Carmen Cru (l’intégrale), la nalyse

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J’aime bien les vieux quand ils sont ailleurs que dans les super marchés à faire leur courses en tout début de soirée, au même moment que toi, alors qu’eux ils foutent rien de leurs journées !

La nalyse n’est pas systématiquement raccord avec l’actu, elle n’est pas objective, ce n’est pas une fiche technique, elle ne fait pas de détails ou en donne tout plein selon l’humeur, elle n’est pas faites pour influencer tes achats de consommateur fou parce qu’elle n’en tirerait aucun intérêt, elle est juste écrite pour te faire partager mes goûts à moi, ton K.mi qui t’aime (un peu comme un gosse qui fait popo et qui est fier et émerveillé de le montrer à tout le monde.)

Je vous l’introduis tout entier

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Carmen Cru, c’est elle…
Fluide Glacial, jusque dans les années 90, était un gros vivier de l’âge d’or de la bande dessinée humoristique pour adultes, Carmen Cru en fait partie et fut pré-publié dans le magazine à partir de 1981 sous la forme d’histoires courtes de quelques planches en noir et blanc, comme le veut la tradition Fluidesque de l’époque. Il y eu un arrêt en 1987 après le cinquième album publié, en 1993 Lelong a repris les crayons pour un sixième album publié en 1994, le septième sortira bien plus tard, en 2001, puis il est mort en 2004. Malgré tout un huitième album composé d’inédits est sorti en 2008.

Le pitch dans ta potch

Carmen Cru est une petite vieille, très vieille. Pour autant elle tient toujours la forme, même si elle a le dos constamment courbé, est totalement indépendante et sort de chez elle régulièrement, à vélo. Carmen n’est pas une grand-mère gâteau, de toutes façon elle n’a pas de petits enfants, c’est même plutôt du genre vieille peau tout ce qu’il y a de plus odieuse, qui passe son temps à faire chier le monde. Du genre à envoyer une lettre de plainte au procureur de la république parce que des voisins lui apportent une tarte un dimanche ou à répondre « abruti » à celui qui essaye d’être poli avec elle. Mais elle n’est jamais grossière, elle est cultivée, plus butée qu’une chèvre en chaleur (dixit Lelong, son auteur) certes, elle sait profiter de ce qui l’entoure quand ça l’arrange, elle est toujours franche et directe et n’a confiance en personne.

Carmen est toujours vêtue d’un vieil impair presque plus vieux qu’elle et un petit chapeau de vieille. Jamais on ne la voit décrocher un sourire, toujours une gueule d’enterrement voire furieuse. Son gros pif avec une verrue au bout n’égaye d’ailleurs pas son visage osseux et ses gros yeux tout ronds.

Attardons-nous là-dessus (enfin, moi, surtout…)

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Une planche extraite par mes soins de la toute première histoire de Carmen Cru.
La première histoire dans laquelle la mère Cru apparaît (du moins dans le premier album, dans les faits c’est la deuxième à avoir vu le jour et à avoir été pré-publiée dans le magazine Fluide Glacial) est assez évocatrice concernant son caractère, elle se rend à la Caisse d’Epargne pour y déposer de l’argent. Dès qu’elle arrive dans la banque elle grille la queue, le guichetier lui demande poliment d’attendre son tour, une fois, puis deux. Du coup elle rentre dans le bureau du directeur (qui est avec un client), lui explique qu’elle veut déposer de l’argent mais qu’on l’a insulté au guichet puis s’installe. Elle veut déposer 2550 francs sur son compte (dont la dernière opération remonte à 1953), le dirlo exécute avant de comprendre un peu trop tard qu’il s’agit d’anciens francs. Mais faut pas la contredire, elle sait compter, 2550 c’est 2550 et elle se barre enfourcher son vélo en se plaignant qu’on tente de l’abuser.

Le reste des histoires suit dans cette lignée et montre cette vieille bique faire chier tous ceux qu’elle croise dont certains deviendront des personnages secondaires récurrents, pour la plupart tous souffre douleur de Carmen.

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Le fameux Raoul, alcoolique mais mine de rien sympathique avec la vieille bique.
Si on est la plupart du temps habitués, dans la bande dessinée, à ce que l’auteur pose les bases de son personnage (son univers, son passé etc…) dès les premières planches, dans Carmen Cru, Lelong installe tout ça au fur et à mesure des éléments dont il a besoin pour réaliser ses histoires. On découvre ainsi petit à petit la maison où elle vit, et qui l’a vue naître, meublée comme elle s’habille et avec les toilettes au milieu du jardin. Auparavant bien isolée d’un quelconque voisinage, une résidence pleine d’habitations est maintenant collée à son logis. Ceci dit elle garde une sorte d’indépendance grâce à une cour devant chez elle, pour s’y rendre depuis la rue elle doit passer sous un porche d’entrée, longer une partie de la résidence, éventuellement traverser un labyrinthe où tout le monde se paume sauf elle et enfin descendre des escaliers. (Ses distractions s’arrêtent au fait de s’occuper d’une ruche dans son jardin, d’un potager situé à l’extérieur de la ville et à lire de temps à autre, pour ne pas laisser rouiller sa cervelle).

Avec ce voisinage découle évidemment plusieurs histoires amusantes notamment ce running gag où elle dérange Raoul, le voisin (alcoolique notoire) qui habite à côté des escaliers, pour qu’il lui monte ou descende son vélo chaque fois qu’elle sort ou rentre (parfois plusieurs fois par jour, souvent même). A noter qu’elle coupe le courant chaque fois qu’elle s’absente et son compteur étant trop haut pour elle, elle éteint systématiquement ceux des voisins pour que quelqu’un vienne l’aider…

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Un curé pas comme les autres…

Tout au long des huit albums que comporte la série (Lelong est tristement mort entre le septième et le huitième), on apprend au détour d’une histoire (ou d’histoires) que Carmen a été marié avec un fier-à-bras mais qu’ils se sont séparés très vite (à cause de son sale caractère assurément), elle n’est donc pas vieille fille. Sa boisson préférée semble être le Fernet Branca. Elle a une mère (de quel âge bordel ?) avec qui elle est fâchée et de la famille à la campagne pour qui elle ne porte aucun intérêt. Son arrière-petit-neveu vient d’ailleurs de temps en temps tenter de lui taxer des sous mais toujours en vain, forcément, Carmen lui porte autant de considération que pour le reste de la population du monde : aucune. La seule et unique petite tendresse à peine suggérée que Carmen semble avoir, malgré la relation conflictuelle qu’elle a avec eux, c’est pour des chats qui viennent dans sa cour, des fois. A noter aussi l’apparition irrégulière dans quelques planches d’un curé de choc, en coup de vent, le temps de réparer le vélo de Carmen (qu’il ne connaît pas du tout) en lâchant quelques jurons et de repartir à la bourre voir l’évêque.

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Comme ça vous en savez plus sur le fernet branca…

S’il est inutile de placer un quelconque avis sur un éventuel choix artistique de faire des planches en noir et blanc (puisqu’à l’époque, et jusqu’à il y a peu, le magazine Fluide Glacial était obligatoirement en noir et blanc), on peut se délecter du trait de Lelong. Tout en détail les décors sont fouillés, les personnages également et portent tous une gueule et un style vestimentaire qui en dit long. Par exemple l’arrière-petit-neveu est un bouseux et ça se voit, pas besoin de le préciser dans une petite légende. Le trait utilisé pour les protagonistes est à la limite de la caricature, c’est une sorte de graphisme réaliste mais avec des gueules atypiques, un gros pif par là, des grandes oreilles par ci etc… Il n’y a cependant pas spécialement de style « à la Lelong » comme c’est le cas pour un Edika par exemple, les personnages n’ont pas tous une particularité commune.

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Admirez la typographie du texte tout à fait cohérente avec le dessin, un vrai travail d’artiste !
Pour ne rien gâcher, les dialogues, le vocabulaire utilisé (et même la typographie de Lelong), ajoutent un gros charme à tout ça. Les histoires sont relativement simples mais vraiment touchantes, ambiancées. On s’attache très vite à Carmen et ses tribulations qui emmerderont forcément profondément un ou plusieurs autres personnages avant la fin de l’histoire. Des personnages secondaires qui ont tous un trait de caractère, une dégaine ou une façon de parler atypique.

Carmen Cru ne ressemble à aucune autre BD, il flotte sur chacune des planches une espèce de mélancolie, un truc inexplicable, une ambiance. Carmen Cru c’est une tranche de vie dans une petite bourgade de province, mais la tranche de vie d’une vieille bique et ça, c’est bien.

Les trucs à ressortir en société pour susciter de nombreux fantasmes chez les personnes de ton choix

– Pour le personnage de Carmen, Lelong s’est inspiré d’une petite vieille qu’il croisait régulièrement lorsqu’il bossait encore dans l’informatique à Tours. Elle avait le même impair, des cageots sur son vélo et bloquait toute une file de voitures sur la route et s’en foutait complètement. Pour le prénom il s’est remémoré une bonne femme qui venait faire le repassage chez lui, famille de 6 enfants, lorsqu’il était petit. Il ne l’appréciait guère et elle s’appelait donc Carmen.

– Beaucoup des histoires de Carmen s’inspirent de la propre vie de son auteur, par exemple le Fernet Branca est une boisson qu’il a trouvé dégueulasse alors qu’il a essayé d’en boire étant jeune dans un bar, le coup des poubelles a été vécu par un paysan qu’il connaissait dans le sud de la France, celui du notaire c’est lui qui l’a vécu, le nom de la rue où se trouve la résidence est inspiré de la rue où Lelong vivait étant gosse etc…

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En couleur je ne sais pas si la série aurait eu le même impact visuellement. Même si c’est de qualité, on y perd un peu le volume et le charme du noir et blanc.
– Lelong n’était pas tellement satisfait de sa première histoire avec Carmen Cru lorsqu’il l’apporta chez Fluide Glacial. Le rédacteur en chef de l’époque, Jacques Diament, a tout de suite accroché et l’a fait paraître dans le magazine. Par la suite Lelong proposa divers projets à Fluide, chaque fois refusés, Diament incitait à chaque fois Lelong à refaire « des trucs dans le genre de la petite vieille ».

– Lelong avoue détester dessiner des personnages féminins, c’est pour ça qu’il n’y en n’a, pour ainsi dire, aucun hormis Carmen. Il indique qu’il passe automatiquement des heures à dessiner un visage de femme ce qui l’emmerde profondément. Du coup il a utilisé quelques astuces pour faire intervenir des femmes sans les faire voir, notamment la femme de Raoul constamment bloquée aux chiottes…

– Vous pouvez retrouver un hommage à Lelong de la part de la rédaction de Fluide Glacial par ici. (A noter qu’ils parlent de 7 albums parce que le huitième -post-mortem- n’était pas encore sorti à l’époque.)

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