Beaucoup d’encre a coulé pour parler du dernier né de CD Projekt, mais au-delà de la polémique et des actions en justice, que reste-t-il de cette virée à Night City ?
Imaginez : La première fois que Cyberpunk 2077 a fait parler de lui, c’était il y a 8 ans ! Huit ans, c’est dire comme de l’eau a coulé sous les ponts depuis. The Witcher 3 n’était même pas encore sorti à cette époque. Mais voilà, cet univers est un monument de la pop culture et parle énormément aux gamers, que ce soit au travers de la littérature de Gibson et Sterling notamment, du célèbre JDR de Pondsmith, du cinéma (Blade Runner, Tron, Ghost in the Shell, Total Recall, etc.) ou même du jeu vidéo (Deus Ex, Syndicate, Perfect Dark, etc.). Ces éléments, associés au succès phénoménal du troisième épisode du sorcelleur, ont fait que Cyberpunk 2077 a cristallisé des attentes hors norme de la part des joueurs, comme seuls les jeux Rockstar nous y avaient habitués jusqu’à maintenant. Et quand je parle de gamers, je me mets bien évidemment dans le lot. Car des romans cyberpunk, j’en ai lu à la pelle. Le jeu de rôle éponyme fut mon tout premier, alors encore édité en anglais. Quant à The Witcher, j’ai fait, terminé et adoré les trois épisodes, DLC compris. Alors oui, mes attentes vis-à-vis de Cyberpunk 2077 étaient gigantesques ; mon impatience sans doute plus grande que pour un GTA ou toute autre grosse licence de l’industrie. Alors quand « l’Affaire Cyberpunk » a éclaté, je me suis retrouvé comme beaucoup j’imagine, dans un état émotionnel flottant entre la déception, la colère mais aussi l’impatience, la curiosité et le doute. Il fallait que je constate par moi-même, de l’état de ce jeu tant fantasmé.
Hello Night City
Pour commencer, il est important de noter que j’ai arpenté les rues de Night City sur Series X ; dans sa version non optimisée pour la nouvelle génération, mais au moins je n’étais pas sur ma vieille Xbox One. Du coup, si mon expérience n’était pas dénuée de bugs, loin de là, cela reste à priori à des années lumière de l’état des versions Flat et influe, forcément, sur mon plaisir de jeu. C’est d’autant plus vrai que le principal reproche fait aux versions old gen, tournent autour du manque de vie et de PNJ dans les rues de Night City alors qu’à mon sens, il s’agit sans doute de la véritable héroïne de cette histoire, ou tout du moins sa clé de voute.
Car cette ville de Night City est tout simplement la ville la plus folle qu’il m’ait été donné de voir dans un jeu vidéo. Certes, la taille de la map n’a pas le gigantisme de certaines mais reste suffisamment grande pour s’y perdre. Mais surtout, si on excepte le petit bout de badlands un peu plus vierge, c’est une map extrêmement dense que nous propose le titre de CD Projekt. Dense pas la quantité de rues et de bâtiments, mais dense également par sa verticalité et son nombre impressionnant d’intérieurs.
Mais au-delà de son architecture, Night City brille par son ambiance unique. Unique de par sa population, bouillonnante et excentrique, bardée d’implants cybernétiques et vêtue de fringues tout aussi bariolées que délurées. Unique de par sa mixité culturelle, à mi-chemin entre l’Amérique du Nord et le Japon, comme si la ville était née d’un coït sale et brutal entre New York et Tokyo. Unique par l’omniprésence des corporations qui régissent l’ensemble de la société et creusent les inégalités. Unique par l’ultra sexualisation de cette cité épicurienne, limite libidineuse, qui affiche sans détour son amour pour le sexe et la perversité. Unique par la violence affirmée et assumée de gangs qui vivent au grand jour et rythment le quotidien de Night City à coups de « cracheurs », le terme argotique qui désigne une arme à feu.
Docteur Johnny et Mister V
Mais assez parlé de la ville, il est temps de parler du jeu derrière tout ça. Cyberpunk 2077 est l’histoire de V, homme ou femme issu(e) des badlands/corpo/rues malfamées (rayez les mentions inutiles, en fonction de votre choix de départ), se retrouvant embarqué(e) dans une affaire qui le/la dépasse : le vol d’une biopuce détenue par l’une des plus influentes corporations, Arasaka ! De rebondissements en péripéties, cette biopuce va se retrouver fichée dans le cerveau de notre héro(ïne)s, qui se verra alors contraint(e) de cohabiter avec le construct de Johnny Silverhand, un terroriste disparu 50 ans plus tôt, interprété ici par Keanu Reeves. Plus qu’un guest de luxe, l’acteur américain y tient un rôle tant majeur que particulièrement malin, d’autant plus lorsqu’on sait que, quelques années auparavant, il tenait le rôle principal de Johnny Mnemonic dans le (mauvais) film tiré d’une nouvelle de l’un des papes du Cyberpunk, William Gibson. La boucle est bouclée.
L’histoire principale en elle-même est plutôt intéressante et très plaisante à suivre, même si pas forcément toujours bien mis en scène. Mais surtout, elle s’accompagne de nombreuses quêtes annexes d’importance variable. Car si le jeu ne passe malheureusement pas à côté de quêtes remplissages (les quêtes Delamain, quelle plaie !), de contrats de moindre importance et de courses aux collectibles, il propose aussi quelques quêtes annexes s’imbriquant parfaitement dans l’histoire principale. Celles-ci pourront même avoir un impact sur la fin du jeu. Et puis, ces quêtes sont souvent l’occasion d’approfondir les relations de V avec la formidable galerie de personnages secondaires qui gravitent dans son orbite. Bref, si elles ne sont pas forcément nécessaires pour terminer le jeu, il serait dommage, voire dommageable, de passer à coté.
Sur mesure
Contrairement à The Witcher, la licence phare du studio, notre héros (ou héroïne donc) est défini par le joueur. C’est ainsi lui qui choisit son sexe (littéralement), ses traits, jusqu’à la longueur/couleur de ses ongles. Et s’il est possible de créer un personnage transsexuel ou de choisir la taille de ses tétons, il est étrangement impossible de créer un avatar petit ou gros. L’outil de création de personnage se veut donc bizarrement riche et détaillé sur certains points, comme la taille de son sexe, la « coupe » de ses poils pubiens, la taille de ses ongles ou la couleur de ses boutons par exemple, mais à la fois pauvre et bridé, comme par exemple sur la taille et le poids du personnage, les choix de nez, d’yeux ou de mâchoire prédéfinis et non paramétrables, etc. Tout aussi étrange, une fois le personnage créé et le jeu lancé, il devient impossible de changer sa coupe de cheveux ou ses tatouages. A croire que les coiffeurs de 2077 n’ont pas survécu au confinement, survenu 57 ans auparavant. Bref, outre son apparence, le joueur va également devoir définir pour son ou sa V, son origine et ses compétences.
Pour l’origine, le choix est restreint à trois propositions : Les badlands, des étendues sauvages et arides en périphéries de Night City, les rues malfamées des quartiers pauvres de la ville, ou enfin le monde cruel et impitoyable des corporations, ou plutôt de la corporation… Arasaka (encore elle). Ce choix modifiera notamment le début de l’histoire (grosso modo la première heure) et influera sur votre comportement tout au long de votre aventure, avec des choix de dialogues particuliers intervenant à certains moments clés. Notez qu’après une partie terminée en Corpo et une autre en cours en Nomade (Badlands), je n’ai pas l’impression que ça bouleverse grand chose dans l’histoire, mais l’intention est plutôt louable et amène un poil de diversité. C’est toujours ça de pris.
Pour les compétences, c’est tout autre chose. En effet, celles-ci se découpent en 5 catégories : La Constitution, les Réflexes, la Capacité Technique, l’Intelligence et le Sang-Froid (à noter qu’une sixième est brouillée… pour un futur DLC, peut-être). Tout au long de votre partie, au fur et à mesure de votre montée en niveaux, vous pourrez dépenser à loisir des points d’expérience dans ces différentes compétences, pour améliorer vos capacités physiques, votre maniement des armes, vos facultés à crafter ou à pirater, ou encore votre niveau d’infiltration. En sus de ces points de compétences, vous pourrez acheter des aptitudes spécifiques à chacune de ces catégories, comme des bonus aux coups critiques pour les fusils d’assaut, les revolvers ou les armes blanches, des nouveaux daemons pour pirater ordinateurs, caméras et ennemis alentours, ou encore la possibilité de crafter armes et équipements de rareté croissante.
La panoplie à disposition est large, et le level cap de votre personnage étant fixé à 50 (et une partie peut très bien se terminer sans dépasser le niveau 20), comprenez que vous ne pourrez pas acheter toutes les compétences et aptitudes que propose le jeu. A chacun alors de définir s’il souhaite créer un gunfighter expert en armes à feu, un samuraï tranchant ses ennemis à la vitesse de la lumière, un netrunner prompt à leur griller le cerveau en piratant leurs implants, un espion qui ferait passer Sam Fisher pour un gros lourdaud bourrin ou un mix d’un peu tout ça à la fois. C’est d’ailleurs sans doute là que réside tout le sel de la dimension RPG du titre, car ce choix vous permettra d’aborder les missions sous différents angles possibles. Sachez toutefois que le gameplay du jeu pousse à l’action. D’abord parce que le fealing des armes à feu est plutôt bon et parce que les déplacements du personnages, entre courses, dash, glissades et cover, sont particulièrement bien rendus. Ensuite, sans doute aussi parce que l’approche infiltration l’est bien moins, gâchée notamment par l’Intelligence Artificielle déplorable. De plus, il ne sera malheureusement pas possible de résoudre la plupart des missions par le dialogue, comme c’était le cas dans Deus Ex ou d’autres titres du genre.
Mal alpha
Et puisqu’on en est à parler déception, il est temps d’aborder l’épineux sujet des nombreux problèmes (défauts, bugs…) que se traine le jeu. Alors je ne vais pas revenir sur les histoires de remboursements et de disparition sur le store Playstation, car pour moi ça ne concerne que les versions Flat pour lequel le jeu n’est clairement pas destiné. De plus, les responsabilités sont nombreuses dans ce dossier : D’abord la responsabilité de CD Projekt bien entendu, qui a sans doute eu les yeux plus gros que le ventre et s’est empêtré avec un titre trop ambitieux pour ces consoles, pourtant massivement concernées par les précommandes. Ensuite, la responsabilité des actionnaires, qui mettent la pression sur les studios pour que les jeux sortent à temps, afin qu’ils puissent figurer en bonne place dans les résultats fiscaux annuels et leur rapporter un max, au détriment de la qualité et de la finition ou du bien-être des développeurs. Enfin, la responsabilité des constructeurs Sony et Microsoft, qui ont transformé le marché en véritable usine à gaz, avec leurs consoles mid-gen (PS4 Pro et Xbox One X) sur lesquelles d’ailleurs, Cyberpunk 2077 tourne déjà bien mieux. Donc s’il n’est pas question de défendre CD Projekt pour ce fiasco, certains devraient tout de même commencer par se regarder le nombril avant de porter plainte ou de dénoncer une situation qui est malheureusement devenue monnaie courante dans l’industrie du jeu vidéo.
Bref, si le jeu est truffé de bugs, il faut toutefois reconnaître qu’avec 70 heures de jeu à mon actif, je n’en ai encore pas rencontré un seul qui soit véritablement bloquant ; la plupart étant des bugs d’affichage. Le pire que j’ai eu, c’est un bug qui m’a permis d’infiltrer une base ennemi en sifflotant, les gardes ne me considérant pas comme un intrus. Ça m’a amusé plus qu’autre chose, et puis j’ai rechargé ma save pour la faire correctement. Un autre bug pénible, m’a poussé à recharger maintes fois ma save : c’est un bug d’affichage lorsque le personnage ramasse un objet. En effet, lorsque vous ramassez un objet quelconque, celui-ci s’affiche dans le hud via une fenêtre un poil envahissante. La plupart du temps, ça dure l’espace d’une seconde avant de disparaitre comme c’est apparu. Mais parfois, la fenêtre se fige et seule une sauvegarde/recharge permet de la supprimer de l’écran (merci les loading ultra rapides de la Series X). A d’autres moments, ce sont des dialogues qui se figent, notamment les conversations téléphoniques lorsqu’on conduit, ou qui viennent se superposer à une autre conversation liée à la mission en cours.
