Après la saga Ace Attorney sur GBA et DS, Shu Takumi revient avec une nouvelle licence drôle et inventive. Espérons qu’elle connaisse le même succès…
Ôde au Point & Click
S’il y a bien un genre qui n’a pas su évoluer au fil des années, c’est bel et bien le Point & Click. Au contraire, là où la plupart des genres se sont améliorés à force d’innovations, le jeu d’aventure lui s’est englué dans ses mécaniques archaïques et n’a fait que régresser au cours des années. En effet, si on regarde l’histoire du P&C, on note que chacune des modifications de gameplay apportée au genre, n’ont fait que le tendre vers le tout accessible, limite film interactif. Durant ma folle jeunesse, le jeu d’aventure s’apparentait essentiellement à une chasse au pixel où le joueur était laissé à la dérive, livré à lui-même face à des énigmes particulièrement tordues qui nous faisaient régulièrement associer le pixel jaunâtre de l’écran 1 avec le pixel brunâtre de l’écran 2, afin d’activer l’amas de pixels bleuâtres de l’écran 3. Et le pire, c’est que nous autres aventuriers vidéoludiques, nous aimions ça et en redemandions !! Puis, la technologie a progressé et les amas de pixels se sont transformés en superbes sprites colorés, tel le crapaud qui se mue en prince charmant. Ce fut un véritable choc pour les joueurs de mon époque, qui découvraient alors qu’un rasoir électrique pouvait ressembler à autre chose qu’ à trois pixels maladroitement juxtaposés… et forcément, les objets étant d’avantage différenciables, la difficulté s’en trouvait considérablement ammoindrie.
A partir de ce moment, les choses se sont accélérées. D’abord, les développeurs (ou était-ce plutôt les éditeurs ?) ont décidé que des sprites bien dessinés, ce n’était pas suffisant. Donc il a fallu les faire ressortir d’avantage à l’écran, qu’on ne voit plus qu’eux (façon briques luminescentes dans Uncharted). Mais c’était encore trop compliqué, alors on a sucré les actions verbales « Utiliser », « Donner », « Prendre », … pour les remplacer par des actions contextuelles automatiques. Alors certes, « Parler » à une porte n’a jamais résolu une énigme, mais ce type d’action donnait souvent lieu à des remarques désopilantes du héros et nous laissaient un sentiment de semi-liberté désormais bannie de tout jeu d’aventures. Je me souviens encore de la première fois où j’ai voulu « Prendre » la secrétaire de Gabriel Knight (j’étais jeune et fougueux à l’époque, et j’arborais une coupe mini vague très avant-gardiste). Je me doutais bien que le libraire n’allait pas soudainement se jeter sur sa jeune employée pour la prendre sauvagement en levrette sur la caisse enregistreuse, mais ça faisait marrer le jeune de 18 ans, forcément con et attardé, que j’étais. Et le pire, c’est que les développeurs guère moins graveleux que moi, avaient prévu le coup en offrant à Gabriel la réflexion qui s’imposait pour déclencher le rire gras des milliers d’ados qui avaient eu la même idée que moi.
Capcom , ce héros
Le gameplay contextuel a considérablement pourri le Point & Click, mais il restait encore trop complexe pour l’éditeur, soucieux de délester le joueur de la moindre once de discernement. Alors ils ont inventé le bouton magique qui permettait d’afficher en surimpression, tous les objets interactifs visibles à l’écran… histoire que le pauvre clampin abruti qui serait passé à coté de la corde en surbrillance au premier plan, puisse enfin la remarquer (la prochaine étape, c’est le néon rouge clignotant). Après, malgré une maniabilité définitivement appauvrie, quelques titres ont réussi à tirer leur épingle du jeu… des titres comme Runaway par exemple. Mais c’était sans compter sur la 3D, que certains développeurs ont eu l’ingénieuse idée d’associer avec des plans fixes 2D, histoire que l’incrustation des personnages tridimensionnels se fasse le moins naturellement du monde dans le décor. Encore aujourd’hui, ce fléau continue de plomber le jeu d’aventure. Et ce n’est pas les Secret Files, ou plus récemment Gray Matter (en test prochainement), qui me fera dire le contraire. Enfin, la dernière trouvaille en date pour annihiler toute résistance du genre, est une merveilleuse trouvaille française (cocorico), avec la création du tout premier Point & Click injouable : Heavy Rain (Ceci dit, la technologie qui consiste à émuler la souris le moins efficacement possible, avait déjà été éprouvée dans le précédent titre du studio, Fahrenheit).
