Après un retour sur The Nomad Soul et Fahrenheit, il est enfin temps de s’attaquer à Heavy Rain, dernière production de Quantic Dream et largement la plus ambitieuse (et la plus polémique).
J’ai décidé de faire une critique un minimum originale pour Heavy Rain histoire de compenser le fait qu’on ne se presse généralement pas trop pour vous proposer nos tests (et qu’on reçoit les jeux après leurs sorties, on ne veut pas qu’on parle de trucs en avant première, ils doivent avoir peur). Voici donc 4 visions du jeu à travers le style des 4 personnages du titre, qui bout à bout donnent mon ressenti global.
La critique d’Heavy Rain façon Madison Paige (journaliste)
Heavy Rain est l’aboutissement de ce que David Cage et son équipe ont commencés avec Nomad Soul et/ou Fahrenheit, on y retrouve pas mal de marques de fabriques , que ça soit pour le côté thriller, pour le découpage multiview popularisé par la série 24, pour le maniement de plusieurs personnages, pour une confrontation à des choix et leurs conséquences, et bien sûr, surtout, pour une mise en scène et une narration mises au premier plan (heureusement bioman jaune a cette fois été oublié). Heavy Rain est sans concession, ne révolutionne pas le jeu vidéo mais offre une vision différente de ce qu’il peut être, c’est déjà pas mal. Hybride entre un point & click avancé, un film interactif et un livre dont vous êtes le héros, il n’est pas un Dragon’s Lair-Like, pour preuve, en plus des déplacements « libres », rares sont les jeux où autant d’éléments du décor sont interactifs, même si pour les toucher et les utiliser on a droit à un milliard d’actions contextuelles (dont certaines, relativement rares, illisibles à cause d’un mauvais cadrage ou pour lesquelles, moins rares, on ne comprend pas à quelle action elles correspondent).
Avec une pluie magnifique, des décors ultra travaillés et vraiment criant de réalisme, tous différents et excellemment ambiancés dans un travail architectural phénoménal, on se sent vivre dans une vraie ville. Les personnages ont quant à eux droit à un niveau de détail pas inédit mais rare, avec une motion capture faciale bien classe même si l’Uncanny Valley est encore assez loin (au détour d’un regard de moule ou d’animations parfois robotiques qui tranchent avec l’excellence d’autres, on revient sur terre), ceci dit ça reste bien au dessus de la plupart des jeux vidéo actuels. Bon, maintenant je vous laisse, j’ai bien remarqué que vous n’arrêtez pas de me mater sous toutes les coutures, c’est déstabilisant comme lorsqu’un vieux pervers glauque me détaille, et puis je suis à la recherche d’éléments sur le « serial killer à l’origami » comme le nomme la presse, un tueur d’enfants.
La critique d’Heavy Rain façon Scott Shelby (détective privé)
J’ai enfilé ma gabardine cliché et enquêté un moment, je peux vous assurer que le système de déplacement « libre » d’Heavy Rain est discutable. D’après mes dossiers, Fahrenheit proposait déjà des déplacements un peu chaotiques puisque l’angle de caméra changeait sans cesse et laissait le joueur pantois devant son personnage qui se mangeait un mur trois fois de suite. Ici on ne dirige plus que ses pas en avant via un bouton d’accélération, et sa tête pour orienter sa direction. Selon les développeurs ça permet de se déplacer naturellement tout en leur permettant une mise en scène libre. Dans les faits si le système est simple d’utilisation en lui-même, les changements d’angles de vue font toujours régulièrement avancer le joueur dans des murs comme un neuneu robotique. D’après mes indices il semblerait qu’un gameplay simple en chase-cam manuelle n’aurait rien gâché du concept, au contraire, puisque de toute façon les plans bien particuliers susceptibles de dégager une émotion, un suspense, interviennent uniquement durant les mini-cutscenes et QTE. De plus rien n’empêchait d’ajouter les multiview au gameplay chase-cam… Selon plusieurs témoins la multiplication des plans est le pêché mignon de David Cage, mais trop de mise en scène tue parfois la mise en scène et ce au détriment du gameplay.
Les preuves que j’ai amassé montrent en tout cas que le gameplay n’est au final qu’un détail pour les développeurs, une simple justification plus ou moins profonde d’avoir une manette entre les mains. Selon mon ressenti, parce qu’un privé fonctionne surtout à l’instinct, cette décision est respectable de par le fait que les suspects (Quantic Dream) plaident, sans aucune protestation, coupables. Même si on ne sera pas tous en accord avec l’exploitation de la raison qui les a motivés à agir ainsi, je me suis laissé porter par leur récit sans pour autant adhérer à tout comme dit plus haut, mais en me laissant réellement porter par leur histoire. Bon, maintenant je vous quitte, j’enquête sur l’origami killer pour le compte des familles des victimes.
La critique d’Heavy Rain façon Ethan Mars (père déchu)
Heavy Rain est une histoire dans laquelle on plonge facilement et pour laquelle on veut absolument connaître le dénouement. Un thriller plus ou moins cliché (nécessaire ou non) qui m’a transporté et qui m’a parfois réellement tendu, voir, toutes proportions gardées, ému (faut dire que je suis assez sensible dernièrement). La façon d’impliquer le joueur dans les univers des personnages est astucieuse et pas si commune, peut-être parfois susceptible de subir les railleries des plus moqueurs qui n’apprécieront pas se sentir impliqué dans la vie des personnages (un en particulier) en leurs faisant boire un coup, mettre la table pour les enfants ou jouer avec eux dans le jardin (comme ils n’ont pas appréciés devoir travailler dans Shenmue…), mais sur moi l’empathie envers eux et leur descente aux enfers n’en ont été que plus palpable. Les QTE sont sans aucun doute les meilleurs réalisés depuis… Shenmue (dont Heavy Rain m’a renvoyé, vous le constatez, plusieurs aspects créatifs malgré leur différence apparente flagrante), parfois intenses et tous bien intégrés à l’image. Mais surtout, les choix auxquels nous sommes confrontés, leur construction, sont géniaux. On se demande véritablement quoi faire parce qu’ils vont modeler/changer l’histoire que l’on vit, on ne veut pas se tromper. On ne veut pas que tel personnage meurt parce qu’on y est attaché sachant que sa mort n’arrêtera pas l’histoire, elle continuera sans lui, on continuera sans lui. Un autre vecteur d’empathie puissant. Un travail de titan a été réalisé sur ces nombreux embranchements pour donner plusieurs possibilités au récit, pour le rendre propre au joueur qui le vit…
Qu.. je… qu’est-ce que je disais ? J’ai eu une absence… Je ? Je crois que je parlais du scénario. Bien que court, il raconte une histoire que l’on vit rarement dans un jeu et qui de ce fait, fait largement passer au dessus de ses maladresses et petites incohérences. Bon, le temps m’est compté, je dois retrouver mon fils…
La critique d’Heavy Rain façon Norman Jayden (profiler du FBI)
J’ai profilé Heavy Rain, c’est typiquement le jeu qui divisera les foules. Rares seront ceux qui trouveront un juste milieu entre l’adoration et la haine envers ce titre, et chacun a potentiellement des raisons valables. Les uns se laisseront porter par l’histoire, par les personnages, par les choix, par la bande son très chouette de Norman Corbeil, tout simplement par leur ressenti et leurs émotions. Les autres se sentiront frustrés par des actions contextuelles pour tout et rien, par des déplacements chaotiques ou jugeront la moindre petite faille technique. Mon statut neutre de profiler m’empêche de vous dire que j’appartiens à la première catégorie, donc je m’abstiendrais et pour la peine je vais m’envoyer un shoot de Tripo avant d’être en manque… Sniiiiiiiiiif. Ok. Qu’est-ce que c’est que ce barman qui me file des conseils ? Il sort d’où ce con ? Oui monsieur je sais que c’est dangereux la drogue oui ! Quoi ? Je devrais regarder dans mes lunettes ARI parce que j’ai des nouveaux indices ? Mais vous êtes quoi comme sorte de barman vous ? M’enfin c’est vrai que pour profiler heureusement que j’ai mes lunettes et mon gant ARI, ustensiles de réalité augmentée super cools qui permettent de déceler des indices (odeur particulière, trace de sang etc) sur une scène de crime ultra facilement et précisément, mais aussi de modifier un bureau pourri en un havre de paix au milieu des montagnes, ou encore de jouer à la balle quand j’me fait chier. Un gadget vraiment sympa digne d’un super film d’anticipation.
J’ai beau être le personnage le moins charismatique de l’histoire au moins j’ai un gadget sur lequel on aimera s’attarder et qui sera une source de motivation pour ne pas me laisser mourir. D’autant plus que le côté good cop/bad cop d’avec mon connard de coéquipier est maladroitement rendu et sans tellement de profondeur ni de conséquence, mais j’offre au moins quelques bastons et courses poursuites intenses. D’ailleurs je vous laisse, je crois que je suis sur une piste pour l’affaire de l’origami killer.
Bonus
Je reviens dans ma propre (moins confortable mais j’y suis habitué) peau de passionné de jeux vidéo, avec le vécu qui est le mien, plus ou moins lourd, ma façon de penser, mes peines enfouies et ma dérision de surface. Je tenais à le faire parce que ce modeste exercice de style auquel vous venez d’assister ne me permet pas de vous parler d’un point très particulier que m’a renvoyé Heavy Rain, au-delà de tous les aspects techniques qui font ce qu’un jeu est. Le titre de Quantic Dream est une succession de scènes véhiculant diverses ambiances et émotions, il y a une valeur empathique qui peut les appuyer mais je voudrais également m’affranchir de tout argument de game design, de narration, de code grammatical… Pour la raison simple que certains passages m’ont renvoyés à mon propre vécu : Ce moment profondément déprimant d’un père seul qui tente de s’occuper de son enfant, tous deux fantomatiques, frappés par un drame familial et incapables de communiquer entre eux si ce n’est que pour se balancer des phrases de surfaces, des mots sans importance. Leur histoire est différente de la mienne mais la scène m’a foudroyé d’un souvenir tellement peu agréable, tellement triste et déprimant. Je suis resté quelques secondes le regard vide, flottant dans ma mémoire. D’autant qu’il laisse derrière lui un autre passage où ces deux personnages sont très heureux, avec les leurs… Comme pour une réelle vie où suite à une tragédie les choses ne sont plus jamais comme avant.
Jamais je n’ai ressenti ça dans un jeu vidéo, quelque chose qui vient chercher mes propres failles, même si ce n’était évidemment pas volontaire de la part des développeurs. Il en reste que s’ils avaient laissés de côté ces passages bien particuliers pour y mettre de l’action non stop à la place, jamais les développeurs n’auraient pu réussir à renvoyer à quelqu’un une scène marquante de sa propre existence, avec les bagages affectifs que ça comprend, sans avoir pris ce risque. Sans avoir tenté de véhiculer une émotion. On pourra toujours discuter de la façon de le faire, des maladresses techniques et du parti pris niveau gameplay, toujours est-il qu’Heavy Rain est le seul à m’avoir fait ressentir ça dans un jeu…
Heavy Rain est atypique et tient sa promesse d’une histoire qui passe avant tout le reste. Avec son gameplay bien à lui, doté de choix cornéliens dont certains ont de vraies conséquences, il est vraiment plaisant de modeler le scénario à sa façon. Ce n’est pas une révolution, mais c’est un jeu différent qui cherche l’émotion et ça, c’est tellement bien !
1 Commentaire
Heavy Rain, une histoire de choix
Une aventure qui mérite d’être vécue, même si bien loin d’être parfaite (bonjour les incohérences scénaristiques…).