Parlons jeux vidéo avec… François Potentier

4

Aujourd’hui un « parlons jeux vidéo » avec l’un des big boss d’Hydravision.

« Parlons jeux vidéo avec… » est un concept d’entretiens un peu particulier puisque si les créateurs de jeux vidéo qui y répondent changent, les questions, elles, ne changent pas. Tournant autour du média jeu vidéo et non pas autour d’un jeu en particulier, le but de ces questions est de cerner la vision des créateurs et de les comparer. C’est en quelque sorte un témoignage de ce que le jeu vidéo était, est, et de ce qu’il peut être amené à devenir selon ceux qui les font.

Peux-tu te présenter parce que je suis une grosse feignasse qui n’a pas le courage de rédiger une bio de ta vie professionnelle ?

174501_630644020_7370093_n.jpgJe suis tombé dans les jeux vidéo avec les bornes d’arcade. Qu’est-ce que j’ai pu dépenser comme argent de poche dans Pacman, Galaga ou Moon Patrol ! Ma première console était une Atari VCS 2600, puis j’ai eu un Commodore 64 et ça n’a pas arrêté depuis. J’ai ensuite fait des études en programmation et le choix de faire des jeux vidéo a finalement été assez naturel : comment faire un boulot passionnant avec ce que j’aime ? Développer des jeux vidéo ! J’ai maintenant 41 ans et je suis co-fondateur du studio indépendant de développement de jeux vidéo Hydravision (situé à Lille) avec mon frère Denis. Avant Hydravision, je suis passé par chez Infogrames et Monte Cristo, deux expériences super intéressantes et desquelles je garde plein d’amis que je revoie régulièrement à travers le monde, au gré des événements vidéo-ludique. Cela fait maintenant 15 ans que je travaille dans les jeux vidéo et si j’ai appris quelque chose, c’est bien que chaque projet est une aventure. En tout cas, on y laisse toujours beaucoup d’énergie ! Au fait, pouvez-vous s’il vous plait masquer mon identité ? Je ne suis pas certain que mes beaux-parents se soient totalement fait à l’idée que c’est mon vrai travail !

Sur Polygamer on se pose plein de questions vis-à-vis du jeu vidéo, par exemple comment tu expliques qu’il arrive à nous angoisser, nous stresser, nous faire réfléchir (à des énigmes surtout), nous injecter de l’adrénaline, mais qu’il nous fait rarement rire et pour ainsi dire jamais pleurer ?

Je ne pense pas que les joueurs cherchent réellement à éprouver des émotions telles que le rire ou la tristesse en jouant à des jeux. Moi personnellement, je ne joue pas aux jeux vidéo pour rire ou pour pleurer. Je préfère regarder un film ou une série pour ça. Pour rire de préférence ! En plus c’est très dur de faire rire, c’est en grande partie lié à la culture. Comme un jeu est créé pour une diffusion mondiale, c’est vraiment difficile de faire rire partout. Quant à faire pleurer… Pas évident non plus. C’est plus facile de ressentir de l’empathie pour un autre être humain que pour un personnage de jeux vidéo qui n’est finalement constitué que de pixels. En ce qui me concerne, j’ai plus de facilité à éprouver de l’empathie pour Jessica Alba que pour Lara Croft !

Tu ferais quoi toi, en tant qu’auteur plein d’idées, pour nous faire pisser de rire ou pleurer d’émotion dans un jeu ? Tu travaillerais surtout la narration ? L’interaction ? Le côté visuel ?

Portal-2-1.jpg
Portal, un jeu qu’on aime chez Hydravision. Chez Polygamer aussi d’ailleurs.
Je commencerais par faire appel à une bonne équipe d’auteurs et à les faire travailler de concert avec les game designers ! Une équipe de développement de jeux vidéo se compose de beaucoup de métiers : programmeurs, artistes, animateurs, game designers sound designers, testeurs… Les créatifs d’un projet, ce sont finalement les game designers. Moi en tant que producer, je joue surtout le rôle de chef d’orchestre. Je donne les directions et je laisse ensuite chacun s’exprimer dans sa discipline. Ensuite, selon les projets, tu peux faire appel à un scénariste, un metteur en scène, un dialoguiste… Donc pour faire rire ou pleurer, je pense que je ferais en sorte d’avoir une interaction étroite entre la narration et le gameplay. Certains s’en sortent vraiment bien. Dans Portal par exemple, il y a beaucoup d’humour sans pour cela avoir des débauches de narration. C’est très habile !

Imaginons que je sois bien placé chez Microsoft et Epic, j’te file la tête du développement du prochain Gears of War, t’es libre à 100%. T’en fais quoi et pourquoi ?

DungeonTwister_screenshot_02-2.jpg
Dungeon Twister… Le jeu qu’on attend toujours sur XBLA, PSN et PC.
Je remplace les locustes par des zombies et j’y ajoute des survivants qui résistent aux virus. Plus sérieusement, le développement de jeux vidéo est une activité passionnante et je souhaite vraiment qu’elle le reste. Hydravision est un studio indépendant de 30 personnes, ce qui est relativement petit pour un studio de production de jeux vidéo mais ce qui permet par contre de réaliser des productions à taille humaine avec de vrais rapports humains dans l’équipe. C’est très important pour moi, le côté aventure humaine. Les grosses productions à la MW3 / CoD ou Gears of War mettent en jeu des sommes d’argent énormes. De ce fait il y a de moins en moins de risques pris et donc très peu d’innovations. Ce qui fait que parfois on a un peu l’impression que l’on nous vend le même jeu chaque année. Notre taille d’équipe nous permet de choisir des projets atypiques que l’on peut parfois auto-produire, comme Funky Lab Rat sur PSN ou encore une adaptation de Dungeon Twister parce qu’on était fans du jeu de plateau. A ce titre, les canaux de distribution digitale comme le PSN, XBLA ou encore Steam donnent leur chance à des jeux souvent plus créatifs que les grosses productions en boite. Donc, diriger le développement de Gears of War ne me tente pas plus que ça !

Imaginons que je sois bien placé chez Nintendo (ouais je sais, je suis apprécié chez beaucoup de monde), j’te file la tête du développement du prochain Zelda, t’es libre à 100%. T’en fais quoi et pourquoi ?

Ouah, la vache, on aurait du faire connaissance plus tôt ! Alors là on s’attaque carrément à un mythe. Attends un peu, ça demande réflexion tout ça. Là, d’un coup d’un seul me voilà à la tête d’une équipe qui fait des Zelda depuis des lustres. Waouw. Je réfléchis toujours… La réponse arrive bientôt. Ça y est : 42. Plus sérieusement, je laisse la même équipe. Ce qu’ils font est très bien, aucune raison de changer !

Le sexe dans le jeu vidéo, ça sera possible un jour en occident ? (J’entends par là des jeux à caractère sexuel commercialisés strictement pour les adultes évidemment, non pas quelconque rapports bizarres avec ta console…. Ma question au-delà d’être lubrique ou ludique penche surtout à te faire causer censure et histoires uniquement pour adultes dans un jeu vidéo…)

Il y a déjà eu des tentatives. Je me souviens par exemple de 7 Sins sur PS2. Il n’y a jamais eu à ma connaissance, en occident tout au moins un jeu très orienté sur le sexe qui a bien fonctionné. C’est plutôt japonais ça non ? C’est certainement le support qui n’est pas adapté. Je ne pense pas que les joueurs cherchent ce type de sensations dans un jeu vidéo. Ce qui n’empêche pas d’y inclure des héroïnes sexy comme Lara Croft. Ensuite il y a un problème d’age rating et de diffusion. L’age rating c’est le petit logo qui est apposé sur une boite de jeu et qui conseille le jeu à une catégorie de personnes. Les critères sont vraiment stricts et quand il y a un caractère sexuel fréquent, on tombe vite dans la catégorie 18+ en Europe, ce qui est rédhibitoire au niveau distribution… sauf pour les jeux vraiment connus du type GTA. Donc ce n’est pas viable de produire ce type de jeux, pour nous studio indépendant. Il y a en tout état de cause beaucoup d’hypocrisie sur le sujet, surtout aux USA. D’ailleurs on a déjà été confronté au problème avec le clip de Dungeon Twister. Comme on a un studio de motion capture en interne, Christophe Boelinger, auteur de jeux de plateau et musicien et danseur accompli, était venu nous faire quelques pas de danse (il est impressionnant ce type !) et on a fait un clip sur une de ses chansons. On l’a envoyé à l’ESRB (l’organisme d’age rating pour l’Amérique du nord) pour qu’ils vérifient que le clip était bien de la même catégorie d’âge que le contenu du jeu vidéo

ME0000584267_2.jpg
7 sins, le jeu coquin où les gens y font du sexe sans quitter leurs sous-vêtements.
(T pour teen, soit l’équivalent de 12+ en Europe). Et là, surprise, ils nous ont trouvé dû contenu sexuel explicite ! Parce que les 2 aventurières du jeu – la voleuse et la passe-murailles – ont des décolletés trop profonds. Nous avons donc du faire une version pour la diffusion en Amérique du nord avec des filles plus habillées. Étonnant, non ?! Par contre, pas de problème pour trucider des centaines de personnes dans de monumentales gerbes de sang ; ça passera sans problème. En Allemagne, c’est l’inverse !

As-tu des frustrations en tant que créateur de jeux vidéo ? Lesquelles ? Pourquoi ?

Oui bien sur. Il y a toujours des dates butoirs et un budget à respecter. Donc ça veut dire faire des choix en permanence. Avec parfois des choses que l’on aurait voulu mettre dans un jeu… mais ce n’était pas possible. Il faut garder à l’esprit que développer des jeux est une activité de création mais qu’elle doit être rentable aussi… sinon, plus de création ! Il faut donc savoir garder la tête froide et faire des choix. C’est souvent frustrant ! Je suppose que c’est la même chose dans plein de domaines. Et puis avoir des contraintes oblige aussi à être créatif. C’est parfois les projets qui ont le plus de contraintes qui se révèlent les meilleurs.

Faire des jeux vidéo, c’était mieux avant ?

