Parlons jeux vidéo avec… Chris Avellone

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Ce mois-ci c’est Chris Avellone, créateur de légende ayant officié sur bons nombres de titres cultes, avec qui nous parlons jeux vidéo…

« Parlons jeux vidéo avec… » est un concept d’entretiens un peu particulier puisque si les créateurs de jeux vidéo qui y répondent changent, les questions, elles, ne changent pas. Tournant autour du média jeu vidéo et non pas autour d’un jeu en particulier, le but de ces questions est de cerner la vision des créateurs et de les comparer. C’est en quelque sorte un témoignage de ce que le jeu vidéo était, est, et de ce qu’il peut être amené à devenir selon ceux qui les font.

A noter que pour des raisons de traduction, la première et la dernière question habituelle n’ont pas été posées.

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Chris n’est même pas obèse !
Chris Avellone (né en 1971), tel un gros nerd, était passionné dès l’enfance de Donjons & Dragons grâce aux images d’orcs et de filles à gros nibards qui illustraient les règles. Il était tellement à fond qu’il chercha dès le lycée à intégrer les rédactions des magazines spécialisés pour écrire autour du sujet et devenir un membre actif de la communauté, alors qu’il avait bien entendu sa propre communauté de joueurs avec ses potes à boutons et à lunettes (et qu’il était encore probablement puceau). Après un nombre incalculable de refus des éditeurs il intégra finalement Hero Game qui lui permit d’assouvir sa passion. Durant ses années de Fac il réussit à se faire embaucher par Interplay, méga éditeur de jeux vidéo à l’époque, un peu par hasard grâce à un mec d’Hero Game qui lui fit obtenir un entretien. Vu qu’il était déjà blindé d’expérience dans le jeu de rôle qu’il connaissait sur le bout des doigts et qu’il avait un milliard d’idées, il fut embauché comme game designer et intégra le pas encore légendaire studio de développement Black Isles. Plus tard alors qu’il créait quelques décors et personnages de Fallout 2, il imagina Planescape : Torment (sur lequel il se ruina littéralement la santé), excusez du peu, c’est juste deux des meilleurs RPG de tous les temps. Finalement malgré, notamment, Baldur’s Gate en plus sur lequel bossa Chris, Interplay a déconné sévère avec les thunes et annula énormément de projets de Black Isles y compris un troisième épisode de Fallout (qui fut pourtant post-produit pendant plusieurs années). Ca commençait rudement à sentir le pâté alors Chris se cassa fonder, avec quatre collègues, Obsidian. Star Wars : KotOR 2, Neverwinter Night 2 sont sortis depuis, Alpha Protocol et Fallout : New Vegas sont à venir. Pour un ancien nerd, devenir une des légendes des créateurs de RPG, c’est cohérent (et il n’est plus puceau en plus).

Sur Polygamer on se pose plein de questions vis-à-vis du jeu vidéo, par exemple comment tu expliques qu’il arrive à nous angoisser, nous stresser, nous faire réfléchir (à des énigmes surtout), nous injecter de l’adrénaline, mais qu’il nous fait rarement rire et pour ainsi dire jamais pleurer ?
L’humour dans les jeux est difficile à retranscrire. Ce qui nous fait rire ou pleurer varie selon les personnes – et il est difficile de construire assez d’empathie envers un personnage pour créer directement une émotion de tristesse.

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Monkey Island aura marqué un nombre incalculable de gens, y compris chez les créateurs de jeux.
Les fois où j’ai vu l’humour utilisé avec succès c’était dans des jeux comme Monkey Island, où, pour moi, le dialogue et la façon de l’amener sont très drôles. J’apprécie également les moments où le sarcasme est utilisé dans les jeux, étant donné que le sarcasme m’amuse, mais ce n’est pas le cas de tout le monde.

Sur le fait de pleurer. Pleurer peut provenir de la perte. Donc la question est, comment peux-tu établir une connexion à des PNJ au point de ressentir de la sympathie pour eux et qu’ils te manquent lorsqu’ils sont partis ? Le seul jeu qui a fait ça pour moi c’est Planetfall d’Infocom. Le seul jeu pour lequel j’ai essayé d’établir un sentiment de perte chez le joueur a été Planescape Torment, et ça fonctionne parce que la personne que tu perds c’est ton propre personnage – tu n’es pas en train de regarder quelqu’un partir, tu es le seul à t’éloigner de tes compagnons. Donc, mon conseil ? Rendre la perte personnelle et faire en sorte qu’elle soit centrée sur le personnage.

