Entretien avec Marion Coville, jeu vidéo, art et culture

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Commissaire d’expo adjointe sur l’Arcade Expo, Marion Coville (aka Moossye) aspire à faire du jeu vidéo son métier, mais dans le pur domaine culturel et artistique… Entretien.

Pour commencer si tu peux nous faire une rapide bio histoire que l’on te situe ça serait sympa. Qui tu es, d’où tu viens (même si une fille aussi charmante et intelligente vient forcément de Picardie), ce que tu fais etc (n’oublie pas de parler de tes activités en rapport aux jeux vidéo parce qu’on n’est pas tellement un site de philatélie).

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Oui elle est jolie aussi. On espère avoir un pic d’audience du coup avec la photo.
Je suis née en 88, et j’ai la chance d’avoir un grand frère de 14 ans mon ainé passionné d’informatique. Alors j’ai rapidement squatté son ordinateur portable et ses jeux, quand j’avais 4 ou 5 ans (Prince of Persia, Day of the tentacle…).
J’ai toujours plus ou moins joué, sans que cela ait un quelconque rapport avec mes études ou mon travail, qui lui, était jusqu’ici plutôt dans le domaine de l’art contemporain (j’ai fait 3 ans aux beaux arts, puis j’ai bossé dans quelques centres d’art comme le Palais de Tokyo et Bétonsalon.)
Depuis l’année dernière, je suis un cursus pro à la Sorbonne, en Métiers des Arts et de la Culture, ça m’a permis de découvrir les études culturelles et, par extension, les game studies… Et me voilà aujourd’hui à travailler sur l’exposition Arcade ! pendant que je mène des recherches sur le jeu vidéo.

Je sais que tu as récemment écrit pour les éditions Pix’ n Love également, pour Les Cahiers du Jeu Vidéo, c’est ça ?

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C’est avec ce numéro que Marion a fait connaissance avec les excellentes éditions Pix N’Love.
Je ne sais plus comment j’ai eu connaissance de Pix’n Love, mais je me rappelle que le premier ouvrage acheté chez eux était Les Cahiers du Jeu Vidéo #3 : légendes urbaines. J’aime beaucoup leurs ouvrages et leur volonté de parler du jeu vidéo autrement, notamment avec les Cahiers du JV, qui proposent des articles beaucoup plus creusés, approfondis… (Et écrits par des gens passionnés par le jeu vidéo, eux même joueurs.)
J’avais beaucoup aimé l’article de Sandra-DR sur Les Sims, ou encore celui d’Antonin Bechler, sur la représentation des villes dans les RPG Japonais.
Pour le 4, dont le titre est « Girl Power », j’y ai écrit un article sur Bayonetta (je suis prévisible, n’est ce pas ?).

Pas forcément, il faut d’abord savoir que tu es une grande fan de Bayonetta (ce que tout le monde sait maintenant). Je partage ton avis sur Pix’ n Love et j’en profite pour faire une annonce déguisée pour les fans de Polygamer, d’ici quelques temps quelque chose en rapport à Polygamer et Pix’ n Love va sortir et ça va être rudement bien… Toi aussi tu as hâte hein ?
Oui oui oui, une picarde est toujours impatiente.

Parlons de l’Arcade Expo pour laquelle tu as aidé son créateur, Nicolas Rosette, et pour qui tu es devenue en quelques sortes Commissaire d’Expo adjointe. Vite fait bien fait, parce que tu le feras mieux que moi, résumes aux ignares ce qu’est l’Arcade Expo et ce qu’elle cherche à montrer (promis après je vais poser de vraies questions). PS : Pour plus de détails sur l’Arcade Expo, les lecteurs n’auront qu’à visiter le site de l’arcade expo (Marion m’a juste menacé de me péter la gueule si je ne mettais pas le lien, j’sais pas si vous imaginez ce qu’une tarte dans la gueule de Picarde représente…).

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Le cultissime REZ.
L’exposition « Arcade ! Jeux vidéo et Pop Art », c’est une exposition itinérante qui propose 6 jeux vidéo issus des 10 dernières années (le plus vieux est REZ, il date de 2001), pour la plupart issus de la création indépendante. Ils sont entièrement jouables (ce ne sont pas des démos), gratuitement, sur des bornes d’arcade designées pour l’occasion par le collectif de designers Kobaye. Les jeux sont vidéo projetés, ce qui permet d’avoir un écran de jeu de plusieurs mètres de large. Disons que globalement, à travers l’expo et le site (plein d’ITW et de contrib’), nous essayons d’interroger le jeu vidéo comme bien culturel et comme domaine de création.

Ce n’est pas ton métier officiel puisque tu es encore en parallèle au stade des études mais justement l’Arcade Expo te donne quand même cette expérience de Commissaire d’Expo. Fonction que tu ambitionnes donc de remplir à terme à plein temps en la conjuguant au jeu vidéo. Quelles sont tes idées à ce sujet ? Tes ambitions ?
J’aimerais effectivement rester dans le domaine de l’art et de la culture, c’est une certitude. Etre commissaire d’exposition est un rêve que nous sommes beaucoup à avoir, mais les places sont rares. L’action culturelle est un domaine qui m’intéresse également. Mes idées à ce sujet, c’est qu’il faut dépasser l’idée d’une culture unique et élitiste, qui se résume souvent à une culture dite « savante » ou « légitime ». Le jeu vidéo par exemple est encore rarement exposé, ou alors ce sont des artistes qui font une référence à ce domaine en l’utilisant comme matière première. Mais cela n’est qu’un exemple et je pense que l’on peut retrouver ça pour de nombreux autres domaines. Pour résumer, soyons un peu extrême et plein de stéréotypes : pour moi l’art et la culture, ça n’est pas que des classiques de la littérature et de la peinture. Je les aime aussi ces classiques, mais, ce qui, à mon sens, caractérise « la » culture, c’est justement qu’elle est plurielle (Michel de Certeau est ton ami.)

