Parlons jeux vidéo avec… Olivier Lejade

0

Olivier Lejade, le créateur du remarqué Soul Bubbles sur DS, parle jeux vidéo avec nous, comme un certain nombre de créateurs l’ont fait avant lui (je savais pas quoi dire j’espère que ça ne s’est pas vu).

« Parlons jeux vidéo avec… » est un concept d’entretiens un peu particulier puisque si les créateurs de jeux vidéo qui y répondent changent, les questions, elles, ne changent pas. Tournant autour du média jeu vidéo et non pas autour d’un jeu en particulier, le but de ces questions est de cerner la vision des créateurs et de les comparer. C’est en quelque sorte un témoignage de ce que le jeu vidéo était, est, et de ce qu’il peut être amené à devenir selon ceux qui les font.

Lejade.jpg
Olivier Lejade, c’est lui.
Olivier Lejade, qui aime se faire prendre en photo au soleil dans un hamac avec un sourire radieux, a été le PDG de l’éditeur Nevrax durant les deux années qui ont suivi sa création (vers 2000). Le MMORPG Ryzom était son principal fer de lance mais on s’en fout, Olivier a démissionné par désaccord sur la tournure que l’entreprise prenait. En 2003 ils les emmerdent tous et fonde le studio Mekensleep (comprenez « mec en slip »… ouais il a de l’humour… et un slip). Verront le jour Pok3D, une plateforme de poker en ligne en 3D et qui n’est pas déshabilleur (à quoi ça sert de la faire en 3D alors hein ?), et surtout l’inventif Soul Bubbles en 2008 pour lequel Frédéric Raynal sera venu donner un coup de main en tant que consultant. Olivier s’implique beaucoup dans la défense du jeu vidéo en France que ça soit juridiquement avec le SNJV (ex APOM) ou plus généralement en tant qu’art dans divers speech où on lui prête le micro (et il ne s’affiche pas partout en slip parce qu’il n’assume pas).

Un commentaire à faire ou quelque chose à ajouter au sujet du texte de ta biographie polygamerisée ? (Si tu peux préciser ton âge au passage histoire de.)
J’ai le même âge que le premier FPS et si je ne m’affiche pas partout en slip c’est uniquement par souci de ne pas trop troubler l’ordre public des jeunes filles !

Sur Polygamer on se pose plein de questions vis-à-vis du jeu vidéo, par exemple comment tu expliques qu’il arrive à nous angoisser, nous stresser, nous faire réfléchir (à des énigmes surtout), nous injecter de l’adrénaline, mais qu’il nous fait rarement rire et pour ainsi dire jamais pleurer ?

005-124-2.jpg
C’est vrai que sur Polygamer on n’est pas du genre à parler de petites perles indés ou de bien se garder de crier au scandale sur tous les jeux qui manquent d’originalité et compagnie…
Pour le rire, je ne suis vraiment pas d’accord. On ne compte plus les jeux dont le rire est une composante essentielle de l’expérience du joueur.

Pour ce qui est des larmes, j’entends derrière cette question une vieille critique du jeu vidéo qui voudrait qu’il ne puisse pas être un art au prétexte qu’il ne ferait pas pleurer les gens. Ce à quoi je répondrais plusieurs choses :

1- C’est faux. Il y a des gens qui ont pleuré à cause de jeux vidéo.
2- La dernière fois que vous avez pleuré face à une statue ou une peinture, devant une performance de danse ou même au cinéma, c’était quand ? Dans les autres arts ça n’arrive pas si souvent non plus.
3- La principale raison pour laquelle ça n’arrive pas davantage c’est parce que la création est trop souvent assujettie à des objectifs commerciaux plutôt qu’artistiques. Or c’est beaucoup plus facile de vendre des crises de rire que des crises de larmes.

Donc si vous voulez que ça change, intéressez-vous aux jeux qui essayent de faire autre chose que de l’esbroufe à grand coups d’effets spéciaux pour masquer un gameplay éculé et soutenez-les. Ca tombe bien, il y en a de plus en plus !

Il n’y avait aucun sous entendu dans la question je te rassure… Bon, et tu ferais quoi toi, en tant qu’auteur plein d’idées, pour nous faire pisser de rire ou pleurer d’émotion dans un jeu ? Tu travaillerais surtout la narration ? L’interaction ? Le côté visuel ?

moule.jpg
Comme je n’avais rien à mettre pour illustrer les propos ici, j’ai choisi la photo d’une moule. Mais attention hein ça n’illustre pas les propos d’Olivier, c’est juste pour combler le vide.
Franchement, ce n’est pas vraiment ce qui m’intéresse dans les jeux et ce n’est pas ce que j’ai envie de faire en tant que créateur. Se préoccuper de l’expérience subjective du joueur, oui bien sûr, mais pas nécessairement pour le faire rire ou pleurer. Même si le jeu vidéo peut y parvenir, c’est tout de même plus naturel pour les arts narratifs purs – le roman, la bande dessinée, le cinéma – car ils contrôlent complètement le rythme et le déroulé de l’histoire et, en conséquence, l’empathie du spectateur.

A mon sens, l’intérêt du jeu vidéo n’est donc pas de singer les films en essayant de filer une trame narrative pour produire des émotions intenses. Pour moi, la véritable force du jeu est de proposer un système qui retranscrit fidèlement une réflexion donnée : celle de ses créateurs. Le joueur peut ensuite découvrir par lui même les tenants et les aboutissants de cette réflexion, il peut se l’approprier complètement et même en trouver les éventuelles failles. Ainsi, le jeu organise une dialectique au-delà du langage entre le créateur et le joueur qui abouti à la transmission d’un certain modèle du monde. Un bon jeu c’est donc une expérience interactive qui me permet de comprendre quelque-chose qui rend ma vie plus riche, plus intéressante. Plus belle.

En tant que créateur c’est vers ça que je voudrais tendre et il me semble que c’est un peu plus difficile que de faire rire ou pleurer. C’est aussi une dimension que seul le jeu peut explorer et c’est bien ce qui le rend tellement fascinant.

bulot.jpg
Le bulot aussi c’est assez con dans son genre, et puis ça ressemble à rien un bulot.
Imaginons que je sois bien placé chez Microsoft et Epic, j’te file la tête du développement du prochain Gears of War, t’es libre à 100%. T’en fais quoi et pourquoi ?

Je rappelle immédiatement Cliff Bleszinski et son équipe et je leur rends les commandes.
Un jeu est porté par une équipe, c’est l’incarnation de leur vision collective. Ce qui fait le succès de Gears of War, c’est ce qu’il y a dans la tête des personnes qui l’ont fait. Ils connaissent leur jeu sur le bout des doigts : chaque élément, chaque défaut, chaque règle et les raisons sous-jacentes à leur existence. Je n’aurai jamais la prétention de faire un meilleur Gears of War qu’eux.

Mais je peux faire complètement autre chose et d’ailleurs il se trouve que c’est ce dont j’ai envie…

Imaginons que je sois bien placé chez Nintendo (ouais je sais, je suis apprécié chez beaucoup de monde), j’te file la tête du développement du prochain Zelda, t’es libre à 100%. T’en fais quoi et pourquoi ?

Même réponse que précédemment sauf que cette fois je rappelle Shigeru Miyamoto et son équipe. Parce que Zelda avec l’équipe de Gears of War… je n’ose même pas imaginer le massacre !

Lions_copulation.jpg
Le sexe dans la savane c’est permis. Dans les jeux vidéo ça dépend.
Le sexe dans le jeu vidéo, ça sera possible un jour en occident ? (J’entends par là des jeux à caractère sexuel commercialisés strictement pour les adultes évidemment, non pas quelconque rapports bizarres avec ta console…. Ma question au-delà d’être lubrique ou ludique penche surtout à te faire causer censure et histoires uniquement pour adultes dans un jeu vidéo…)
Je ne vois pas pourquoi ça ne serait pas possible. Les seules choses qui empêchent le sexe dans les jeux sont le puritanisme et des considérations bassement commerciales de la part des différents acteurs de l’industrie.
C’est d’ailleurs assez triste de constater à quel point les jeux vidéo surenchérissent constamment dans la représentation de la violence mais dès qu’on montre un bout de fesse, oh là là, quel scandale !

As-tu des frustrations en tant que créateur de jeux vidéo ? Lesquelles ? Pourquoi ?

Il y a plein de choses que j’aimerais changer. Toutefois je m’efforce de ne plus faire de critiques non constructives. Si je ne peux rien faire pour améliorer les choses de manière réaliste, je préfère me taire (essayez pour voir comme c’est difficile !). Et si je peux y changer quelque-chose alors je le fais.

Faire des jeux vidéo, c’était mieux avant ?

Je pense plutôt que ce sera mieux demain. En tout cas je l’espère et j’y travaille.

Parles nous d’un ou de plusieurs de tes projets que t’aurais aimé sortir mais que tu n’as pas pu suite aux refus des éditeurs ou autres soucis. Parait que chaque créateur a au moins un projet maudit de ce type dans son baluchon, donc voilà, frustre nous de ne jamais pouvoir y jouer je t’en prie… D’ailleurs avec le recul t’en penses quoi de ce(s) projet(s) qui reste(nt) dans les cartons et de ce qui les y fait rester ?
Jusqu’ici je me suis toujours arrangé pour que les projets dans lesquels je me suis vraiment lancé sortent d’une manière ou d’un autre. Comme tout créateur, j’ai plein d’idées semi abouties dans ma tête mais ce sont surtout des mécaniques ou des thématiques que j’espère pouvoir explorer sous une forme ou une autre dans le futur.

2llzq8p.jpg
L’un des livres qu’Olivier conseille aux apprentis game designers.
Vis-à-vis de ton expérience, t’aurais quoi à donner comme conseils à un gars qui part de zéro, les poches vides, et qui se lance dans le Game Design avec dans son sac plein d’idées et d’ambition ?
Mon premier conseil ce serait de ne pas attendre qu’on lui donne l’autorisation pour faire des jeux. De commencer tout de suite en faisant des jeux de plateau ou de cartes, des jeux en flash ou avec game maker, des mods, etc… Et surtout de ne pas se chercher d’excuses (j’ai besoin de savoir programmer/de savoir dessiner/d’argent etc…) parce qu’il y a plein de manière pour s’exprimer. Et puis il faut apprendre à voir la contrainte comme une alliée de la créativité, pas comme une ennemie. Peut-être qu’il ne pourra pas commencer par le jeu parfait mais ce n’est pas grave : personne ne réalise en premier le jeu de ses rêves et c’est en forgeant qu’on devient forgeron.

Mon deuxième conseil ce serait de lire attentivement « The Art of Game Design » de Jesse Schell et « Game Design Workshop » de Tracy Fullerton puis de les relire quand il aura essayé de faire quelques jeux. Ca devrait lui assurer de solides bases conceptuelles.

Maman-truie-en-plein-allaitement.jpg
Olivier doit être le seul à ne quasiment jamais citer une seule référence culturelle dans notre entretien, pas facile à illustrer… Une truie pour conclure pour la peine.
Est-ce que les jeux qui t’ont marqués en tant que joueur sont les mêmes qui t’ont impressionnés en tant que créateur ?
Pas toujours, parce que j’ai appris à regarder les jeux autrement depuis que j’en crée. La première chose qui a changé c’est que je suis devenu moins sensible aux graphismes d’un jeu et beaucoup plus à sa mécanique. Par ailleurs, j’apprécie évidemment un excellent jeu – comme tout le monde – mais je peux aussi aimer les éléments réussis d’un mauvais jeu : je prête davantage attention aux détails.

A l’inverse, j’ai trop joué aux jeux dans les genres établis. De mon point de vue ils se ressemblent trop et ne me surprennent plus suffisamment. Je préfère donc m’intéresser aux jeux qui se différencient fortement, qui ont un véritable parti pris ou qui proposent un nouveau concept.

Pour te poser au moins une question un peu plus classique : Parle nous de tes projets à venir et/ou des idées que tu aimerais explorer, lâches toi.
Un jour, j’aimerai faire un MMO de curling féminin en monokini.

Enfin, que penses-tu de Polygamer ? As-tu des idées pour que l’on s’améliore, des suggestions, des trucs ou des machins ?
Ben tu sais, un site dont le logo c’est un singe en slip, je ne sais vraiment pas ce qu’on peut lui demander de plus ! 😉

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *