu de certaines phases de gameplay justement, mais nous y reviendront plus tard… A côté de ça plein de petites choses sont là pour nous rappeler la cinématographie (ouais je connais ce mot là moi) comme l’aspect audio puisque les thèmes de la bande originale du jeu sont composés par Angelo Badalamenti (ayant bossé sur les musiques de plusieurs films de David Lynch ou encore de Jean-Pierre Jeunet) ou comme les doublages français effectués par les doubleurs officiels de Brad Pitt, Will Smith ou encore Angelina Jolie… Il y a aussi plein de bonus à débloquer dont le making-of du jeu mais aussi des scènes “coupées” très amusantes (la danse de Samantha fera plaisir à beaucoup).

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Quelques scènes plus anodines permettent de se détendre un peu.
Tiens tant que j’y pense attardons-nous sur le scénario quelques secondes pour mentionner son très bon ficelage (je rappelle qu’il suit un fil rouge mais qu’il est entièrement extensible selon les choix du joueur) et ses superbes références de Shakespear à la civilisation Maya en passant par des clins d’oeils à des films, ainsi il y a par exemple un bref passage dans un asile clairement dédicacé au Silence Des Agneaux (y a même Barney dit donc !) ou quelques combats qui rappellent énormément Matrix. L’histoire vous plongera agréablement dans le jeu durant une bonne grosse (mais trop courte) demie douzaine d’heures même si certaines incohérences surviennent par-ci par-là (notamment un amour entre deux personnages qu’on ne voit jamais naître mais que l’on voit se concrétiser charnellement aussi rapidement que dans un film de cul) et qu’un bioman jaune débarque de façon on ne peut plus ridicule à un moment où le scénar n’en avait vraiment pas besoin…

Un film construit comme un jeu

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Le débardeur et la petite culotte, un grand classique simple et sexy que David Cage réutilisera dans Heavy Rain.
Fahrenheit a beau être un jeu d’aventure il n’y a pas moins de phases d’action pour autant et quand on mélange “scènes d’action” et “mise en scène travaillée” dans un jeu vidéo notre esprit se dirige automatiquement vers Shenmue et son fameux Quick Time Event. C’est donc tout naturellement que Fahrenheit en reprend le principe si ce n’est qu’il utilise uniquement les deux sticks. Le coup s’attrape très rapidement et s’effectue au final assez facilement même lorsqu’une dizaine de directions d’affilées s’illuminent sous nos yeux, le vrai challenge consiste en fait à rester concentré sur ses directions au lieu d’apprécier la chorégraphie des actions qui s’effectuent là, derrière les ronds qui brillent intégrés assez grossièrement. Dans un souci d’immersion, Quantic Dream a fait en sorte de concorder dans la mesure du possible les directions à presser et les actions des personnages, ainsi si Lucas tourne à gauche lors d’une course poursuite vous allez devoir diriger les sticks vers la… gauche. (Y en a quelques uns qui suivent, c’est bien joué, bravo.) Le QTE est toujours efficace et c’est logiquement qu’on se le tape aussi pour des petites actions sympathiques et moins soutenues comme par exemple faire un petit match de basket avec Tyler, faire quelques pas de danse avec toujours le même etc…

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La scène de salle de bain aussi reviendra dans Heavy Rain…
Là où on en chie beaucoup plus c’est quand notre personnage en chie lui aussi beaucoup plus justement. Les développeurs tenaient à ça, c’est plutôt bien réussi et ce d’une manière insolente de simplicité : Quand le personnage a un effort à produire le joueur doit presser alternativement les deux gâchettes du pad le plus rapidement possible. Quand vous avez 45 secondes à tenir comme ça à un rythme effréné croyez moi que vous en chié grave ! Ceci dit peut-être que les habitués du plaisir solitaire se baladeront tranquillement sur ce genre de situation en évitant la tendinite…

Lire Polygamer augmentera votre jauge de moral

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Les combats sur la fin ressemblent à Matrix.
Une autre très bonne idée est disséminée tout le long du jeu, à la place d’une sempiternelle barre de vie les personnages que vous dirigez disposent d’une sorte de “barre de moral” qui se vide ou se remplis au fur et à mesure de vos actions (si la barre est totalement vide, devinez ce qui se passe ?). Il y a des tas de moyens de faire augmenter votre capital pêche, notamment dormir, manger, boire ou même faire l’amour (ne vous attendez pas à aller tremper la saucisse dans le pot de moutarde n’importe comment cependant hein) et même des petits trucs particuliers selon le personnage sous votre contrôle (faire du yoyo détendra Carla). Par contre pour ce qui est de nous, joueur, la dépression nous guette si tant est qu’on accorde une importance à l’esthétisme, à l’époque le titre était déjà assez moche aujourd’hui ce n’est même pas la peine d’en parler… Mais ça passe justement mieux à notre époque du fait de son âge avancé, on pardonne aisément à un titre rétro de piquer les yeux.

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Sur la fin le scénar’ vire en SF et c’est franchement… ahem… pourri.
Si la mise en scène apporte un énorme plus au jeu, si certains plan prennent leur envol (les passages avec le découpage scénique à la 24 heures Chrono sont vraiment géniaux) et bien je ne peux pas m’empêcher de penser que Quantic Dream en a un peu trop abusé. Aucune conversation ne peut avoir lieu sans qu’il y ait 58 plans différents systématiques dont les ¾ sont inutiles et ça ne serait rien si ça ne venait pas aussi gâcher un petit peu le gameplay. Car si les QTE laissent place à n’importe quelle mise en scène, les phases où l’on dirige un personnage comme dans n’importe quel autre jeu (en le faisant avancer au stick gauche) demandent tout de même une certaine conformité pour que ça soit un minimum jouable. L’idée de pouvoir bouger la caméra autour du perso à l’aide des gâchettes serait parfaite si le jeu ne prenait pas automatiquement d’autres plans tous les 3 pas… Essayez d’avancer tout droit quand la caméra se retrouve subitement face aux pieds de votre perso (j’exagère à peine)… L’idée d’avoir à disposition, en plus de ces 2 gâchettes, un bouton qui permet d’alterner entre 3 caméras se révèle forte inutile lorsqu’aucune des 3 n’est jouable. Seul le bouton dédié à la vue subjective (fixe) ne nous trahira pas. Pour ces phases de gameplay je regrette une bonne vieille caméra de dos avec une possibilité de tourner autour de son perso, après tout rien n’empêchait les développeurs de coller les plans dont ils ont le secret essentiellement lors des phases importantes, ça n’aurait rien gâché au niveau de l’immersion et ça nous aurait évité de rentrer dans un mur au lieu de décrocher ce con de téléphone qui sonne depuis 2 bonnes minutes et que je n’arrive plus à trouver à cause des plans qui changent sans cesse gnnnnnnnnnn. Bon pas de panique ça reste tout de même supportable et même si ça vient entacher le nid d’idées fantastiques dont regorge le jeu, on passera au dessus.

Prolongement plus abouti et plus osé de ce que Quantic a commencé à explorer avec The Nomad Soul, Fahrenheit était une innovation totale qui réinventa le jeu d’aventure mais qui n’aura pas fait d’émules à défaut d’avoir cartonné auprès de la critique et des joueurs (dont je fais parti pour les deux).

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