Justement, tu ferais quoi toi, en tant qu’auteur plein d’idées, pour nous faire pisser de rire ou pleurer d’émotion dans un jeu ? Tu travaillerais surtout la narration ? L’interaction ? Le côté visuel ?
Il ne faut pas forcer l’humour, qu’il vienne du contexte des actions du joueur et à chaque fois que c’est possible que l’humour soit interactif, qu’il ne soit pas issu du fait de regarder une scène passive. Il faut essayer d’être dans la tête du joueur et anticiper ses réactions tout en lui donnant des options pour ça. Par exemple, rien ne provoque chez moi une réaction aussi jouissive que lorsque Ripley dans Aliens fait exactement écho à ce que le spectateur pense.

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Ripley en plein flip qui caresse nerveusement le chat du vaisseau qui va se faire bouffer dans les scènes d’après.
(Ndlr : La scène où elle dit qu’il faut les pulvériser depuis l’espace, l’autre gueule parce que ça coûte super cher, Ripley répond qu’ils n’ont qu’à lui envoyer la facture). Tout le monde dans le public peut se sentir en adéquation avec le fait qu’il faut fuir l’enfer de LV-426 et balancer des bombes nucléaires sur ce nid de prédateurs vicieux, qui a de l’acide à la place du sang. Donc, chercher des points dans le jeu où on va être amené à penser à une solution que les personnages vont réaliser et qui va faire directement écho à ce que le joueur pense.

La narration, l’interaction, le côté visuel peuvent tous contribuer à retranscrire de l’humour où la tristesse d’une perte, mais vraiment, tu dois te concentrer sur l’audio…

Le ton de la voix d’un acteur et le fond musical feront bien plus pour créer une atmosphère que n’importe quelle séquence visuelle ou interactive.

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Alpha Protocol dispose d’un univers original pour un RPG, et ça, c’est bien.
A titre d’exemple dans Alpha Protocol, Michael Thorton peut développer une relation amoureuse avec un de ses contacts ou tout simplement la détester, Madison… et lorsque tu interagis avec elle, la musique et la qualité du doublage sont tout ce qui motive l’émotion de la scène. Lorsque vous vous haïssez, la musique est tendue, dangereuse, et tout ce qui concerne le ton de Madison indique combien elle te méprise. Dans l’autre sens, la voix et la musique (plus douce, plus lente) indique clairement l’atmosphère romantique.

Imaginons que je sois bien placé chez Microsoft et Epic, j’te file la tête du développement du prochain Gears of War, t’es libre à 100%. T’en fais quoi et pourquoi ?

J’en ferais sûrement un RPG troisième personne heroïc-fantasy, je donnerai au perso principal une tenue colorée, des oreilles pointues, un chapeau et… Je sais pas… un boomerang, une épée, un bouclier et quelques bombes.

Imaginons que je sois bien placé chez Nintendo (ouais je sais, je suis apprécié chez beaucoup de monde), j’te file la tête du développement du prochain Zelda, t’es libre à 100%. T’en fais quoi et pourquoi ?

Je rendrais le monde de Link envahi par des créatures qui vivent sous terre, je lui donnerai une armure de guerre, un flingue avec une tronçonneuse, la possibilité d’appeler un canon laser de la mort qui arrive du ciel, et la capacité de se mettre à couvert à outrance pour faire retourner les humanoïdes dans les trous d’où ils viennent qu’ils font exploser pour surgir de sous terre.

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Le sexe dans Mass Effect artistique ?
Le sexe dans le jeu vidéo, ça sera possible un jour en occident ? (J’entends par là des jeux à caractère sexuel commercialisés strictement pour les adultes évidemment, non pas quelconque rapports bizarres avec ta console…. Ma question au-delà d’être lubrique ou ludique penche surtout à te faire causer censure et histoires uniquement pour adultes dans un jeu vidéo…)
Oui. Il ya déjà beaucoup de mini-jeux du genre dans les titres grand public, mais ça ne sera jamais vraiment profond tant qu’on n’aura pas une expérience complète de la chose. Je ne parle pas uniquement de la pornographie, je crois qu’il y a des histoires d’amour et des situations où l’activité sexuelle peut être interactive et artistique (Mass Effect va dans ce sens, à mon avis).

As-tu des frustrations en tant que créateur de jeux vidéo ? Lesquelles ? Pourquoi ?
Seulement les typiques, à propos des ressources, du temps et des paramètres. Je suis sûr qu’on aimerait tous que tout se passe dans le meilleur des monde et qu’on puisse mettre toutes nos idées dans les jeux, c’est juste une question de savoir faire, de comment le faire, et de combien ça coûtera à l’industrie.

Faire des jeux vidéo, c’était mieux avant ?
C’était mieux dans certains cas, moins bien dans d’autres. Pour le cas du doublage vocal par exemple.

