L’histoire sans fin

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S’il y a bien un point sur lequel cinéma et jeu vidéo s’entendent, c’est bien sur le misérabilisme de leurs scénarii, et notamment sur cette idée saugrenue que pour faire un bon film/jeu rentable, il faut qu’il s’ouvre sur une suite…

La règle de trois

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Too Human devait être une trilogie. Aujourd’hui, même l’unique 1er opus doit être retiré de la vente…
A priori, pour l’industrie du cinéma et du jeu vidéo, une bonne histoire ne peut s’écrire autrement qu’en une trilogie. Pour le jeu vidéo, c’est même encore plus ridicule. Car si le cinéma n’a pas peur de pondre des films de 2h30, le jeu vidéo considère qu’il vaut mieux trois histoires de 4 heures, qu’une seule de 12. C’est en tout cas l’amer constat que l’on peut faire, quand on voit la durée de vie moyenne d’un triple A d’aujourd’hui. D’ailleurs, cette règle est tellement vraie que lorsqu’un producteur/éditeur dépasse le cadre de la trilogie, il ne peut s’empêcher de rempiler pour une seconde, et donc un total de six « épisodes ». Certains, sûrs de leur fait, annoncent même leur trilogie avant que ne débute le premier volet de la saga. C’est une manière comme une autre de nous dire : « Achetez mon jeu/Allez voir mon film, comme ça je pourrais vous vendre sa suite, pigeons que vous êtes ». Résultat, quand les ventes sont décevantes, la licence s’arrête purement et simplement, sans s’encombrer de détails comme « Mais, les fans ne seront-ils pas déçus de ne jamais connaitre la fin de cette histoire qu’on a délibérément laissé inachevée ? ».

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Si ça se trouve, la fin de Shenmue 3 aurait été toute pourrie…
Le pire dans tout ça, c’est qu’à part peut-être le cas de Shenmue, dont on ne verra jamais la fin (cruelle ironie), il ne doit pas exister beaucoup d’œuvres qui furent écrites pour une trilogie. Comprenez par là qu’on nous balance une fin ouverte pour nous pousser à voir/jouer à la suite, mais qu’à ce moment-là, celle-ci n’existe pas réellement sur le papier. Le seul endroit où elle a pris une quelconque forme, c’est dans l’esprit du marketeux qui n’y voit là qu’un potentiel commercial. Comprenez par-là que ce n’est pas comme si, pour chaque trilogie, on avait écrit un long scénario qu’on morcelait ensuite en trois parties distinctes. Non, c’est juste qu’à chaque fois on pond la suite d’un jeu ou d’un film, en fonction des attentes du public concerné ou de la mode du moment, en s’arrangeant pour qu’elle ait plus ou moins de cohérence avec son prédécesseur.

Total Freestyle

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Une image qui prend tout son sens quand on a vu la fin de la série.
C’est encore plus flagrant avec les séries américaines. En général, celle-ci partent sur un scénario de base, courant sur une saison, avec quelques ébauches d’idées par-ci par-là, insufflant une part de mystère. Ainsi, cela permet aux auteurs de finir l’année sur des gros cliffhangers de malade qui poussent le téléspectateur à mater la suite. Seulement, rien ne vous garantit de l’intérêt de cette suite, ni même que celle-ci répondra aux questions que les créateurs ont voulu que vous vous posiez. L’exemple le plus emblématique étant Lost, qui nous a pondu 7 saisons, dont 3 très moyennes (voire carrément nulles), pour finir sur un happy end vomitif qui n’explique en rien toutes ces énigmes que les scénaristes se sont amusés à balancer. D’autres, comme Weeds, changent même radicalement de ton, en passant de la mère de famille désœuvrée dealant de l’herbe pour nourrir sa famille, à la femme d’un putain de politicien véreux, trafiquant, proxénète et marchand d’esclaves de surcroit. C’est le syndrome 24 Heures Chrono : Vouloir en faire toujours plus, année après année, quitte à ce que ça devienne ridicule ou dénature complètement l’œuvre originelle. Dans un cas comme dans l’autre, le consommateur (car c’est ce qu’on est en définitive) se sent floué, abusé, souillé, violé (7 putains d’années de ma vie à mater cette série à la con, bordel !!!!).

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Ripley saute dans le magma à la fin d’Alien 3, ça ne l’empêche pas de revenir dans Alien 4.
C’est l’inconvénient d’écrire en freestyle, en se disant que de toute façon, on trouvera bien un moment pour expliquer ceci ou cela. Car le problème c’est que les histoires sont tellement blindées de ces « on trouvera bien un moment pour l’expliquer », qu’on finit par oublier d’en justifier la moitié. Et dans le jeu vidéo, où les développeurs semblent plus soumis à la pression du facteur « temps » (ai-je l’impression), c’est encore plus flagrant. Bien souvent, les fins de jeux sont tout simplement amputées, histoire de gagner quelques mois de développement et se caler pile poil avant la fin de l’exercice fiscal, la sortie d’une licence parallèle au cinéma ou pour s’aligner avec divers événements ponctuels comme Noël ou les vacances d’été. On zappe ainsi toute une partie pour sauter directement vers une fin écrite à l’arrache sur un morceau de PQ (Fahrenheit, Mass Effect ou Fable 3 pour ne citer qu’eux). Et quand on n’a pas d’idées valables pour une suite, ou qu’on a tué le personnage principal (Remarque, Alien 4 ne s’est pas fait chier avec ce « détail »), il reste l’astuce de la préquelle. Le truc le plus débile que le marketing n’a jamais inventé !

Aux origines

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Imaginez si les acteurs de la seconde trilogie avaient du arborer ce genre de coupe…
Alors certes, la préquelle part d’un bon sentiment. C’est toujours sympa d’apprendre comment tout a commencé. Seulement, dans 99% des cas (que ça soit au cinéma ou dans le jeu vidéo), c’est complètement incohérent. Prenez Star Wars par exemple, ces ersatz de films qui font mouiller toute une palanquée de geeks sur la planète. A l’époque de la première trilogie, le cinéma de science-fiction était à son apogée. Les décors en carton-pâte côtoyaient les maquettes animées par des filins pas toujours très bien gommés au montage, et les écrans des vaisseaux spatiaux ultra-futuristes étaient de bon gros CRT des familles, tournant sous DOS ou, pour les plus avant-gardistes, sous Windows 3.1. Et puis soudain, vingt ans plus tard sort une nouvelle trilogie, censée se passer AVANT la première. Les images de synthèse ont remplacées les maquettes d’antan, les écrans sont désormais des écrans plats tournant sous Windows Millénium (d’où le fait que la nouvelle trilogie est toute pourrie) et les personnages principaux se coiffent comme Cristiano Ronaldo alors que les originaux arboraient moustaches, rouflaquettes et brushings seventies (j’exagère à moitié, mais vous avez compris l’idée…). Bref, tout parait beaucoup plus moderne, alors que c’est censé se dérouler avant. Ça ne pose de problème à personne ?

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Halo Reach se passe avant Halo, mais y a des armes et des ennemis qui n’existent pas dans Halo. Logique.
Mais là encore, le jeu vidéo arrive à faire pire. Car il y existe un principe qui n’a cure dans le cinéma, celui de proposer toujours plus de nouveautés, toujours plus de possibilités de gameplay pour le joueur. Ainsi, lorsqu’un personnage dans la série originelle n’était armé que d’un vulgaire fusil à pompe tout rouillé, son aïeul dans la préquelle qui suit, se voit affublé d’un putain de canon plasma qui poutre les ennemis à la dizaine. En effet, comment expliquer au joueur déjà rompu aux épisodes précédents, qu’il doit se contenter d’un simple pied de biche et d’un combo aérosol/allumettes tout le long du jeu, pour que la progression inversée reste tout de même cohérente ? C’est impossible. Pour l’attirer, il faut lui vendre du rêve, de la bidoche, des tripes et des hectolitres de sang qu’il serait impossible de répandre avec un arsenal du pauvre. La résultante, c’est que dans 9 cas sur 10 (pour ne pas dire 10), le héros de la préquelle est bien plus puissant, rapide, agile (etc.) que le héros de l’épisode originel. Tout ça pour quoi, au final ? Pour faire du fric. Parce que la société de consommation qui régit notre vie nous prend clairement pour des crétins, et ne cherche même pas à s’en cacher. Parce qu’il est plus facile de vendre un jeu qui porte le nom d’une licence à succès, même si elle n’a plus grand-chose à voir avec cette dernière. Regardez Lords of Shadow par exemple. D’abord annoncé en catimini, il est repris l’année suivante par Kojima et Konami, et arbore alors soudainement le nom de Castlevania. Et comment se termine Castlevania ? Je vous le donne en mil ! Par un cliffhanger de fou, qui ne semble toutefois pas avoir d’incidence sur la suite annoncée au dernier E3. N’importe quoi ! C’est tellement n’importe quoi que moi non plus, tiens, je ne vais pas conclure ce papier… Sait-on jamais, j’en ferai peut-être une suite un jour.

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