Crise du Jeu Vidéo : Mais où va-t-on ?

5

Le monde part en couilles. Mais le monde du jeu vidéo, peut-être un peu plus encore que les autres…

A moins de vivre avec des œillères et de n’utiliser Internet que pour y lire les critiques et articles passionnants de Polygamer, vous n’êtes pas sans savoir que l’industrie du jeu vidéo licencie à tour de bras depuis un peu plus d’un an et demi maintenant. En effet, ces derniers temps il ne se passe pas un mois sans qu’un gros acteur de l’industrie n’annonce se séparer de tel ou tel studio, ou se délester de tel pourcentage de sa masse salariale. Bien évidemment, lorsqu’il s’agit du jeu vidéo et quand ça touche un studio qu’on aime bien, ou tout simplement par l’empathie qu’on éprouve toutes et tous envers David dans son combat contre Goliath, on se sent soudainement une âme de gauche et on s’insurge contre des décisions qu’on juge injustes et désastreuses ; moi le premier. Alors je ne suis pas le plus grand spécialiste de la question, ni même un économiste de renom prompt à arpenter tous les plateaux télé de CNews et BFM TV, mais après l’émoi des premiers jours (enfin, premiers mois plutôt), j’ai cherché des raisons et les solutions à tout cela et vous fait part, humblement, de mon analyse. Elle vaut ce qu’elle vaut…

Covid-24

Faut bien avouer que la période Covid, c’était une drôle d’époque… (image Midjourney)

Avant de parler de jeux vidéo, il me paraît opportun de remettre un peu de contexte et d’histoire derrière tout cela. Souvenez-vous, il y a 5 ans un virus frappait le monde de plein fouet, bouleversant les habitudes de chacun (notamment dans les pays riches) et frappant l’économie mondiale au visage. Au Printemps 2020, puis à l’Automne et au Printemps suivants, le monde entier était à l’arrêt ou presque pendant plus d’un mois, avant de reprendre progressivement l’activité, tâtonnant avec des nouvelles conditions de travail, hygiéniques (masques, gels, distanciation sociales, etc.) et sociétales (télétravail massif, exode rural…). Ces changements ne se sont pas fait par magie et des investissements ont été réalisés massivement par les gouvernements pour aider les entreprises à affronter cette crise sanitaire. On ne va pas faire de politique politicienne ici, ce n’est ni le lieu ni le propos, mais il ne faut pas sortir de Saint Cyr pour deviner que lorsqu’on vous prête de l’argent, il faut à un moment où un autre que quelqu’un rembourse.

Bref, les derniers rapports de la Banque Mondiale et du Fond Monétaire International sur les perspectives économiques, notent que la croissance du PIB sur ces 5 ans est la plus faible enregistrée ces 30 dernières années et qu’en 2022 l’inflation a atteint un pic qui n’avait plus été vu depuis 1980, notamment dans la zone Euro.  A cela s’est ajouté début 2022, l’invasion de l’Ukraine par la Russie qui a déclenché dans son sillage toute une batterie de blocus économiques dans les deux camps, dont le résultat est un envol du prix du gaz en particulier, mais de l’énergie de manière générale (sans parler de la hausse sur le blé, etc.). On rajoute une couche avec la transition énergétique du fossile vers l’énergie verte qui a elle aussi un coût, et donc la flambée des frais de transports, qu’ils soient routiers, maritimes ou aériens. Et enfin, on termine avec une situation géopolitique explosive au Moyen Orient, qui rend les investisseurs frileux. Bref, encore une fois je ne suis pas expert en économie, ni en géopolitique, mais même si le trait est un peu (beaucoup) grossit, je pense que vous avez compris le concept : C’est la merde !

Années noires

Du coup, l’industrie du jeu vidéo a beau brasser une montagne de pognon (187 milliards de dollars de revenus en 2023, soit +2,6% par rapport à 2022), les perspectives économiques de manière générale ne sont pas réjouissantes, même si elles vont en s’améliorant paraît-il. Dès lors, les grands groupes préfèrent anticiper et réduire leurs frais de fonctionnement (aka, les salaires, les loyers et autres frais inhérents), plutôt que de puiser dans leurs réserves. D’une part parce que c’est toujours plus simple de virer un gars à 1.500 kilomètres de chez toi que de baisser tes primes, ensuite parce qu’il faut rassurer les actionnaires pour éviter qu’ils se barrent ailleurs. C’est triste, mais si vous souhaitez renverser le capitalisme, je vous souhaite bien du courage… perso j’ai jeté l’éponge et j’attends l’apocalypse ou une invasion zombies pour changer la donne (et encore).