Pour certains aspects, avoir un jeu entièrement doublé est fantastique. Sur le plan du développement, cependant, le coût, les ressources et l’inflexibilité de la VO enregistrée (ainsi que l’organisation des sessions de studio), font que c’est un vrai défi dans l’élaboration d’un RPG. Alors … pour tous les aspects du développement du jeu, il ya des compromis à faire. L’industrie a définitivement changé au fil du temps, ce qui entraîne une spécialisation de plus en plus poussé dans l’art, le design, la programmation, et qui conduit à des tailles d’équipes de développement beaucoup plus conséquente. Ce qui rend la réalisation d’une vision plus difficile, mais pas impossible.

La solution à ça est simplement de faire ses jeux pour le plaisir, le fun, et à bien des égards, je remercie la communauté iPod et téléphone portable pour l’opportunité de sortir des plus petits jeux et plus gérables, qui sont amusants à jouer.

Parles nous d’un ou de plusieurs de tes projets que tu aurais aimé sortir mais que tu n’as pas pu suite aux refus des éditeurs ou autres soucis. Parait que chaque créateur a au moins un projet maudit de ce type dans son baluchon, donc voilà, frustre nous de ne jamais pouvoir y jouer je t’en prie… D’ailleurs avec le recul t’en penses quoi de ce(s) projet(s) qui reste(nt) dans les cartons et de ce qui les y fait rester ?

Je voulais faire une suite à Planescape Torment, baptisée Lost Soul, basée sur les vies de Deionarra, Ravel, Dak’kon et autres personnages, et qui aurait raconté leurs histoires parallèles, avant et pendant les événements de Torment, sous forme de RPG.

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Le légendaire Planetscape Torment.
Je voulais également faire un autre jeu baptisé Planescape : Tesseract, basé sur l’univers de Planescape, mais qui ne serait pas lié à Torment. J’avais même réalisé un échantillon de 2-3 heures, au format papier/stylo, auquel j’ai joué une année à la GDC avec quelques gars de la presse ainsi que Ray et Greg de chez Bioware (Ndlr : Muzyka et Zeschuk, les boss de la firme).
Chacun avait reçu un personnage préétabli et une limite de temps pour accomplir leurs objectifs. J’ai vraiment aimé le character design, et j’adorais développer ces personnages, mais nombre d’entre eux ne fonctionnent uniquement que dans le contexte et l’univers de Planetscape.

Vis-à-vis de ton expérience, t’aurais quoi à donner comme conseils à un gars qui part de zéro, les poches vides, et qui se lance dans le Game Design avec dans son sac plein d’idées et d’ambition ?

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Le mode ‘Oscuro’s Oblivion Overhaul’ pour Oblivion aura tapé dans l’oeil d’Obsidian.
Prenez un job à temps partiel qui ne bouffe pas toute votre créativité, ou mieux encore, trouvez-vous un poste dans l’industrie du jeu, sans pour autant que ça ne soit dans le développement. Si vous avez des idées, réalisez-les vous-même. Développez des mods et utilisez les éditeurs de jeux (NWN, NWN2, G.E.C.K.) pour créer votre propre contenu et voir si vous aimez vraiment ça.

Si vous vous passionnez pour ce truc, vous allez apprendre énormément par vous-même, et c’est quelque chose d’enfer à mettre sur son CV. Nous avons engagé des mecs en se basant uniquement sur le succès de leurs mods, basés sur des éditeurs de RPG. (Par exemple Jorge Salgado, qui a crée le mod Oscuro’s Oblivion Overhaul).

Est-ce que les jeux qui t’ont marqués en tant que joueur sont les mêmes qui t’ont impressionnés en tant que créateur ?
Ouais, et System Shock 2 est tout en haut de la liste, suivi par Chrono Trigger. Portal aussi. Si quelqu’un m’avait dit un jour qu’il y aurait un FPS où tu n’as pas d’arme, j’aurai rigolé sec. Portal m’a prouvé que j’avais tort.

Pour te poser au moins une question un peu plus classique : Parle nous de tes projets à venir et/ou des idées que tu aimerais explorer, lâches toi.
J’adorerai faire un jeu basé sur la série The Wire. L’idée de lentement construire un dossier contre une cible et d’équilibrer les défauts de ton équipe pour obtenir une affaire pénale réussie est intrigante. Quand je regarde The Wire, je suis tellement habitué à voir des séries juridico-criminelle traitant d’un crime par épisode, que d’avoir un seul cas s’étendant sur une saison complète fait que l’investissement que je ressens est plus important. On pourrait faire la même chose avec un jeu.

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