En sus de ces bugs, le jeu est également entaché de nombreux défauts de conception. D’abord il y a l’I.A., parmi les plus déplorables qu’il m’ait été donné de voir dans un triple A. Que ce soit les ennemis qui adoptent un comportement des plus étranges et parfois restent même bloqués à l’endroit de leur spawn, vous obligeant à aller les chercher pour débloquer l’étape suivante de la mission (cf. la mission finale avec Panam). Mais aussi les véhicules, qui vont se figer en file indienne derrière vous, sitôt que vous arrêterez votre voiture au milieu de la rue ou, pire, si vous vous garez sur le trottoir mais que vous mordez un peu sur la chaussée. Il est d’ailleurs étrange que vous puissiez piloter une moto, mais n’en croiserez par contre aucune autre en jeu. Et ces véhicules justement, auto comme moto, bénéficient d’une conduite absolument exécrable qui transformera d’ailleurs la mission de course dans les badlands en véritable enfer. Car si avec le temps, on finit par gérer un minimum le pilotage sur bitume, la conduite hors piste elle, reste absolument ingérable.
Mais au-delà de ces deux tares majeures, Cyberpunk 2077 se pare d’une multitude de petits défauts plus ou moins pénibles. Pêle-mêle, je citerais cette idée stupide de contacts par téléphone avec les différents fixers de la ville, qui passeront leur temps à vous appeler à chacun de vos déplacements et pour lesquels vous n’aurez d’autre choix que de décrocher l’appel (alors qu’on vous laisse l’illusion du choix via la croix directionnelle). Je citerais également l’interface inutilement lourde, les flics qui pop subitement lorsqu’on commet un crime, les fringues qu’on ne peut pas essayer avant d’acheter (on ne peut pas décider de ne pas afficher son chapeau/masque aussi), les personnages de romances qui deviennent de simples PNJ sitôt que vous avez conclu ou encore la bouffe et les boissons absolument inutiles.
A l’arrivée, Cyberpunk 2077 n’est sans doute pas LE jeu qu’on attendait tous ; sans même parler des bugs, de l’I.A. désastreuse et des problèmes liés aux versions old gen. J’aurai aimé une mise en scène plus grandiose et des missions d’anthologie. J’aurai aimé personnaliser davantage mon avatar, mes véhicules, mes appartements, gravir les échelons de la ville pour m’installer tout en haut de la tour Arasaka par exemple. J’aurais aimé que le piratage ne s’arrête pas à une simple ligne de codes sur un ordinateur copié collé, mais qu’on puisse effectuer de véritables plongées dans le cyberspace (en dehors des quelques moments scriptés en mission). J’aurai aimé plus d’interactions avec les PNJ et écrire ma légende à Night City, avec cocktail à la clé servi à l’Afterlife. A force de trop l’attendre, on a sans doute fini par trop le fantasmer, et à l’arrivée on est forcément déçu. Toujours est-il que le jeu de CD Projekt n’en reste pas moins une formidable immersion dans l’univers de Pondsmith. J’y retrouve cette ambiance unique que je rêvais en lisant les bouquins de Sterling et Gibson étant ado. A l’arrivée donc, il reste tout de même un jeu fantastique au gameplay bien pensé, au scénario bien écrit, plongé dans une ville extraordinaire. Il ne lui manque plus qu’une version X|S/PS5 à la hauteur de ce que propose les gros PC nourris aux hormones, de nombreux patchs pour corriger les bugs et des DLC à la hauteur de Hearts of Stone et surtout Blood & Wine de The Witcher 3.