Comme on le pressentait, EA n’a pas loupé l’occasion de faire replonger la licence Need for Speed dans ses travers passés.
Une équipe de bras cassés
Vous avez remarqué qu’entre ce qu’un éditeur annonce au moment de dévoiler un jeu, ce qu’on en attend alors et la réalité finale, il y a parfois des différences monumentales ? Par exemple, prenez ce Need For Speed : The Run annoncé à l’E3 dernier. Lorsque EA l’a dévoilé, je ne sais pas vous, mais moi j’étais sceptique ; pas forcément pessimiste mais sceptique et à la fois curieux. D’abord, parce que même si la licence est plutôt repartie sur de bons rails ces dernières années, après presque deux générations de vache maigre, beaucoup de points noirs étaient présents pour nous conforter dans la prudence… à commencer par le studio de développement. Car EA Black Box, anciennement Black Box Games, est tout de même le studio directement responsable de la décrépitude de la saga Need For Speed. Pour ceux qui l’auraient oublié, ces mecs sont ceux qui nous ont pondu les Underground, Most Wanted, Carbon et autres Pro Street. Avouez q’il y a mieux pour mettre en confiance ? Mais bon, on leur accorde le bénéfice du doute, d’autant plus qu’ils repartent sur des bases redéfinies par Criterion avec l’excellent Hot Pursuit, et utilisent le fameux moteur de Dice, Frostbite 2, que EA semble vouloir balancer à toutes les sauces (vivement un Monopoly Party Frostbite 2.0).
Mais voilà, en plus d’un choix de studio contestable, EA nous sert un autre choix discutable : le QTE ! En effet, une bonne partie de la présentation de l’époque, et de la communication qui a suivie, s’est focalisé sur l’histoire de The Run et ses fameuses cinématiques interactives. Très honnêtement, on se demande bien ce que tout ça peut bien venir foutre dans un jeu de bagnoles. Mais outre l’utilisation de QTE, pour lesquels j’ai assez peu de considération, j’avoue que l’idée d’un vrai mode histoire, et non pas un vague scénario posé en fond, comme à l’époque des Underground, n’était pas pour me déplaire. En effet, même si ça ne vole jamais très haut parce que calqué sur ces films hollywoodiens pour adolescents (type Transformers et autres Mission Impossible), ce que j’ai du mal à accepter au cinéma me dérange étrangement beaucoup moins en jeu. Il n’y a qu’à voir le résultat obtenu par le passé, que ça soit avec l’histoire du frère vengeur dans le dernier Fight Night, le récit chorale hautement intellectuel de Mortal Kombat, ou même le scénario improbable très wesh wesh de Def Jam Fight For NY. Raconter une véritable histoire, avec mises en situation etc., dans des jeux qui habituellement se contentent d’enchainer les épreuves, ça paye.
Emplois fictifs
Seulement voilà, en analysant la communication d’EA autour de ce jeu, je me suis mis en tête que The Run serait un mix entre Fight Night (pour son histoire) et Hot Pursuit pour les courses de bagnoles. Rarement je m’étais autant fourvoyé. D’abord, parce que finalement d’histoire, il n’y en a pas. Enfin si, vous incarnez Jack (au nom aussi original que son look de beau gosse au crâne rasé qui truste tous les castings du jeu vidéo d’aujourd’hui), un pilote ayant de sérieux ennuis avec la mafia de la côte ouest. Ennuis c’est peu dire, puisque l’histoire commence dans une casse de voitures, alors qu’une machine s’apprête à vous broyer en même temps que la Porsche reluisante à l’intérieur de laquelle vous êtes enfermé. Quelques QTE plus tard, vous voilà au volant d’une Audi que n’aurait pas renié Luc Besson, poursuivi par des mafieux particulièrement agressifs. Bon, je vous l’accorde, ça ne vole pas bien haut… mais ça a le mérite de changer des sempiternelles épreuves de Time Attack ou d’Eliminator. Malheureusement, ça ne va pas durer. Car sitôt cette séquence passée, l’histoire disparait complètement du jeu pendant plusieurs heures. Bien sûr, vous êtes toujours Jack et vous traversez toujours les Etats-Unis de part en part pour gagner les 25 millions de dollars qui vous permettraient de vous refaire une nouvelle vie, mais pas grand-chose vous permet de vous y accrocher. Car l’histoire ne se déroule véritablement que dans les grandes villes, San Francisco, Las Vegas, Chicago et New York… c’est-à-dire, à l’occasion de quatre ou cinq épreuves, à tout casser. Le reste du temps, vous enchainez bêtement les courses contre le temps, contre des adversaires ou des duels contre des pilotes « guests ». Le summum étant la course finale, complètement cheatée, qui dure un bon gros quart d’heure mais où tout se joue sur les 300 derniers mètres en ligne droite, vu que votre rival aura l’amabilité de vous attendre le reste du temps.
Ces duels atteignent d’ailleurs le sommet du ridicule dans un jeu vidéo. En effet, ces pilotes semblent sortis de nulle part, posés sur le jeu comme un cheveu sur une soupe. Vous n’en entendez jamais parler avant et vous n’en entendrez plus parler après, si ce n’est dans les dernières courses où vous les enchainerez les uns après les autres sans vous demander pourquoi ils se retrouvent devant vous alors que vous les avez doublé précédemment et que vous n’avez perdu aucune place au classement. Pire, à part les deux prostit playmates engagées par l’éditeur pour faire la promo à coups de décolletés débordants et de petits culs dans un jean trop serré permettant aux Kevin de s’astiquer la nouilles devant trois polygones mal assemblés, il n’y a aucune cinématique… que dis-je cinématique, aucun éléments visuels qui vous permettent d’identifier ces pilotes « spéciaux ». La seule différence, c’est qu’ils sont juste un poil plus retors à battre (et encore). Ah si, pardon : EA nous a pondu une gueule et une mini-biographie pour chacun d’eux, balancés pendant les temps de chargement. On a droit à tous les poncifs du genre : Le badboy qui veut gagner la course pour se racheter une conduite, le mafieux qui forcément kiffe les rodéos urbains mais veut surtout vous mettre hors d’état de nuire, la fille à papa et sa servante dévouée… bref, que de la merde en barre. Non mais franchement… vous avez payé des gars pour faire ça ? Vous savez que d’autres sont tombés pour emplois fictifs pour moins que ça. Bref, moi qui m’attendais à un jeu scénarisé, avec des situations spécifiques, des tonnes de scripts et tout un tas d’artifices permettant de faire de The Run le Modern Warfare du jeu de bagnoles, je suis tombé de haut.
Chacun à sa place
C’est d’autant plus dommage que les rares occasions où le récit reprend ses droits, le jeu devient intéressant. Non pas que l’arrivée des QTE me réjouisse outre mesure, mais ces cinématiques apportent un peu de consistance au jeu, et les épreuves qui en découlent sont généralement sympathiques à jouer, car énormément scriptées. Bien sûr, les développeurs auraient pu aller beaucoup plus loin dans la mise en scène, comme peuvent le faire les scénaristes d’Hollywood lorsqu’ils consomment de la coke frelatée. Et puis, ça ne plaira pas aux fans de simu et de challenge tordus c’est certain ; mais bon, personne ne joue à Modern Warfare pour sa technique de haute volée et son réalisme à toute épreuve… si ? Quoi qu’il en soit, pour moi avec ce The Run, les joueurs ont clairement été trompés sur la marchandise puisque l’histoire et les scripts tant mis en avant, sont aussi rares qu’un membre de l’UMP qui ne tremperait pas dans des affaires. Autre point désolant qui montre que le studio n’est pas allé jusqu’au bout de ses idées (par manque de temps, de moyens ou de talent, je ne me prononcerai pas), la course à laquelle vous participez dans ce jeu, s’étend de San Francisco à New York, et catapulte plus de 200 pilotes enragés sur les routes américaines. Dès lors, votre repère sera votre position et non votre temps. Ici, il n’y a pas d’épreuves qualificatives : Vous devez arriver au moins 150ème à Las Vegas pour poursuivre l’aventure, 50ème à Chicago et 1er à New York. Personnellement, j’ai trouvé l’idée géniale.
Malheureusement, le classement n’oscille pas d’un iota selon vos performances. A chaque course, vous n’avez d’autre choix que de terminer premier et ainsi remonter un nombre de places fixé à l’avance (généralement 10, des fois moins). Nul doute qu’il aurait été beaucoup plus intéressant et judicieux, de laisser une plage plus large de qualification. Cela aurait permis par exemple d’être sous pression lors des dernières courses avant d’entrer en ville, en cas de retard important, ou au contraire, d’être un peu plus à l’aise car possédant un peu d’avance au classement. Dans tous les cas, ne pas figer les places ainsi aurait permis de faire monter d’un cran la tension tout en apportant la diversification nécessaire pour ne pas se lasser trop vite, à cause d’une redondance inhérente à tout jeu de bagnoles (même si les tracés sont différents à chaque rodéo). Du coup, la somme de tous ces mauvais choix de la part des développeurs, fait qu’on ne s’imagine pas vraiment dans une course ininterrompue, traversant les Etats-Unis façon l’équipée du Canonball, avec Burt « fuckin’ » Reynolds (cace-dédi à Saints Row). Bien sûr, les environnements sont différents, bien sûr le classement est omniprésent et les quelques rares cinématiques viennent vous rappeler à quoi vous participez. Mais une fois au volant, vous avez généralement plus l’impression de concourir dans une épreuve impersonnelle, à un endroit X ou Y, que de participer à un véritable rodéo géant à travers tout le pays.