Après avoir vanté les qualités du jeu, l’avoir porté sur d’autres machines et prétendre que c’est le genre de titres dont le Gamepass a besoin dans son catalogue, Microsoft a fermé le studio qui l’a réalisé…

Toutefois, si Unity a licencié 25% de son effectif (1.800 salariés), Electronic Arts près de 700 salariés, Epic 800, Take Two près de 600 employés dont le studios Roll7 derrière OlliOlli et Rollerdome, Sony 900 postes, et dernièrement Microsoft qui a fermé des studios réputés comme Arkane Austin (Prey, Redfall) et Tango GameWorks (Hi-Fi Rush, The Evil Within…), ce n’est pas juste à cause de la récession qui pèse sur le monde depuis 5 ans. Il y a d’abord le plafond de verre atteint par les consoles depuis quelques temps, qui fait que les constructeurs commencent à voir les ventes stagner et regardent donc désormais la concurrence comme un partenaire économique plutôt qu’un rival. Il y a également une sorte de bascule qui se produit depuis quelques années entre le jeu mobile et le jeu de salon, puisque sur les 187 milliards de CA du jeu vidéo, la moitié (92Md$) vient du mobile alors que les coûts de production d’un jeu console, et a fortiori des Triple-A, s’envolent et viennent de plus en plus titiller celui des plus grosses productions cinématographiques (on est encore loin des 460M$ d’un Avatar 2 ceci dit). Enfin, certains économistes pensent aujourd’hui que les décideurs des grands acteurs du secteur, ont mal estimé l’engouement du public pour le jeu vidéo, qui a crû de manière exponentielle durant la crise Covid (les gens n’avaient rien d’autres à foutre que jouer à des jeux vidéo), mais ne reflétait pas spécialement l’avenir du média sur le long terme.

Tomb Raider a beau être un jeu iconique, son reboot de 2013 est considéré comme un échec commercial

En plus de voir les coûts de production des jeux s’envoler, l’industrie fait face à des temps de développement rallongés. Rallongés à cause des nouvelles conditions de (télé)travail, rallongés à cause des différents badbuzz autour des crunch qui font que les studios cherchent à se racheter une image, ou du moins à éviter de l’écorner et, bien évidemment, rallongés à cause de la charge de travail et des nombreux et différents acteurs impliqués dans un Triple-A de nos jours. Or, allonger les délais de production dans une industrie aussi impatiente que celle du jeu vidéo, c’est compliqué. Ainsi, il est difficile pour Sony et Microsoft de rassurer les investisseurs quand les gros jeux manquent à l’appel et que les perspectives restent floues. Idem pour d’autres grands acteurs qui peinent à faire fructifier leurs IP majeures (Square Enix, Embracer…), même si EA peut toujours compter sur FIFA et Take Two sur GTA (que ce soit le online ou la perspective réjouissante du tsunami économique que va représenter GTA VI) pour assurer leurs arrières. Imaginez un peu que le dernier Tomb Raider est considéré comme un échec commercial alors qu’il s’en est écoulé 3,5 millions de copies. Idem pour Final Fantasy VII Rebirth, dont les ventes sont estimées à 2,2 millions de copies (sachant que le jeu est exclusif PS5). Le seuil de rentabilité d’un gros jeu est énorme, ce n’est donc pas étonnant que les éditeurs cherchent des solutions.

L’Empire contre-attaque

Quand t’as connu la Neo Geo à 3.500 francs, faut reconnaître que ça te fait un peu marrer les consoles à 500 euros…

A court terme, ces solutions ce sont les licenciements et les fermetures de studio jugés pas assez rentables, malheureusement. Mais il y a fort à parier que l’industrie ne va pas s’arrêter là. De l’avis de beaucoup, l’avenir est aux jeux services qui continuent de rapporter sur le moyen et long terme, là où un jeu solo narratif s’essouffle sur la durée. Ce virage, ça fait un bout de temps que les éditeurs l’ont pris, et on voit fleurir des Battle Pass, y compris dans les jeux payants ET les jeux solo. Mais voilà, le jeu service a ses limites et la première d’entre elle c’est : Comment vendre un deuxième jeu, quand on demande aux joueurs d’investir sur le long terme dans le 1er ? Vous êtes donc bien obligés de vous diversifier. Deuxième solution : Minimiser les risques. On sort des suites et des remake de licences à succès car on peut plus facilement se projeter sur les ventes que lorsqu’on parie sur une nouvelle IP. Enfin, la troisième solution, la plus évidente selon moi d’ailleurs, c’est de revoir la politique tarifaire. L’inflation a connu des pics exceptionnels, les coûts de production des jeux s’envolent, et alors que toutes les autres industries du loisir voient leurs prix grimper, le jeu vidéo reste accroché, bien malgré lui, à une politique tarifaire particulièrement généreuse avec le consommateur (un jeu SuperNes à l’époque, c’était pas loin de 500 francs, soit 75 euros sans compter l’inflation).

Attention, je ne défends pas spécialement l’augmentation des prix et je suis d’ailleurs le premier à avoir un seuil psychologique situé aux alentours des 50 euros lorsqu’il s’agit d’acheter un jeu, mais il faut reconnaître que ce n’est pas en adéquation avec la période actuelle. Les éditeurs sont de plus en plus nombreux à l’évoquer, et je suis prêt à parier que GTA VI sera vendu aux alentours de 100 euros ; d’autant plus que Strauss Zelnick (le patron de Take Two) est le plus fervent défenseur de cette augmentation tarifaire. En soi, si les jeux sont complets, patchés et sans micro-transaction, pourquoi pas. Perso j’attendrais un an que les prix chutent, mais certains sont déjà prêts à débourser 200 euros dans un coffret collector ou 100 euros pour jouer 3-5 jours en avance (sans parler des loot box), donc ça ne freinera pas les ardeurs des plus dépensiers et des fanboys du Day One. Malheureusement, on sait tous que la hausse des prix n’entrainera pas une hausse de la qualité ni ne fera revenir les boîtes de jeux sur les étals des revendeurs.

Car la fin du support physique, c’est une autre facette de la diminution de seuil de rentabilité. Un jeu physique, ça coûte de l’argent en fabrication et en distribution. Un jeu physique, ça s’échange, ça se revend et c’est une économie qui échappe aux éditeurs. A contrario, les jeux dématérialisés sont bien souvent vendus plus chers, avec pourtant moins de contraintes logistiques, et sur un store bien souvent unique où on contrôle les frais de gestion, notamment lorsqu’il s’agit des consoles. Là encore, je ne suis pas le meilleur représentant pour porter le drapeau de la révolution, puisque ça fait bien longtemps que j’ai vendu mon âme au dématérialisé. Mais ma cause n’a rien d’idéologique, c’est juste que les supports physiques c’est moche (c’est mon avis, très relatif j’en conviens), ça prend de la place (j’ai un 50m² parisien, pas 200m² en plein Poitou) et, surtout, faut se lever pour changer de jeu… ce qui heurte profondément mes valeurs de flemmasse. Mais force est de constater que le dématérialisé a ses contraintes, et pas des moindres.

Top Spin 2K25 a fait scandale… ça ne l’a pas empêché d’être numéro 1 des charts.

La première d’entre elles, c’est que vous ne possédez pas vraiment le jeu. On l’a vu récemment avec le Vietnam par exemple, qui a purement et simplement interdit Steam du jour au lendemain sur leur territoire. Personnellement, j’ai une centaine de jeux dans ma bibliothèque Steam (et je suis vraiment un petit joueur), donc j’imagine bien à quel point ça peut être frustrant (et le mot est faible) de tout perdre d’un coup ; même si, de vous à moi, je ne jouerais plus jamais à 95% des jeux de cette bibliothèque. Après, vous me direz que la France c’est pas le Vietnam, qu’on est à l’abri de tout ça, blablabla. Alors déjà, non : On ne sait vraiment pas de quoi sera fait l’avenir. Mais au-delà de ces décisions radicales et assez exceptionnelles, il faut garder en mémoire qu’un jeu dématérialisé peut se retrouver inaccessible en cas de problèmes réseaux, de déménagement dans la Creuse où tu ne retrouveras pas Internet avant 2042, et toutes autres sortes de problèmes liées à la nécessité d’être constamment connecté. Pire, et aujourd’hui on commence à le voir avec les « affaires » The Crew, NBA 2K ou plus récemment Top Spin, les éditeurs lorgnent de plus en plus sur la fermeture programmée des serveurs ; qui vous empêche purement et simplement de continuer à jouer à votre jeu, y compris en solo. Cette décision a deux répercussions positives pour l’éditeur : Un, elle vous pousse à la consommation pour que vous achetiez l’itération suivante. Et deux, elle lui permet de réduire ses frais de fonctionnement (encore eux), car un serveur ça coût horriblement cher.

Bref, les solutions existent pour les éditeurs et il y a fort à parier qu’elles ne seront pas à l’avantage du consommateur. Loin de moi l’idée de vous plomber avec mon pessimisme ambiant, mais il faut bien admettre que si ça peut stopper l’hémorragie que l’industrie connaît actuellement, ce sera un moindre mal. Après, c’est à chacun de décider comment consommer le jeu vidéo : En achetant les jeux day one à plein tarif, en s’abonnant à des services de leasing type GamePass ou PS+, en soutenant des petits studios via des version alpha/bêta en early access, en attendant les soldes (assez récurrentes, faut reconnaître) ou en claquant son salaire dans les loot box et autres Battle Pass de son jeu préféré…

5 Commentaires
Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *