Moi, vache à lait, ma vie, mon oeuvre

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Depuis que le jeu vidéo est devenu grand public, le sport favori des éditeurs, c’est de nous la mettre dans le cul et de nous traire jusqu’à l’épuisement des ressources.

Nostalgie

Le propre du consommateur, c’est de consommer. Consommer pour satisfaire une envie, un besoin… qui parfois, prévaut sur le produit lui-même. Car le consommateur et son sacro-saint pouvoir d’achat sont le moteur de l’économie d’un pays. C’est lui qui fait tourner le monde. Grâce à lui, des entreprises prospèrent (ou subsistent), des emplois sont préservés (ou les dividendes des actionnaires) et la fameuse croissance chère à nos gouvernements est au beau fixe. Alors je ne vais pas vous ressortir mes vieilles idées anar’, montrer du doigt cette aberration qu’est le principe de croissance, ou tout simplement, faire de la politique… ce n’est ni le lieu, ni le moment. Mais il faut bien avouer que s’il existe une industrie où la consommation est poussée à son paroxysme, c’est bien l’industrie du loisir, et plus particulièrement, l’industrie du jeu vidéo. Depuis tous temps, le prix des jeux vidéo a toujours fait l’objet de débats.Je me souviens ainsi d’une époque aujourd’hui révolue, où les jeux sortaient sur disquettes. Certains d’entre vous nageaient peut-être encore dans les testicules de leur paternel, le Minitel vivait ses heures de gloire, l’URSS et les Etats-Unis étaient de grandes et puissantes nations et Generation 4 sortait en kiosques tous les mois. Bref, cette époque bénie des dieux fut le témoin de ma première publication (comme un signe ?), dans les colonnes du courrier des lecteurs de Gen4, comme on l’appelait dans le milieu. Cette missive était un haro contre les éditeurs, qui abusaient déjà sur le prix de vente de leurs produits. C’était une époque charnière où les CD-Rom commençaient à envahir le marché, résorbant petit à petit le piratage massif qui existait alors, rendant ainsi caduque le principe des prix exorbitants pour contrebalancer les pertes dues au manque à gagner évident.

Explosion des budgets

Bien sûr, j’y soulignais la hausse des coûts de production, et notamment la création d’un budget « casting » dû à la banalisation des doublages de dialogues, survenue à la naissance du CD-Rom, puis avec l’avènement du DVD-Rom. Mais j’étais persuadé alors (et je le suis toujours), que ces frais supplémentaires n’étaient en rien responsables de l’absence de baisse de prix significative. Le responsable à mon sens, c’était le banquier des éditeurs, qui voyait d’un mauvais œil que les hauts revenus de ses clients cessent de croitre. Et puis pourquoi se gêner ? Le joueur a toujours troqué sa vie, ses envies et ses ambitions, pour subventionner sa passion. On parle quand même d’un consommateur capable de claquer près de 200 euros pour un jeu Neo Geo. Alors pourquoi vendre un produit à bas prix, quand on sait qu’il paiera, même si le prix est abusif ? C’est le premier pilier du jeu vidéo. Le premier commandement pour tout éditeur qui se respecte : Tes clients, tu saigneras à blanc !Et depuis ces temps immémoriaux, la tendance ne s’est pas inversée… loin de là. Bien au contraire, les coûts de production sont devenus de plus en plus onéreux, dépassant aujourd’hui pour les plus gros titres, celui de films hollywoodiens de moyenne gamme. Ces budgets colossaux englobent désormais les salaires de plusieurs centaines de salariés (quand à l’époque les jeux se développaient en équipes réduites), ceux des kits de développement, les salaires des stars du grand écran embauchées pour le doublage et les frais de fonctionnement inhérents aux plus grandes entreprises. Et bien sûr, je n’oublie pas les frais marketings parfois pharaoniques, puisque les vieilles pubs de papier glacé d’antan, qu’on trouvait exclusivement dans les revues spécialisées, sont aujourd’hui remplacées par des spots TV internationaux et des affiches 4×3 dans le métro. Entre temps, le jeu vidéo est devenu un média de masse.

Le dieu marketing

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Black Ops s’est tellement vendu, que je me demande bien pourquoi Activision s’emmerde à sortir d’autres jeux…

L’envolée des coûts de production est une obligation due à l’explosion du marché et la course à la technologie qui régit la condition humaine. Mais investir quelques millions de dollars dans un Call of Duty, quand on sait que le dernier s’est écoulé à plus de 20 millions d’exemplaires (auxquels s’ajoutent 18 millions de map pack), ce n’est plus une possibilité, mais une nécessité. Et la plupart des gros acteurs de ce secteur ont leur locomotive : les Call of Duty, Battlefield, Sims, Fifa, Assassin’s Creed et autres blockbusters. Pour ces titres, les risques sont moindres, mais pour d’autres, le retour sur investissements n’est pas forcément acquis. C’est d’ailleurs la principale raison de la légendaire frilosité des éditeurs lorsqu’il s’agit de lancer une nouvelle licence sur le marché. De la même manière que les thèmes abordés dans les jeux triple-A, tournent systématiquement autour de deux ou trois univers usés jusqu’aux coudes (Sci-Fi, guerre moderne et Heroïc Fantasy).

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Homefront, ou comment un bon plan marketing peut sauver un jeu médiocre de la banqueroute.

La prise de risque est l’ennemi juré des éditeurs. Vous sortez un mauvais clone de Call of Duty, au hasard Homefront, et il se vend à 2 millions d’unités. Vous sortez un jeu de plateformes dans un univers original, au hasard Psychonauts, et il se vend à 100 milles unités. Pourtant, entre l’excellence d’un Psychonauts et la médiocrité d’un Homefront, il y a un gouffre béant et insondable. Mais la différence fondamentale entre ces deux titres, n’est pas leur qualité ou leur genre respectif, mais leur budget marketing. « On peut tromper le monde entier en permanence pour peu que la publicité soit bonne et le budget suffisamment gros » clamait Joseph Levine. Ça les éditeurs l’ont bien compris. Le jeu est merdique ? Il se fera descendre par les critiques et les gamers, qui lui pisseront à la raie ? Qu’importe, balançons une pub à la télé, collons des affiches partout et vendons 3 millions de merdes nauséabondes. Le public ne s’en rendra même pas compte. Il bouffe bien de la téléréalité à s’en crever la panse et écoute de la merde à s’en faire saigner les oreilles…

Diviser pour mieux régner

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Mafia II s’est vendu à près de 2 millions d’exemplaires, mais comme pour Homefront, le studio a été remercié.

Mais même si le public est malléable, le risque zéro n’existe pas. La solution pour le réduire à son maximum, c’est de multiplier les plans de bataille pour assaillir le consommateur. Aujourd’hui, un jeu n’est pas rentable s’il est vendu en l’état. Ou plutôt, l’investissement des actionnaires n’est pas rentable, si un jeu est vendu en l’état. Car il ne faut pas se leurrer… un jeu qui ne remplit pas ses objectifs, n’est pas forcément un jeu qui ne peut pas rétribuer ses salariés. Toutefois, dans le monde tel que nous le connaissons, le salarié se situe tout au bout de la chaine alimentaire. Avant de pouvoir le payer, il faut d’abord payer les actionnaires. Et on ne paie pas un salarié si l’actionnaire n’a pas un retour suffisant sur son investissement, on le vire ! C’est le monde merveilleux du capitalisme et des places boursières : Un monde où pour grandir, une entreprise a besoin de plus en plus d’actionnaires et de moins en moins de salariés… en tout cas, pas ceux qui coûtent de l’argent. Mais bon, je m’égare…

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Grâce au Pass DLC, L.A. Noire se prend pour Minority Report et vous faire résoudre des affaires avant que les meurtres ne soient commis.

Il n’y a pas de jeu rentable s’il est vendu en l’état disais-je. Alors la solution, c’est de le morceler. « Diviser pour mieux régner », comme le disait Machiavel. Plutôt que de vendre 20 heures de jeu en une seule fois, on n’en vend que 10. On ajoute une à deux heures via des DLC prohibitifs, et une petite dizaine d’autres dans une suite développée à la va-vite, balancée l’année suivante, qui elle aussi bénéficiera de ses propres DLC trop souvent inutiles. Même un jeu qui ne se vend pas, offrira son lot de DLC… car ces derniers sont financés, voire terminés, en même temps que le titre concerné (si ce n’est avant). Aujourd’hui, les éditeurs ont même trouvé une nouvelle astuce pour s’assurer des revenus conséquents : Les pass VIP, permettant aux joueurs d’obtenir des réductions de prix, en échange d’un achat anticipé. Pour quelques euros supplémentaires, le consommateur assure la pérennité et la rentabilité d’un titre. Et si ces futurs DLC sont merdiques ? Tant pis pour votre gueule !

Pass Pass le oinj

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Electronic Arts, comme la plupart des autres éditeurs, est entré en guerre contre le marché de l’occasion en déployant leur arme fatale : Le pass online.

C’est une première. Aucune industrie au monde n’avait réussi ce tour de force auparavant : Vous faire payer pour, non pas un, mais plusieurs ajouts au produit originel, avant même que ceux-ci ne voient le jour. C’est un peu comme acheter une bagnole, mais payer en plus pour un deuxième autoradio, pas encore sorti… ni même conçu. Enfin, je dis autoradio, mais vu la qualité générale des DLC, je devrais plutôt parler de sapin désodorisant. Ou comme acheter les chansons bonus du dernier album d’un quelconque artiste, avant même qu’elles soient composées. C’est complètement aberrant, mais ça ne choque personne. Plus l’arnaque est grande, plus elle passe inaperçue. Un peu comme pour l’autre pass, le mal aimé pass online qui permet de jouer en ligne en se délestant d’une dizaine d’euros supplémentaires, dont le but avoué est de combattre le marché de l’occasion. Car l’occasion, c’est un chancre pour les éditeurs… il côtoie le terrorisme, la drogue et la peste, au panthéon des fléaux de l’humanité.Il faut dire que les joueurs sont des êtres ignobles, sans scrupule, ni vergogne, qui n’hésitent pas à revendre les jeux auxquels ils ne jouent plus, et à fortiori, à acheter des jeux ayant déjà servis, pour économiser les quelques deniers qui leur serviront à manger de la viande deux fois par mois. Bien sûr, ces salauds méritent la mort, éviscérés sur la place publique. Mais les éditeurs sont magnanimes et leur ont accordé le salut. En échange, ils mettent en place ce fameux pass en ligne pour les faire raquer d’avantage, et combler le manque à gagner occasionné par ce marché. De toute façon, la viande c’est surfait ! Si on reprend notre image de la voiture, précédemment utilisée, cela revient à faire payer des frais supplémentaires aux acheteurs de bagnoles d’occasion, pour pouvoir bénéficier de l’ABS ou de vitres électriques. Mais encore une fois, ça ne scandalise personne.

Avenir morose

A l’image de notre société, le joueur évolue dans un univers où son intégrité anale est mise à mal quotidiennement. Et si les éditeurs peuvent à ce point abuser du consommateur, en toute impunité, c’est qu’ils misent tout sur un principe simple et séculaire : L’individualisme de l’être humain. Car pour faire valoir ses droits, l’homme doit agir en groupe (et de préférence, un gros groupe). Seulement, le joueur est trop accro pour boycotter massivement l’industrie qui le fait rêver. Si un seul éditeur dans le lot agissait de la sorte, ça pourrait peut-être se faire (et encore, si c’était le cas, le mal aimé Activision ne serait pas le 1er éditeur mondial). Mais quand tous s’entendent pour avancer sur la même voie, celle du profit au mépris d’autrui, un boycott se résumerait à abandonner purement et simplement le jeu vidéo (ou se contenter de la scène indé). Et ça, peu de joueurs en sont capables… en tout cas pas suffisamment pour inquiéter les ogres que sont les grandes maisons d’éditions.Dès lors, je ne peux m’empêcher de porter un regard pessimiste, sur ce média qui me passionne tant. Au fil des années je le vois partir en décrépitude, portée par les ambitions démesurées des éditeurs et leur attitude dédaigneuse de petits dictateurs. Non seulement le prix des jeux me parait toujours aussi exorbitant, mais petit à petit, on nous assène de nouvelles règles promptes à nous labourer l’anus : DLC abusifs, Pass online, marché avatar, copiés-collés récurrents, durées de vie réduites, challenge inexistant, jeux finis à la truelle, motion et social gaming omniprésents. Au train où vont les choses, j’ai bien peur que d’ici quelques années, plutôt que de m’éclater un pad à la main, je pourrais bien finir dans un Rockin’ Chair, à faire du tricot ou du macramé… et ça, ça me fait royalement chier !

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