Après deux ans de sommeil, les backers français de Nemesis peuvent enfin sortir de leur hibernation. Mais le réveil risque d’être douloureux…
Sommeil troublé
Se réveillant groggy et frappé d’une amnésie temporaire due à l’hibernation et au voyage supraluminique, l’équipage d’un gigantesque vaisseau a la mauvaise surprise de découvrir le cadavre éventré de l’un des leurs, gisant sur le sol de l’hibernatorium. Mais pas le temps de paniquer ou de tenter de raviver sa mémoire, le vaisseau égrène déjà les minutes avant son prochain passage en hyper espace. L’équipage doit s’afférer à s’assurer du bon état des moteurs et qu’il se dirige bien vers la Terre, avant de retourner dans les cryo-pods. Mais des bruits inquiétants ne tardent pas à retentir, dans les couloirs et les conduits du vaisseau. De dangereuses créatures, que l’I.A. embarquée a judicieusement baptisé « intrus », semblent s’être installées durant votre sommeil. Mais est-ce bien les seules dont vous devez vous méfier ?</font color>
Nemesis est un jeu d’Adam Kwapiński, en collaboration avec Awaken Realms (This War of Mine, Lords of Hellas, …) et Rebel (Drako, K2, …), dont la campagne de crowdfunding s’est lancé en janvier 2018, sur Kickstarter. Un mois plus tard, elle se finissait avec près de 3,5 millions d’euros au compteur. Un formidable succès pour ce jeu qui fait irrémédiablement penser au film Aliens, de James Cameron (en réalité, c’est plus un mix d’Aliens et Alien, le 8ème passager).
Avec un succès aussi retentissant, il n’est pas étonnant d’avoir vu fleurir les stretch goals comme des pâquerettes dans une prairie printanière. Clairement, Awaken Realms ne s’est pas moqué de ses backers, en proposant une multitude d’add-on et d’améliorations, notamment deux extensions gratuites, dont une exclusive : Aftermath et ses 5 personnages supplémentaires (exclu KS), ainsi que VoidSeeders et sa nouvelle race de créatures. Malheureusement, pour l’heure seule la version core est livrée dans l’hexagone ; une version commerciale d’ailleurs prochainement distribuée par Funforge, en France (mais uniquement en ligne, et sur précommande).
I will survive
Si le jeu peut se jouer en solo ou en coopération, il s’agit avant tout d’un jeu semi-coop, où les joueurs devront se serrer les coudes pour survivre… avant peut-être de se trahir dès que l’occasion se présentera.
La configuration solo n’est pas forcément désagréable à jouer, mais un peu trop soumise au hasard pour avoir de l’intérêt, au-delà de l’apprentissage des règles. Car clairement, vous n’aurez jamais le temps d’explorer le vaisseau de fond en comble et de vérifier, tant les moteurs que le cockpit à l’opposé. Il vous faudra donc grandement compter sur la chance. Toutefois, une campagne solo illustrée était prévue dans les stretch goals et devrait voir le jour prochainement, de quoi sans doute relancer l’intérêt de ce mode. Après tout, Awaken Realms a prouvé à mes yeux, qu’ils étaient capables de proposer du solo de qualité, avec la campagne de leur autre jeu, Lords of Hellas. Il en va d’ailleurs de même pour le mode coop, dont la seule différence c’est que le superbe script-book de campagne est quand à lui déjà livré. Toujours est-il qu’à mon sens, une bonne partie du sel de ce jeu, réside dans cette incertitude qu’à vos côtés, résident peut-être des traîtres. On en vient alors à douter de la moindre action de vos coéquipiers, d’autant plus lorsque ceux-ci se baladent du côté des moteurs, des nacelles de secours ou du cockpit.
Sachez qu’à 4 joueurs, il faudra compter sur plus de 5h de jeu, installation et explication des règles comprises. Une fois celles-ci assimilées, cela devrait pouvoir descendre aux alentours des 4h la partie (difficilement moins, je pense). C’est plutôt long, et il est préférable de s’y préparer (le jeu peut se jouer jusqu’à 5, en plus). Malgré cette longueur qui peut paraître affolante, je ne me suis jamais ennuyé un seul instant à chacune de mes parties. D’abord car les tours sont plutôt fluides. Ensuite parce que les joueurs autour suivent toujours d’un œil intéressée et/ou amusé les péripéties de leurs camarades. Enfin, car l’ambiance oppressante est parfaitement retranscrite et que les mécaniques de gameplay sont particulièrement bien pensées, amenant de la profondeur et de la diversité. Ainsi, si la structure du vaisseau reste la même (et encore, le plateau est réversible), les salles qui le composent sont toutefois disposées secrètement et aléatoirement ; et les incendies comme les pannes qui y surviennent, accroissent encore davantage la replay value du jeu. De plus, ce dernier fourmille de petites idées intelligentes, comme le fait que ces salles pivotent sur elles-mêmes pour indiquer le nombre d’objets restants à fouiller, ou que les déplacements sont intimement liés à une gestion très efficace du bruit, qui se matérialise par des jetons dans les couloirs adjacents (un jeton = un bruit. deux jetons = apparition d’alien). Du coup, se rendre dans une pièce dont les couloirs adjacents sont déjà bien pourvus en jetons bruit, fait irrémédiablement monter le stress du joueur en flèche, mais aussi celui de ses compagnons d’infortune occupant les salles avoisinantes.
Casting hétéroclite
L’asymétrie des six personnages proposés par cette version de base est excellente, et leurs caractéristiques définissent clairement les rôles et possibilités de chacun. Car si chaque membre d’équipage est associé à un plateau individuel dont la seule différence est visuelle, ils ont également à disposition un deck unique de 10 cartes, ainsi que trois objets de départ qui leur sont propres (une arme et deux accessoires). En effet, si certaines des cartes sont communes, comme la fouille ou les réparations (et encore, leur coût peut être différent), d’autres sont quant à elles exclusives à chacune des classes. De plus, à l’inverse d’un Gloomhaven par exemple, ce deck n’est pas évolutif : Les cartes restent les mêmes du début à la fin, seules viennent s’ajouter des malus (en l’occurrence, les cartes Contamination). Ce n’est pas pour autant que l’on doit composer avec ces dix cartes seulement, tout au long de la partie. Car en mains, on dispose d’objets exclusifs et permanents, d’une part (l’arme et les deux objets à activer sous conditions en cours de partie), et des objets de fouille à usage unique d’autres part, classés en trois catégories : Médicales, Militaires et Ingénierie. Il sera même possible de crafter de nouveaux objets (taser, cocktail molotov, lance-flamme, …), en associant deux cartes entre elles.
N’espérez toutefois pas choisir votre personnage fétiche au nez et à la barbe de vos coéquipiers, mais néanmoins rivaux. Car afin de satisfaire tout le monde et d’éviter les tensions inutiles, les classes incarnées par les joueurs sont tirées au hasard en début de partie. Ainsi, en commençant par le premier joueur, chacun tire deux cartes rôles dans la pioche, puis en choisit un avant de remettre le second dans le paquet pour le joueur suivant. Et si ces classes ne sont pas clairement définies dans la règle, elles restent suffisamment logiques pour que les newbies puissent aisément sélectionner leur personnage : Le soldat, c’est le combattant, l’éclaireuse a plus de facilités à explorer le vaisseau, le scientifique pourra pirater les ordinateurs de bord, le capitaine donner des ordres, etc. N’ayant incarné que l’éclaireuse et le capitaine, j’aurais dû mal à juger de l’équilibrage entre les classes, mais de ce que j’en ai vu durant nos parties, chacune semble avoir de sérieux avantages à faire valoir. Elles ont peut être même un peu trop tendance à orienter votre stratégie d’ailleurs (sauf quand le soldat joue les objecteurs de conscience). En étant éclaireuse par exemple, vous allez ouvrir la voie à vos coéquipiers (car lorsqu’on rejoint une salle occupée, on ne jette pas le dé de bruit), le pilote se sentira un peu obligé à se diriger vers le cockpit plutôt que les moteurs, le capitaine aura tendance à toujours accompagner au moins un joueur, etc.
Combat dru
En définitive, la seule mécanique qui pourrait paraître un peu bancale, ou du moins source de frustration, c’est la résolution des combats. Il faut déjà bien comprendre que Nemesis n’est pas Space Hulk : il est souvent préférable de fuir plutôt que de combattre, car le rapport de force n’est clairement pas à l’avantage des humains. C’est en cela d’ailleurs que le jeu se rapproche sans doute plus d’Alien: le 8ème passager que de sa suite. On n’y défouraille pas de la bébête à tour de bras en espérant ne pas se faire surclasser par leur nombre. Non, ici un seul intrus adulte peut potentiellement mettre en déroute 4 membres d’équipage armés. Et cela, le jeu le retranscrit plutôt bien, en illustrant le corps à corps comme un choix suicidaire, le moindre raté se traduisant par une blessure grave, ou en réévaluant les points de vie des monstres à chaque tir. Il ne s’agit d’ailleurs pas de définir ses points de vie, mais plutôt de décider si la blessure infligée est létale ou non, les chances de trépas de la créature augmentant tout de même radicalement à chaque nouvelle touche. Ajoutez à cela 50% de chance seulement, de toucher un intrus adulte sur un lancer de dés, ainsi que la relative rareté des munitions, et vous comprenez qu’un combat n’est jamais une partie de plaisir et peut vite tourner au vinaigre.
Toutefois rassurez-vous, les ennemis ratent aussi régulièrement leurs attaques et, à l’arrivée, si vous évitez de vous en prendre à la reine ou aux hybrides en solitaire, et si vous fouillez suffisamment les salles pour amasser armes et munitions, vous devriez pouvoir envoyer un certain nombre de bestioles bouffer du pissenlit par la racine. Il faut juste savoir estimer ses chances, ne pas tenter le diable et ne se jeter au corps à corps qu’en cas d’extrême urgence. De plus, notez que les aliens sont les seuls que vous pourrez attaquer. Ainsi, si votre objectif est d’éliminer un de vos équipiers (n’oubliez jamais que c’est un SEMI-coop), vous ne pourrez pas le viser directement. Pour le tuer, il faudra jouer de ruse et de subtilité, en attirant les intrus sur lui, en balançant du cocktail molotov dans la pièce où il se trouve (s’il est en combat contre un intrus uniquement) ou, plus radical encore, en lançant l’auto-destruction du vaisseau. Toutefois attention, pour valider son objectif, il faut s’en sortir vivant. L’autodestruction du vaisseau c’est bien, mais mieux vaut s’assurer de pouvoir emprunter une nacelle de survie avant la fin du décompte.
A l’arrivée Nemesis n’a pas galvaudé son succès d’estime sur Kickstarter. Le jeu s’avère excellent, bien pensé, bien équilibré et plutôt joli (même si les figs des humains sont un peu moins réussies que celles des aliens). Peut-être un poil long pour certains, un peu trop soumis au hasard selon d’autres, pour ma part ça ne m’aura pas gêné outre mesure et le plaisir pris à arpenter les couloirs du vaisseau dépasse largement ces petits aléas. J’attends maintenant de pouvoir mettre la main sur les extensions : Aftermath et ses 5 nouveaux persos, ainsi que Carnomorphs et Voidseeders, proposant chacune leur nouvelle race de bébêtes.