Le constat est sans appel : Le Point & Click est un genre à l’agonie, animé de quelques soubresauts passagers qui nous donnent l’illusion qu’il peut encore renaitre de ses cendres (un peu comme un canard étêté qui continue de cavaler). Heureusement, le genre s’est trouvé un sauveur, il se nomme Capcom ! L’éditeur japonais, jamais avare en créativité, avait déjà tenté une première fois de faire basculer le Point & Click vers la voie de la guérison, grâce à Zack & Wiki sur Wii. Le titre tirait efficacement partie de la wiimote pour offrir une nouvelle maniabilité, parfaitement jouable au genre (je ne vais pas revenir sur ses innombrables qualités, vous n’avez qu’à lire le test au bout du lien). Malheureusement, la Wii étant ce qu’elle est, le jeu a fait un flop retentissant, et avec la licence, l’espoir s’est envolé. Mais aujourd’hui, l’optimisme refait surface, une nouvelle fois grâce à Capcom et un certain Shu Takumi, génialissime concepteur de jeux vidéo, comme nombre de ses compatriotes, et créateur de la non moins génialissime série Phoenix Wright. Cette note d’optimisme, s’appelle Ghost Trick.
La mort vous va si bien
Car Ghost Trick est un Point & Click d’un nouveau genre. On y incarne un mort, ou plutôt son esprit, qui s’éveille soudainement face à la scène la plus incongrue qui soit : Une jeune femme rousse menacée par un tueur à gage type années 30, armé d’un fusil doré, au beau milieu d’une décharge, avec entre les deux protagonistes un cadavre gisant dans une position des plus stupide. Très vite, la situation déjà bien cauchemardesque (forcément, vu que vous êtes mort), va s’empirer et ce qui devait arriver arrive : La jeune femme se fait assassiner. Heureusement pour elle, si votre esprit est embrumé et votre mémoire aux abonnés absents, vos pouvoirs eux vont s’activer. D’abord, le premier d’entre eux : La possibilité de posséder des objets et d’activer leurs différents mécanismes (ouvrir un frigo, déclencher un ventilateur, appuyer sur un interrupteur, etc.). En passant de l’un à l’autre, vous pouvez alors vous déplacer dans le monde réel… avec pour seule restriction, une distance très limitée qui vous oblige alors à user efficacement des choses qui vous entourent pour vous frayer un chemin (et bien sûr, pour la raison évidente que nous sommes face à un jeu, tous les objets ne peuvent être possédés… si on pouvait prendre le contrôle du fusil pour l’empêcher de tirer, il n’y aurait plus d’énigme). Le second, et non moins important, c’est de remonter le temps. Pas à n’importe quel moment, et pas autant que vous le souhaitez, mais en prenant possession d’un cadavre, il vous est possible de revenir quatre minutes avant la mort de ce dernier. Le jeu se déroule alors en trois phases distinctes.
La première, c’est lorsque vous évoluez dans le présent, où la majorité de votre réflexion tournera autour de « comment je peux me rendre là ? ». La seconde est une phase d’observation. Lorsque vous revenez dans le passé, vous assistez en direct aux dernières minutes de la vie du cadavre concerné. C’est à ce moment que vous prenez conscience de la situation et que vous décelez les premiers indices qui vous permettront de modifier le destin. Enfin la troisième, dans le passé elle aussi, c’est lorsque vous devez tout mettre en œuvre pour sauver la personne condamnée. A ce moment là, le jeu entre dans une course contre le temps, où l’action que vous avez précédemment observé, se déroule à nouveau en temps réel. A vous de réfléchir vite et bien, et trouver le bon timing pour agir. De ce coté là, le jeu s’en sort admirablement bien, ne serait-ce qu’au point de vue des énigmes en elles-mêmes, dans la droite lignée des absurdités qu’a pu nous pondre le Point & Click durant ses années d’existence. Mais en plus, les développeurs ont su imprimer un rythme en faisant progresser le gameplay et en diversifiant les situations au fur et à mesure de votre avancée ; à l’image d’un bon jeu d’action ou d’un RPG, tout cela dans le but évident de rendre les énigmes de plus en plus complexes.
Je rêvais d’un autre monde
Outre son gameplay original et addictif, le jeu multiplie les qualités. D’abord, il est absolument magnifique ! Oui je sais, vous ne jurez que par la HD et arrivez à trouver des titres comme Alan Wake, moches… ce n’est pas aujourd’hui qu’on va vous rendre moins con. Mais pourtant, malgré qu’il s’agisse d’un jeu DS, le jeu est beau. Le chara-design est exemplaire et rappellera aux habitués, les nombreux excentriques croisés dans les différents opus de Phoenix Wright. Les couleurs sont chatoyantes sans jamais tomber dans le mauvais goût ou le trip sous acide, et les détails pullulent en avant comme en arrière plan. Pour ne rien gâcher, le titre est servi par ce qui, je pense, se trouve être les meilleures animations jamais vues dans un jeu vidéo, toutes plateformes confondues. Bien sûr on n’obtient pas ici la justesse d’une motion capture (il n’y a qu’à voir la démarche extraordinairement naturelle des héros et héroïnes d’Heavy Rain), encore que, mais en plus ces animations excellemment bien décomposées nous offrent quelques grands moments d’hilarité (je pense notamment à la démarche de Cabanela, qui n’est pas sans rappeler un certain sketch des Monty Python, ou à la danse du mal de bide…). Ajoutez à cela une histoire intrigante et bien ficelée, qui nous tient en haleine et multiplie les rebondissements, des dialogues drôles et bien écrits et une durée de vie convenable, et vous obtenez le meilleur jeu d’aventures depuis la sortie du premier Runaway.
Malheureusement, j’ai bien peur qu’une fois encore, les efforts de Capcom soient vains ; comme ils avaient pu l’être avec Zack & Wiki. La DS est en perte de vitesse, les linkers R4 sont tellement populaires que plus aucun jeu ne se vend convenablement sur cette console et les joueurs sont connus pour avoir des goûts de chiottes. Ça fait beaucoup trop de conditions défavorables pour que le jeu puisse rencontrer le succès escompté qui permettrait à la licence de s’offrir une suite. Alors je pars en croisade pour porter haut l’étendard du Point & Click, que le jeu d’aventures sorte enfin de sa décrépitude, redore son image tant de fois écornée et accueille à nouveau les pèlerins par milliers. Qu’on acclame la prise de risque, qu’on admire l’innovation, qu’on plébiscite la créativité, qu’on adule le talent… Pardonnez-moi, je divague, je lance des idées comme elles me viennent, comme ça à brûle-pourpoint, sans me soucier le moins du monde de l’absurdité de mes paroles… l’espace d’un instant j’ai cru vivre dans un autre monde.
Un véritable chef d’œuvre, inventif, créatif, drôle, passionnant, intriguant et renouvelant le Point & Click avec maestria.
4 Commentaires
Ghost Trick, histoire de fantômes japonais
Non mais les mecs, des fois faut arrêter avec les lightbox hein. Quand on clique sur le test de Zack&Wiki, ça devrait s’ouvrir dans une vraie fenêtre, pas dans une box. Niveau ergonomie, ça vaut Heavy Rain…
Ghost Trick, histoire de fantômes japonais
En principe on met une lightbox sur les liens externes mais pas les liens internes, c’est de la faute de Fylo 😀 Déjà qu’il linke juste ce qu’il a écrit il est pas foutu de bien le faire :p
Ghost Trick, histoire de fantômes japonais
Parce que j’ai un exemple type sur un doc word que je copie colle à chaque fois que je fous un lien… trop la flemme de refaire un lien propre à chaque fois. 😀
Ghost Trick, histoire de fantômes japonais
Zack & Wiki est en effet génial, je suis dessus en ce moment. Quant à ce Ghost Trick il me faisait déjà bien envie mais là je vais être obligé de craquer…