Non, parce qu’il y a toujours de la place pour faire des jeux même sans avoir les budgets de développement de l’armée américaine. Et des canaux de diffusion qui vont avec. Regarde le phénomène Minecraft par exemple. C’est la même chose qu’au cinéma. Il y a les grosses super-productions qui se consomment et les autres films plus modestes dont certains restent dans les esprits. The Artist par exemple. Avant ça demandait moins de budget mais il y avait moins d’outils aussi ! A chaque période ses contraintes. De manière générale je ne suis pas un nostalgique. Je déteste regarder en arrière. Il faut vivre avec son temps, sinon on devient un dinosaure… et tu sais ce qui leur arrive.

Parles nous d’un ou de plusieurs de tes projets que t’aurais aimé sortir mais que tu n’as pas pu suite aux refus des éditeurs ou autres soucis. Parait que chaque créateur a au moins un projet maudit de ce type dans son baluchon, donc voilà, frustre nous de ne jamais pouvoir y jouer je t’en prie… D’ailleurs avec le recul t’en penses quoi de ce(s) projet(s) qui reste(nt) dans les cartons et de ce qui les y fait rester ?

Hydravision a commencé avec un projet de STR appelé Chaoser… en 1996 (pfff… le temps passe !). Avec Denis, mon frère, on avait concocté une maquette de jeu et on est parti arpenter les couloirs de l’ECTS à Londres, à l’époque c’était le plus grand salon de jeux vidéo professionnel en Europe. C’est là que j’ai d’ailleurs rencontré Philippe Ulrich. Impressionnant ! Et puis on est parti faire une tournée des éditeurs en Angleterre dans laquelle on est allé chez Codemasters, EIDOS… Ça n’a intéressé personne mais c’était l’acte fondateur d’Hydravision qui a finalement été créé en 1999. Avec le recul, c’était tout de même couillu comme démarche étant donné l’embryon de jeu qu’on leur présentait ! A part ça je n’ai pas vraiment de projet maudit. Il faut savoir tourner la page quand un projet ne fonctionne pas, pour faire mieux avec le suivant.

Vis-à-vis de ton expérience, t’aurais quoi à donner comme conseils à un gars qui part de zéro, les poches vides, et qui se lance dans le Game Design avec dans son sac plein d’idées et d’ambition ?

Ah… Là c’est le vieux con qui va parler ! Un jeu c’est d’abord un gameplay. On peut coller un bon scénario sur un bon gameplay pour faire un jeu génial. L’inverse n’est pas vrai, sauf pour faire un jeu d’aventure façon Day of the tentacle ou Monkey island. En général ça donnera un jeu creux qui va coûter très cher en cinématiques. Pour faire du purement narratif, il vaut alors mieux se tourner vers le cinéma, le livre ou la BD. Typiquement, un auteur de jeux de plateau est un bon game designer parce qu’il met la mécanique de jeu au centre de sa création, vu qu’il n’a recours à aucun artifice pour cacher le manque d’intérêt du jeu. Donc, créateur en herbe, apprends un logiciel de maquettage de jeux du type Game maker pour tester l’intérêt de ton idée. Si tes copains apprécient, malgré l’absence de graphisme, c’est que tu tiens là un bon concept. Je connais des jeux très intéressants qui ne possèdent aucun graphisme. Par exemple, le gars juste à côté de moi au boulot joue tous les midis à Cataclysm… avec des graphismes ASCII. Donc ce n’est pas l’enrobage qui fait un bon jeu. Et puis commence petit. Ce ne serait pas raisonnable de commencer avec un successeur de World of Warcraft ! Enfin, le dernier conseil : ne copiez pas ce que les autres ont déjà fait avec plus de budget que vous. Proposez des idées fraiches ! Pour cela, une bonne culture générale dans tous les domaines est nécessaire : jeux de plateau, films, séries, BD, comics, mangas…

Est-ce que les jeux qui t’ont marqués en tant que joueur sont les mêmes qui t’ont impressionnés en tant que créateur ?

Quand je joue à un jeu, j’essaie d’oublier le côté création pour vraiment profiter du jeu. Sinon, je décortique et je perds tout l’intérêt du jeu ! J’apprécie en général les jeux qui réussissent à être intéressant avec des idées simples. Prenons Portal par exemple. Voilà un jeu qu’on aurait pu faire… il part d’une idée gameplay unique déclinée de manière vraiment ingénieuse. La classe ! Bon, j’aime aussi les grosses productions. J’ai adoré Uncharted !

Pour te poser au moins une question un peu plus classique : Parle nous de tes projets à venir et/ou des idées que tu aimerais explorer, lâches toi.

J’aime l’humour et le décalage. Les bananes d’or… En voilà une bonne idée ! Continuez à vous démarquer de vos petits camarades, c’est la bonne formule. Des tests, des bons reportages, quelques articles de fond, des interviews… Par contre je suis un peu déçu… je n’ai pas trouvé trace de Mireille Mathieu sur le site… Je suis pourtant certain qu’elle a plein de trucs à raconter au niveau jeux vidéo.

4 Commentaires
Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *