Jusqu’à il y a peu, le survival-horror était un genre has-been devenu foutraque dont l’aspect survie consistait à recharger son flingue le plus vite possible. Rongé, comme beaucoup de titres, par une surdose d’action. L’appellation horror quant à elle n’était qualifiable que par l’apparition de quelques taches de sang.
Réveiller mémé
En 2010 le visage du survival-horror subissait une chirurgie esthétique qui sans le savoir allait influencer la mode pour les quelques années à venir (durée à ce jour encore indéterminée). L’opération s’appelait Amnesia : The Dark Descent, des indépendants suédois de Frictional Games. A cette époque le genre en lui-même, comme à peu près tout ce qui s’appelait « jeu vidéo », s’orientait vers une action si ce n’est frénétique en tout cas beaucoup trop prononcée. Du moins pour faire suffisamment plaisir aux amateurs de titres visant à nous foutre réellement la trouille. Tirer sur tout ce qui bouge et dans le doute allumer ce qui ne bouge pas, ça ne provoque pas foncièrement de sentiment de peur chez le joueur lambda. Peu importe si les ennemis sont des monstres de l’espace, des zombies, des bébés phoques ou des sosies de Nadine Morano. Une sulfateuse infatigable et aux munitions presque illimitées, ça rassure. L’autre grande marotte des développeurs pour tenter vainement de dessiner une petite tâche malodorante sur nos sous-vêtements, c’était le jumpscare. Lorsque vous étiez petits, vous vous cachiez derrière un meuble avant de surgir en criant « Bouh ! » devant votre grand-mère (puis vous arrêtiez pour votre vie entière en apprenant dans la douleur que les vieilles personnes peuvent être cardiaques). C’est ça le jumpscare. Le sursaut d’effroi.
Le vieux briscard a suffisamment d’expérience pour ne pas s’y laisser prendre, surtout lorsqu’ils sont surabondants. Une méthode usée, qui nous faisait presque machinalement envoyer à l’aveugle de grands coups de tuyaux arrachés qui finissaient dans la gueule des junkies fous de Condemned. Ceux qui se planquaient derrière toutes les colonnes en béton du jeu. Pour autant, grâce à une belle ambiance et des mécaniques d’ultra-violence au corps à corps jouissives, ça fonctionnait encore pas trop mal. Mais le titre de Monolith, en deux épisodes, est un bel exemple de ce que le survival-horror était devenu. D’une tentative originale de FPS horrifique où les armes à feu étaient rares et où on défoulait le moindre sursaut à coup de barre à mine, Condemned 2 se sacrifiait sur l’autel du commercial pour multiplier les munitions partout et devenir un shooter un peu chiant. Tristesse.
Condamnée à se baser sur les jumpscares et à nous faire flinguer à tout va, la peur ludique était un genre qui abaissait allégrement son pantalon chez les développeurs. Petits bras. On commençait à flipper de ne plus flipper sur nos machines. Puis le salut, comme souvent maintenant, est donc venu de l’indépendance.
Tout dans la tête
Le game design d’Amnesia, s’appuyant sur les fondations de la trilogie Penumbra, cherchait alors à nous faire « psychoter ». Pour se faire, les développeurs nous plaçaient dans la peau d’un paumé sans aucune arme ni aucun moyen de se défendre au beau milieu d’un étrange château. Ils multipliaient alors une série de jumpscares terrorisant avant de ne plus nous y confronter pendant de très longues dizaines de minutes, voire des heures, pour laisser mijoter notre parano à chaque bruit, chaque ombre, dans chaque pièce visitée. Si l’on est devenu pâle et que la crainte transpirait par tous les pores de notre peau en jouant à Amnesia, c’est bien parce qu’on imaginait tout ce qui pourrait se passer, sans jamais savoir si ça allait se passer ni même quand. Frictional n’a rien inventé mais proposait une formule que de nombreux joueurs attendaient depuis ce qui semblait être une éternité. Pas d’armes. Pas vraiment d’action. Pas de profusions de monstres (ni zombies, ni sosies de Nadine Morano etc). Tout dans la tête.
Cette formule va inspirer d’autres indépendants comme les canadiens de Red Barrels avec Outlast sorti l’année dernière. Si son game design est beaucoup plus maladroit, son ambiance est suffisamment bien construite et dérangeante pour susciter quelques battements de cœur anormalement nerveux. Pour faire peur avec un jeu vidéo aujourd’hui, il semblerait que nous retirer toutes armes et tous moyens de défense est essentiel. On peut difficilement voir ça d’un mauvais œil. A partir du moment où l’on incarne un personnage qui n’a pas en sa possession en moins d’une heure l’équivalent de l’armement d’un pays entier, c’est déjà une originalité dans notre paysage polygoné.
Slender, de sa version prototype gratuite apparut en 2012 à celle commerciale de 2013, en reprend les principes. On avance dans une forêt en pleine nuit, alors qu’un méchant mème se promène et fait des bruits chelous. Si chez certains le titre s’est taillé une solide réputation, ce n’est pas grâce à son boogeyman parfaitement ridicule mais bien de par son ambiance inquiétante et la faiblesse du personnage incarné. Le survival-horror moderne fait de nous ce qu’il veut, petit animal effarouché que nous sommes. Il vient chercher la peur dans notre imagination qu’il fera tourner à plein régime jusqu’à aiguiser en nous plus de crainte et de paranoïa que chez le plus gros fumeur de joints que vous connaissez. C’est de la bonne. Et ces délires propres aux joueurs, un paquet de titres vont les alimenter dans les mois à venir. The Vanishing of Ethan Carter de The Astronauts a pour ambition de proposer une peur presque métaphysique, sans combat ni même aucunes entités maléfiques qui essayent de nous tuer, où la réalisation de certaines vérités découvertes durant notre enquête serait tout ce qui suffirait pour nous effrayer. Un jeu qui a d’ailleurs la particularité de montrer tous ses screenshots en plein jour. Faire peur dans le noir est une solution de facilité mais qui reste efficace, le manque de visibilité alimentant plus facilement l’imagination. Pour ce qui est de la trouille en pleine lumière, il faut alors forcément un game design qui s’est creusé la tête… Intrigant. Tout comme Daedelus au nom encore provisoire. Ce « voyage existentiel à l’horreur surréaliste » n’en est qu’à ses prémices de développement mais son équipe, Tangentlemen, dispose entre autres en son sein de Cory Davis (directeur créatif du bien trop sous-estimé Spec Ops : The Line) et de Toby Gard (monsieur Tomb Raider et Lara Croft). De quoi susciter la curiosité.
Qu’on se comprenne, coller les miquettes à travers des sursauts, c’est primaire. Il parait ainsi salvateur que quelques audacieux cherchent à construire quelque chose de plus psychologique. Primaire oui, mais pas si simple à réaliser. Imaginez-vous développeur en train pour la vingt-huitième fois de tester un jumpscare placé dans votre jeu. Comment pourriez-vous sursauter alors que vous savez très bien ce qu’il va se passer puisque c’est vous qui l’avez créé ? Les jeux volontairement effrayant sont de l’aveu même de leurs géniteurs parmi les plus difficiles à créer, et demandent énormément de phases de playtests. A ce titre, Daylight a trouvé la parade avec des jumpscares générés de manière procédurale. Pas bête, du moins sur le papier.
Et n’oublions pas qu’en 2015 verra naître le nouveau Frictional Games, SOMA (rappelons que Amnesia : A Machine for Pigs, la suite ratée de, a été développé par thechineseroom). Un survival qui ne cherchera pas à être un simulateur de maison hanté ni même un Amnesia évolué mais qui, dans un futur particulier, souhaite « aborder des thèmes », sans plus de précision. Mais quand le roi parle, on l’écoute. Surtout quand il est capable de construire une ambiance tellement glauque qu’on en fait des cauchemars et accessoirement de relancer un genre qui tombait dans l’oubli et la nostalgie.
Rien dans le pantalon
Chez les indépendants, on l’a bien compris, le survival-horror est en ébullition et redore son blason. Mais quid des AAA ? Et bien on peut aussi chez eux retrouver la trace (de pneu) d’Amnesia. Du moins chez Alien : Isolation qui en plus de pouvoir se targuer d’être le jeu Alien le plus bandant qui n’ait jamais vu le jour, reprend dans les grandes lignes les mécaniques du cultissime titre des suédois. Et ça tombe plutôt bien puisqu’une pauvre âme en peine, esseulée, sans armes, et contrainte de se fader comme coloc’ une hideuse créature surpuissante et véner’ comme Lucifer, c’est le pitch du film Alien de Ridley Scott. Le meilleur. Point de pétoires à n’en plus finir, point d’aliens à dessouder par paquet de douze. Un. Seul. Monstre. Dans un vaisseau spatial. Avec vous. Aucune garantie de quelconque qualité pour ce titre de The Creative Assembly, mais l’honneur d’avoir un postulat de base tout à fait respectable. A la fois pour un jeu Alien et en même temps pour un survival-horror. C’est déjà énorme. Réponse en octobre prochain.
Quant à The Evil Within du maître Shinji Mikami (programmé pour la fin du mois d’août à venir), le mystère s’il ne reste pas entier n’est pas vraiment entamé pour autant. Visuellement intéressant, crade, violent, les premières démos laissaient comprendre que l’affrontement direct était tout sauf intelligent. Mais à quelques mois de sa sortie, il est encore difficile à dire si oui ou non l’action prendra le dessus sur une majeure partie du titre tant les ambitions paraissent floues. Vieux pot cassé au contenu moisi, soupe lyophilisée sans saveur ou repas de gourmet traditionnel agréablement modernisé ? Patience est mère de toutes les vertus. La première différence tout de suite visible vient en tout cas de sa vue, à la troisième personne. Depuis la Renaissance de 2010 c’est la première personne qui était choisie pour faire claquer des dents dans les chaumières. La raison en est cependant très terre à terre : troisième personne = personnage à animer ; première personne = caméra avec des bras (et éventuellement des jambes, soyons fous). Moins complexe à développer et moins de budget à mettre, un argument de poids lorsqu’on est indépendant.
A l’heure où les Silent Hill et les Resident Evil ont fini par changer de genre pour continuer à se vendre, le survival-horror, celui qui fait peur, revient doucement mais sûrement sur le devant de la scène. Même Keiichiro Toyama (monsieur Silent Hill et Forbidden Siren) souhaiterait s’y remettre dès qu’on lui en laissera l’occasion. Une bonne nouvelle pour tous ceux qui aiment être impuissants.
Source de quelques déclarations de créateurs qui ont alimenté cet article : http://parlonsjeuvideo.blogspot.fr/ (oui parce qu’en fait, tout ceci n’était qu’un prétexte pour vous parler de mon nouveau site).
2 Commentaires
Le nouveau visage du survival-horror
Ils ont pas intérêt à louper ce putain de jeu Alien doudiou.
Ils ont même l’air d’avoir compris quelque chose que Ridley Scott n’a pas compris en réalisant son Prometheus : aujourd’hui, l’esthétique du premier Alien est rétro-futuriste, avec des écrans d’ordinateur en mono-couleur et des bips dignes des années 70s qui servent à propulser un vaisseau spatial.
Ca ne sert à rien de revenir là-dessus et de mettre des écrans à projection spatialisée de mes fesses. Quand on fait une prequelle d’un film avec des écrans à tube cathodique, on met des tubes cathodiques dans sa prequelle, pas des trucs futuristico-bancals.
Bon sang.
Le nouveau visage du survival-horror
Les tubes cathodiques c’est le futur !