Panne des sens

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Après la musique et le cinéma, le jeu vidéo est à son tour touché par ce mal qui ronge l’industrie du loisir : La panne d’idée !

Le cancer du portefeuille

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Les lapins crétins, le symbole de la surexploitation outrancière d’Ubisoft.
Cela fait bien des années que le cinéma est gangrené par le manque d’idées, et le symbole de cette dégénérescence pourrait être le génial Martin Scorcese, qui s’est vu décerné le seul oscar de sa carrière pour un pauvre remake (l’un de ses plus mauvais films qui plus est). Les trois quarts des films, s’ils ne revisitent pas une ancienne gloire passée, copie colle un scénario déjà existant en changeant trois plans et deux dialogues pour nous faire croire qu’il s’agit d’une production nouvelle. Pour la musique, ce n’est guère mieux. Dans une industrie vieillissante et en totale perdition car gouvernée par des majors incapables, on assiste à la plus mauvaise période de l’histoire de ce média, où chaque artiste copie son voisin et où les vieux groupes retraités remontent sur scène en déambulateurs pour coller à la mode du vintage (un terme inventé pour cacher la médiocrité des artistes d’aujourd’hui). Etant quasiment le seul média de l’industrie du loisir à générer des profits, et sortant peu à peu du marché de niche pour s’ouvrir d’avantage au grand public, on pensait que le jeu vidéo vivait enfin ses heures de gloire. Et pourtant, là aussi depuis quelques années, la créativité est devenue un mot tabou, banni par des éditeurs peu scrupuleux, motivés par le seul sacro-saint dollar. Ce phénomène n’est certes pas nouveau, mais très largement accru avec cette génération de consoles et l’explosion des budgets de développement. L’exemple le plus probant est d’ailleurs sans doute celui d’Ubisoft. L’éditeur français était en effet l’un des acteurs majeurs de cette génération lorsqu’elle fut lancée sur les rails. Puis, peu à peu, le succès lui est monté à la tête et, obnubilé par le profit, il s’est complètement éteint. Aujourd’hui, il faut avoir une sacré mémoire pour se souvenir du dernier vrai bon jeu du franco-québécois. Qui aujourd’hui peu prendre le risque de développer un jeu original, atypique, inventif ? Certainement pas de petits industriels comme Ubi, Activision ou Electronic Arts… ils ont déjà tellement de mal à boucler les fins de mois que ce serait suicidaire de faire de bons jeux !

Copieurs !

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Petit quizz… Cette image est tirée de Call of Duty, de Medal of Honor, d’Homefront ou bien des trois à la fois ?
A la manière du rock français qui s’articule autour de deux ou trois artistes (On a eu droit à Noir Désir et sa multitude de copies, puis les Têtes Raides et sa multitude de copies, etc.), le jeu vidéo aujourd’hui ne semble plus capable de faire autre chose que du Call of Duty. Tout le monde s’y met, que ça soit Electronic Arts et son Medal of Honor, Sony et son Killzone ou même THQ et son Homefront. Et le pire dans tout ça, c’est que ces éditeurs semblent fiers d’annoncer qu’ils vont plagier la concurrence… sans se rendre compte de l’absurdité de copier un jeu qui n’est plus que l’ombre de lui-même. Après tout, ça n’a rien d’étonnant… il a bien fallu vingt ans à ces mêmes éditeurs pour se rendre compte qu’on en avait plein le cul de la seconde guerre mondiale, on ne va pas leur demander soudainement de raisonner intelligemment ! Petit à petit, les producteurs de jeux vidéo sacrifient donc leur propre média sur l’autel de la rentabilité, et exterminent peu à peu studios (Ensemble Studios, Bizarre Creations) et licences (Guitar Hero, Mirror’s Edge, Splinter Cell). A l’instar d’un Bobby Kottick qui dit tout haut ce que les autres pensent tout bas, les éditeurs n’ont aucun intérêt, aucun amour ni aucune passion pour le jeu vidéo. Pour eux il ne s’agit ni plus ni moins qu’un moyen super efficace de générer du fric à foison. Le pire dans tout ça, c’est qu’aucune étude ou expérience ne démontre qu’un jeu original n’est pas rentable. C’est juste que dans un monde régi par des actionnaires multimillionnaires, il n’y a pas de place pour le risque. Pour se payer des vacances à l’île Maurice, il suffit de mettre un fusil à pompe et une pute à gros nichons dans un jeu d’action ; le reste n’est qu’accessoire.

David vs Goliath

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Limbo 2 sera en couleurs, on contrôlera la soeur du héros avec ses gros seins et son short moulant et on pourra acheter des stickers en DLC pour décorer le bateau… j’ai trop hâte !
A l’image de notre époque corrompue où le salut et les solutions semblent venir des plus faibles pendant que les grands attendent patiemment que la pourriture vienne les consumer, la rédemption du jeu vidéo vient d’en bas. Aujourd’hui, les jeux indépendants et ex-sharewares (aujourd’hui rebaptisés Xbox Live Arcade et Playstation Network) sont les seuls à sortir du carcan imposé par les géants de l’industrie. La plupart des « petits » jeux qui sortent aujourd’hui sont dix fois plus créatifs (et souvent dix fois plus beaux) que la très grande majorité des jeux boites. Mais jusqu’à quand ? Il est clair qu’aujourd’hui, ce marché qui était jusque-là très marginalisé, devient de plus en plus incontournable. Certains développeurs indés ont déjà pensé à l’avenir et se sont regroupés sous une même bannière et quelques gros éditeurs semblent même suffisamment intéressés pour financer des programmes spécifiques (EA Partners, etc.). Pour l’heure, tout est rose et le marché du shareware s’apparente à une soirée pyjama chez les Bisounours. Mais combien de temps pensez-vous qu’il va se passer avec qu’un Bobby Kottick ou l’un de ses clones vienne se pencher sur la question et réclamer sa part du magot ? Combien de temps avant de voir un Limbo et un Braid sortir chaque année et offrir des moments de grand spectacle en 3D avec gameplay gyrosopique et pass online pour télécharger des fringues pour le héros en DLC ? Depuis l’avènement des consoles HD, le jeu vidéo emprunte une pente savonneuse et glisse aujourd’hui inexorablement sur son arrière-train. Il ne nous reste qu’à espérer qu’il saura se rattraper avant d’atteindre le troisième sous-sol. Malheureusement, c’est bien tout ce que l’on peut faire, tant notre parole à nous, fans de la première heure et grands artisans de la pérennité de notre média, ne trouve aucun écho…
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