Faut-il encore croire les influenceurs ?

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Derrière ce titre racoleur se cache les questions que je me pose quant à la légitimité de ce « nouveau » business.

Au-delà du côté narcissique et mégalo, vous trouvez vraiment qu’afficher votre tête avec une expression débile, c’est vendeur ?

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je tenais à préciser qu’il n’est nullement question ici de tirer à boulets rouges sur les influenceurs, et notamment ceux du jeu vidéo. D’ailleurs j’aime beaucoup certains d’entre eux, que je suis avec intérêt ; des gars comme ExServ, The Great Review, SkyMarmotte, Dhalen ou Kamille (même s’il est plutôt focus sur Hunt: Showdown), ou même des journalistes comme Panthaa ou Mohammed Aigoin par exemple. Il y a quelques connards qui me sortent par les yeux que je ne citerai pas, mais dans l’ensemble je n’ai rien contre eux, je n’ai pas envie de décrier leur travail et je ne les envie pas non plus. Bon par contre, petit message personnel : Arrêtez avec vos gueules détourées en vignette, en mode actor studio wish !! Mais vraiment !!! Maintenant que c’est dit, on peut commencer…

Ça faisait quelques temps déjà que je réfléchissais à écrire cet article, mais je ne voulais pas passer pour le vieux con aigri incapable de s’adapter à son époque (même si c’est sans doute un peu vrai). Pourtant le constat est clair, depuis quelques années selon moi, et encore davantage en ce début d’année je trouve : Le succès d’un jeu me semble intrinsèquement lié au nombre de vidéos le concernant, ce qui fait le pain bénit des éditeurs qui n’ont même plus à bouger le petit doigt pour faire leur com’. Tant mieux pour eux vous me direz, mais je me demande si dans tout ça, il n’y aurait pas un conflit d’intérêt.

Attention, je ne suis pas en train de dire que les Youtubeur sont tous des corrompus. Il y en a sans doute, et il y a également ceux qui participent à des opés (mais depuis la loi récemment adoptée, visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux, ils sont censés vous le notifier), mais je ne crois pas que ce soit la majorité. Et puis, je suis bien placé pour le savoir pour l’avoir vécu par le passé, arrondir les angles, voire embellir son test en ajoutant plein de jolis visuels et moins de « le gameplay il est un peu bof quand même », ce n’est ni nouveau, ni l’apanage de l’avis vidéo. Les plus vieux d’entre nous se souviendront du scandale Gamekult / Kane & Lynch par exemple. Et c’est un peu le problème quand ta rédaction survit grâce aux annonceurs, qui ne sont autres que les éditeurs des jeux dont tu parles dans ton (web)canard.

On ne va pas se mentir, quand un éditeur envoie ce type de cadeaux, ce n’est pas parce qu’ils sont sympa et généreux (source Twitter @Brian_PnT)

Au-delà de la publicité ou de la pression concrète que peuvent mettre les éditeurs sur une rédaction, il y a la pression invisible et indirecte, ainsi que la nature humaine qui entrent en ligne de compte. En effet, lorsqu’on est une petite rédaction ou un youtubeur amateur et qu’on a le soutien d’un éditeur, on n’a pas spécialement envie de le perdre et on s’autocensure sans qu’on nous demande rien. Et même sans aller jusque-là, quand on vous a envoyé la version collector d’un jeu qui vous faisait de l’oeil, voire qu’on vous a invité à un press tour avec plein de gens sympas et des petits cadeaux, on a tendance à se transformer en Winny l’ourson et à se réfréner dans la critique. Plutôt que de dire que c’est de la merde nauséabonde, on dira plutôt « le gameplay est perfectible et le scénario nous laisse un peu sur notre faim ». C’est humain je pense, de ne pas vouloir faire chier ceux qui ont été sympa avec toi. Et personne n’y gagne à être virulent et malveillant vis-à-vis du travail des autres.

Bref, ce que je veux dire par là, c’est que si le succès d’un jeu fait les affaires du développeur et de l’éditeur, il fait également celles de l’influenceur. Car plus vous serez nombreux à acheter le jeu pour lequel l’influenceur fait la promo, consciemment ou inconsciemment, plus vous serez nombreux à voir ses vidéos ; voire plus il pourra sortir des vidéos, des guides, des astuces, etc. A l’arrivée, le succès du jeu qu’il couvre a une incidence directe sur sa rémunération, que ce soit par la plateforme sur laquelle il officie ou par les sponsors et publicités qui le soutiennent. Et même si l’influenceur n’est pas spécialement à l’origine de la hype, il y contribuera en prenant le train en marche et en y ajoutant du charbon (ses abonnés) pour que ce train aille toujours plus vite, toujours plus loin. C’est tout un écosystème économique qui a tendance à s’emballer pour pas grand chose, afin de surfer sur le buzz et exister dans l’instant sans jamais trop savoir qui de l’œuf ou de la poule est arrivé en premier. Résultat, on se retrouve avec des jeux qui auraient dû rester relativement discrets, qui se retrouvent propulsés en première ligne.

Prenez Palworld par exemple. Le jeu est plutôt sympa, mais il ne casse pas non plus trois pattes à un canard (ou un Psykokwak en l’occurrence) et n’aurait jamais dû briser les peak records de Steam, devant des mastodontes comme CS:Go ou DOTA 2. Helldivers 2 idem. C’est marrant 5 minutes et le concept de guerre évolutive est bien foutu, mais en 6 heures t’en as fait le tour et tu te fais un peu chier à refaire encore et toujours la même chose. Dragon’s Dogma 2 semble être une copie presque moins bonne de la précédente itération, de ce que j’ai pu en lire (je n’y ai pas joué) ; un premier épisode qui avait d’ailleurs fait un flop. Et pourtant tout le monde parle que de lui et les ventes s’envolent. Les exemples de ce type sont nombreux, et je ne crois pas que ce soit réducteur ou malveillant de dire que ces titres sont largement surévalués. Alors certes, la pénurie de Triple-A qu’on traverse en ce moment y est sans doute pour quelque chose, mais ça n’explique pas tout.

Je ne suis pas certain qu’à l’époque, Gen4 avait autant d’influence qu’un Squeezie…

Bien entendu, là encore Youtube n’a pas inventé la roue et, par le passé, la presse pro et amateur contribuait également à faire monter la hype avec leurs articles ou leurs unes. En réalité, les chiffres démontraient à l’époque que la presse jeux vidéo n’avait finalement pas tant d’impact que ça sur les ventes. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle on a vu des jeux obtenir des critiques unanimes et dithyrambiques dans la presse, faire des fours commerciaux retentissants. A l’inverse, Fifa se vend par wagon chaque année, alors que tout le monde s’accorde à dire que c’est de la merde nauséabonde (et là, y a de moins en moins de monde qui prend des gants et arrondit les angles). Mais toujours est-il qu’auprès d’un public core, l’influence de la presse et des sites amateurs n’était sans doute pas négligeable, mais pour moi sans commune mesure avec aujourd’hui. Car là où un article est long à rédiger et demande un minimum d’effort à lire, encore plus si c’est un magazine papier qu’on doit aller acheter en kiosque, une vidéo Youtube peut se consommer en mode boulimie ; d’autant plus avec la segmentation des vidéos qui vous permet de ne regarder que ce qui vous intéresse. Et surtout, les articles étaient plus ou moins perdu dans un magazine ou sur un site web, là où l’algorithme de Youtube te gave jusqu’à écœurement de vidéos similaires. Et je ne parle même pas des réseaux sociaux…

Encore une fois, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Il n’est pas question de prétendre que les youtubeurs sont des branleurs qui n’écrivent pas, ne bossent pas. Bien au contraire, entre l’écriture et le montage, leur travail est sans doute bien plus colossal que pour nous sur Polygamer, ou même lorsqu’on était en pleine bourre sur Xbox-Attitude (on était chômeurs aussi, ça laissait du temps pour s’investir). Mais la surabondance de vidéos traitant du même sujet, l’algorithme et la philosophie implacable de Youtube qui te pousse à sortir toujours plus de vidéo, et bien sûr notre mode de consommation Kleenex, ont un peu tendance à nous abasourdir et faire vaciller nos convictions. Bon, après faut avouer que je suis un peu influençable à l’extrême : Y a un mec qui me dit qu’il y a une feature sympa dans un jeu et je me sens obligé de l’acheter (et de pousser Nachcar à en faire de même s’il y a une consonnance multijoueur). Mais quand je regarde les récents cartons de jeux qui n’ont pourtant rien de véritablement exceptionnel, je me sens moins seul…

Alors tant mieux pour les développeurs de ces jeux qui cartonnent, qui y gagnent financièrement et ont cette fierté du travail accompli et récompensé. Dans cette ambiance morose de licenciements massifs dans l’industrie, on ne va pas s’en plaindre. Tant mieux également pour les influenceurs, s’ils peuvent gagner trois francs six sous avec leurs vidéos ; c’est tout le mal que je leur souhaite. Mais in fine, le joueur n’est-il pas floué ? Cela ne s’apparente-t-il pas à du matraquage publicitaire ? Car si encore tout cela s’arrêtait à « Mon test de [Jeu X] », on multiplierai juste les avis, à l’instar d’une liste Metacritic ; en un poil plus intrusif grâce à l’algo de Google. Mais lorsque ça s’étend à « Mon guide de [Jeu X] », « Bien débuter sur [Jeu X] », « Les erreurs à ne pas commettre sur [Jeu X] » et autres « On joue à [Jeu X] avec {Machin} et {Bidule} », toutes notions critiques disparaissent. Ne reste qu’une publicité déguisée, même si elle est souvent involontaire ; ou plutôt une promotion pour une chaîne Youtube, qui entraîne une publicité pour un produit commercial (aka le fameux jeu X). A l’arrivée, les joueurs les moins inflexibles peuvent finir par investir dans ces jeux pour ne pas rester à quai.

Forcément, quand GTA VI génère 100 millions de vues en moins de 30h, y a un paquet de vautours qui veulent leur part du gâteau…

Et encore, là je m’arrête aux seules vidéos d’un jeu post launch ; car à cela on pourrait également ajouter ces innombrables vidéos toutes plus enthousiastes les unes que les autres, sur des jeux pas encore sortis, voire tout juste annoncés. Alors quand c’est GTA VI encore, tu peux pardonner l’excès de ferveur, mais ce n’est malheureusement pas le seul pour qui les influenceurs s’enjaillent à outrance, conditionnant dans l’esprit des joueurs que le jeu sera un hit. Et dans une industrie où la précommande prend une place bien trop grande, là encore la dérive éthique n’est jamais très loin. On pourrait aussi parler du fait que la voix des influenceurs est récemment devenue l’institut de sondage des éditeurs, qui testent sur eux et leur audience, les stratégies d’augmentation tarifaire, d’intrusion de publicités in-game, de pourboires durant les crédits, et autres idées débiles du genre ; voire qui pratiquent la désinformation jusqu’alors propre aux extrêmes politiques, pour affaiblir un constructeur au profit de l’autre en multipliant les fake news.

Dès lors, si la loi récemment adoptée en France est un premier pas vers l’encadrement judiciaire du métier d’influenceur, il reste selon moi encore beaucoup à faire pour se prémunir des dérives commerciales et protéger les plus jeunes et/ou les plus influençables d’entre nous. En attendant, la meilleure solution reste comme souvent, de multiplier les sources d’informations et de se créer un réseau composés de journalistes et d’influenceurs en qui on a une certaine confiance, et de consommer le jeu vidéo de manière intelligente et réfléchie. Bref, pour résumer : Faites ce que je dis, pas ce que je fais !

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