Parlons jeux vidéo avec… Swery65

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Pour la première fois de l’histoire de « Parlons jeux vidéo… » (et de Polygamer), nous avons réussi à interviewer un membre du club très sélect’ des créateurs japonais.

« Parlons jeux vidéo avec… » est un concept d’entretiens un peu particulier puisque si les créateurs de jeux vidéo qui y répondent changent, les questions, elles, ne changent pas. Tournant autour du média jeu vidéo et non pas autour d’un jeu en particulier, le but de ces questions est de cerner la vision des créateurs et de les comparer. C’est en quelque sorte un témoignage de ce que le jeu vidéo était, est, et de ce qu’il peut être amené à devenir selon ceux qui les font.

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Et oui, Swery65 y était.
Hidetake « Swery65 » Suehiro n’est pas encore une star incontestée parmi les créateurs de jeux vidéo mais avec son dernier game design, Deadly Premonition, son statut est en passe de changer. Preuve en est, il a été invité lors de la dernière Game Developers Conference en début de mois à San Francisco pour débattre autour de la création de sa petite perle d’inventivité et de narration. Bref, malgré la barrière de la langue qui nous sépare et notre anglais à tous les deux appris à la dure (et à l’arrache), il était important pour moi de tenter de « Parler jeux vidéo » avec lui. Cerise sur le gâteau, le bonhomme est très accessible et sympathique.

Sur Polygamer on se pose plein de questions vis-à-vis du jeu vidéo, par exemple comment tu expliques qu’il arrive à nous angoisser, nous stresser, nous faire réfléchir (à des énigmes surtout), nous injecter de l’adrénaline, mais qu’il nous fait rarement rire et pour ainsi dire jamais pleurer ?
Lorsque je crée un jeu, je suis toujours très conscient de la façon d’y exprimer l’émotion. Peut-être que la grande divergence entre le monde du jeu vidéo et le monde réel est la cause de cette pénurie de ce type d’émotions, mais je ne le crois pas. Si vous aimez jouer à des jeux vidéo dans le but d’expérimenter quelque chose de surréaliste, alors les chances de ressentir de l’empathie ou des affinités, ou de vraiment rire ou pleurer, sont probablement assez faibles.

Tu ferais quoi toi, en tant qu’auteur plein d’idées, pour nous faire pisser de rire ou pleurer d’émotion dans un jeu ? Tu travaillerais surtout la narration ? L’interaction ? Le côté visuel ?
La chose la plus importante consiste à brouiller les frontières entre le monde réel et le monde du jeu. Il existe de nombreuses méthodes, pour atteindre cet objectif Deadly Premonition a tenté de donner son sens à la vie, dispose d’une histoire tirée d’un vrai film, et remet le joueur en question à travers le personnage.

Imaginons que je sois bien placé chez Microsoft et Epic, j’te file la tête du développement du prochain Gears of War, t’es libre à 100%. T’en fais quoi et pourquoi ?

Gears of War est un jeu complet, dans lequel il y a une vision du monde complète, des personnages complets, et une théorie complète.
Plutôt que de créer une suite, je laisse les personnes compétentes la faire eux-mêmes.

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Illustration du maître, présente dans Deadly Premonition à travers les cartes secrètes à collectionner du jeu.
Imaginons que je sois bien placé chez Nintendo (ouais je sais, je suis apprécié chez beaucoup de monde), j’te file la tête du développement du prochain Zelda, t’es libre à 100%. T’en fais quoi et pourquoi ?

La même chose que pour Gears of War, Zelda est complet aussi, donc il n’y a aucune raison que j’en fasse une suite.

Le sexe dans le jeu vidéo, ça sera possible un jour en occident ? (J’entends par là des jeux à caractère sexuel commercialisés strictement pour les adultes évidemment, non pas quelconque rapports bizarres avec ta console…. Ma question au-delà d’être lubrique ou ludique penche surtout à te faire causer censure et histoires uniquement pour adultes dans un jeu vidéo…)
Si les rapports sexuels ne sont pas le but premier des jeux, je pense qu’un jour ils recevront la même part de compréhension que pour les films. Cependant il y aura probablement toujours cet avis comme quoi il n’y a pas de raison de les inclure dans les jeux. On doit, en tant que créateurs, y réfléchir pour parvenir à y remédier.

As-tu des frustrations en tant que créateur de jeux vidéo ? Lesquelles ? Pourquoi ?
J’ai deux sortes de frustration.
La première c’est quand un travail créatif ou des idées viennent se frapper contre un mur de briques pratique et qu’on ne peut pas aller au-delà. Pour y remédier tu ne peux compter que sur tes propres efforts.
La seconde est le facteur économique lorsque je crée. C’est un problème inévitable. Toutefois ces deux types de frustration me font grandir dans la réalité, et l’équilibre entre la frustration et le fait de surmonter cette frustration, c’est ce qui me motive en tant que créateur. Ce sont deux choses nécessaires.

Faire des jeux vidéo, c’était mieux avant ?

«Bon» et «mauvais» comme critères de valeur ne peuvent être facilement définis, de sorte qu’une évaluation précise est sans doute difficile. Pour moi, j’essaye de penser chaque projet sur lequel je travaille comme le meilleur possible.

Parles nous d’un ou de plusieurs de tes projets que t’aurais aimé sortir mais que tu n’as pas pu suite aux refus des éditeurs ou autres soucis. Parait que chaque créateur a au moins un projet maudit de ce type dans son baluchon, donc voilà, frustre nous de ne jamais pouvoir y jouer je t’en prie… D’ailleurs avec le recul t’en penses quoi de ce(s) projet(s) qui reste(nt) dans les cartons et de ce qui les y fait rester ?
J’ai abandonné une seule fois un projet en cours. La raison n’était pas créative, mais plutôt en rapport à des relations personnelles et au fait que j’ai passé la plupart de mon temps à traiter avec des règlements. Et à cette époque ce n’était pas constructif pour moi.

04_10.jpgVis-à-vis de ton expérience, t’aurais quoi à donner comme conseils à un gars qui part de zéro, les poches vides, et qui se lance dans le Game Design avec dans son sac plein d’idées et d’ambition ?
Crée ce en quoi tu crois.
Même s’il y a beaucoup de gens opposés, crée pour tes amis et les gens qui te soutiennent. Les liens amicaux sont importants pour t’aider avec tes idées créatives et tes activités.

Est-ce que les jeux qui t’ont marqués en tant que joueur sont les mêmes qui t’ont impressionnés en tant que créateur ?
Est-ce que les jeux que j’aime sont similaires à ceux que je crée ? Je ne pense pas. Cela dit, si j’établie consciencieusement une liste des jeux que j’ai aimé, je pense qu’ils ont un intérêt commun avec les autres.

Pour te poser au moins une question un peu plus classique : Parle nous de tes projets à venir et/ou des idées que tu aimerais explorer, lâches toi.
Dans mes travaux précédents, l’histoire a été réduite et les personnages qui avaient été créés ont été évalués. Si j’ai la chance de faire de nouveaux projets, j’affinerais l’intégralité des personnages, des héros, je veux faire le genre de jeu qui puisse réellement affecter le joueur.

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