Pas totalement à jeter
Ceci étant, j’étale ma diatribe depuis trois pages, m’évertuant à casser du sucre sur le dos de ce jeu, de son développeur et de son éditeur, mais il n’est pas si mauvais que ça au final… c’est juste qu’il n’est pas ce qu’il annonçait être et, qu’en ce sens, je suis extrêmement déçu. Mais si on prend les épreuves une par une, sortie du contexte de l’histoire foirée, des mauvais choix, etc., celles-ci sont plutôt agréables à jouer. Tout n’est pas d’une fluidité limpide, mais ça tourne plutôt bien et c’est loin d’être moche. Car contrairement à ce que j’ai pu lire ça et là, le Frostbite 2 n’est pas trop mal utilisé ici. Alors certes, ce n’est pas Battlefield 3 tournant sur un PC à 15.000 euros… mais dois-je rappeler que ce même Battlefield 3, sur PS360, est loin d’être un maitre-étalon ? Pourtant, certains semblent s’étonner que The Run, développé par un studio de canards boiteux, soit moins beau qu’un FPS vitrine technologique et star incontestée des bacs de l’automne. Je sais bien que la réflexion n’est pas la vertu première du journaleux spécialisé en jeux vidéo, mais faudrait voir à ne pas dire des conneries aussi énormes… ça fait pas sérieux. Le jeu n’est pas moche donc, et propose des environnements pas très originaux, je vous l’accorde, mais généralement bien mis en scène, avec des chutes de neige, des éclairs qui strient le ciel, du sable porté par le vent qui gêne la visibilité, et tout un tas d’autre détails qui apportent un charme indéniable aux courses. Au final, seules les épreuves en villes sont véritablement ratées visuellement.
J’ai également beaucoup aimé le dynamisme de la réalisation, avec des mouvements de caméra incessants durant les drifts ou les chocs. Le changement de voitures est aussi très intelligemment amené, puisque vous piloterez régulièrement la même caisse. Pour en changer il faudra s’arrêter à une station-service, mais c’est facultatif et celles-ci ne sont pas présentes sur chaque tracé. Bien sûr, plus la course progresse, plus vous aurez accès à des petits bolides ultra rapides. Ce changement de « classe » se fait généralement à votre arrivée en ville, où vous vous trouvez quasiment à chaque fois contraints de fuir à pieds avant de trouver un garage vous donnant accès à de nouveaux véhicules. Au final, je n’ai dû utiliser en tout et pour tout que quatre voitures pour arriver au bout plutôt que d’en changer à chaque épreuve. Enfin, j’aimerai terminer sur un élément de gameplay qui tient de l’hérésie : Le backward. Déjà que je trouve cette mode du retour en arrière dans les jeux de caisse (Merci Forza) aussi débile que celle des QTE, ici la stupidité de cette fonctionnalité atteint son paroxysme, puisque la moindre sortie de route de plus d’un mètre (et je n’exagère même pas), sera sanctionné d’un rewind automatique. Et franchement, quand vous venez d’effectuer un dépassement en drift de toute beauté et que vous vous retrouvez obligé de revenir en arrière parce que vous avez mordu un peu le bas-côté, ça vous fout une rage, vous n’avez pas idée.
Honnêtement, il n’est pas aussi mauvais que je le laisse entendre. C’est juste qu’il n’a aucun intérêt par rapport à son ainé, bien meilleur et surtout bien moins cher. Et puis merde, pas une promesse n’est tenue… à tel point que même les plus véreux des politiciens sont outrés.
1 Commentaire
Need For Speed: The Run fait les choses à moitié
Ca confirme la mauvaise impression que j’ai eu avec la démo. Un concept potentiellement intéressant, mais trop scripté et avec une histoire naze. En plus perso j’ai trouvé que le jeu manquait de fluidité et ça m’a un peu gêné.