Justement, la création d’un jeu vidéo regroupe une foule de métiers, est-ce que tu penses que l’on peut exposer aussi facilement sur un jeu vidéo complet en lui-même, sur l’œuvre complète que représente un jeu vidéo, que sur un métier précis du jeu vidéo (concept artist par exemple qui se prête bien à l’exposition de tableaux) ?
Pour moi le plus important, c’est de ne jamais oublier que le jeu vidéo, même si on l’expose pour rappeler que c’est AUSSI un domaine de création et/ou un bien culturel, c’est avant tout un jeu. Ca parait con dit comme ça, j’ai l’impression d’enfoncer des portes ouvertes, mais en réalité, je pense que ça détermine une partie des conditions d’exposition. Exposer des jeux auxquels on ne pourrait pas jouer, je trouve que c’est perdre tout un pan du jeu, et c’est limiter son appréhension.

Mais sans exposer un jeu auquel on ne peut pas jouer, on peut par exemple exposer toute une série de tableaux, de recherches graphiques qui ont été faites pour un jeu. Exposer des artworks. C’est certainement assez simpliste comme concept tu me diras, mais des expositions de ce genre restent assez rares. Qu’en penses-tu ?
Je suis un peu embêtée car j’imagine que tu me parles de l’expo Assassin’s Creed… Que je n’ai pas eu le temps de voir, honte à moi ! Quelque part, c’est aussi ce qu’on fait avec le site internet d’Arcade, où l’on interview de nombreux game designers pour en apprendre plus sur leur manière de créer, leurs références, leurs sources d’inspiration (au sein du jeu vidéo, comme ailleurs)… Attention, instant slogan : « Montrer le processus de création, c’est important ». Ca réinscrit le jeu dans un contexte créatif, et pas seulement économique et industriel.

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Si Marion n’est pas forcément dans cette optique, je n’aurais rien contre une exposition des plus beaux travaux artistiques sur des jeux vidéo. Ici Okami.
Non non pas forcément pour l’expo Assassin’s Creed, dans les Festival de jeu il arrive qu’il y ait un coin avec une petite expo, au dernier FJV (très nul mais c’est pas la question) par exemple il y avait de petites expo sur Half-Life 2 et Gray Matter (si j’ai bonne mémoire). C’était « juste » des artworks.
Difficile de parler d’expositions que l’on n’a pas vues ! Comme je te disais plus haut, montrer les processus de création me paraît être quelque chose d’important , cependant, si ce ne sont « que » des artworks, il faut aussi se demander ce que l’on apporte de plus en les exposant (comparé à un livre d’artworks, par exemple.) : y a-t-il d’autres documents présentés ? Cela pourrait être intéressant de mettre en regard les artworks avec d’autres documents présentant des références, des inspirations que peuvent avoir utilisé les game designer (consciemment ou non), ou encore de montrer comment chaque créateur organise sa pensée, ses recherches… La mise en valeur de ce contexte créatif permet de mettre en évidence tout un travail de recherche, de réflexion qui permet la création de chaque jeu, sans pour autant sauter aux yeux dès que l’on a la manette en main.
Enfin, comme je te l’ai dit, je n’ai pas vu les expositions en question, c’est donc difficile d’en parler, mais je pense que l’intérêt d’une exposition ne réside pas seulement dans un accrochage d’images, et c’est là que réside le travail du commissaire, qui doit sélectionner différents documents, réfléchir à leur agencement, au discours qui les accompagne, pour apporter un nouveau regard ou, du moins, des pistes de réflexions….

Admettons que je sois milliardaire, je te fais Commissaire d’Expo dans une galerie de renom. Ce que tu souhaites montrer ce serait quoi alors ? Une série de jeux vidéo qui peuvent rentrer dans un thème précis, jouables, et qui montrent un côté artistique ?
C’est en tout cas ce qui a été fait pour arcade, où différents critères rentrent en compte :

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Aaaaaaah Shadow of the Colossus.
Déjà, le fait de choisir des jeux qui puissent être jouables assez rapidement, et donc, plutôt de type Arcade. Shadow of the Colossus par exemple, sur un grand écran, ça doit être formidable, mais il est difficile de proposer un titre qui nécessite plusieurs heures de jeu pour se dévoiler. Après il y a des critères visuels : tous les jeux sont sur fond noir, avec des couleurs très vives, ils rappellent une certaines esthétique d’une vingtaine d’année, liée, entre autre, à l’informatique. Chacun possède également un rapport très fort à la musique.
Bon, je ne vais te retracer tout le processus qui a permis de choisir les jeux exposés, mais voici quelques exemples qui permettent de comprendre un petit peu que, définir un thème est important, c’est ce qui permet, à mon avis, de pouvoir créer des ponts entre tel et tel jeu ou tel et tel pan de la culture. Mais après, je serais tentée de te répondre que les thèmes peuvent être infinis compte tenu du nombre de jeux qui existent.

J’imagine qu’il y a un critère de « poésie » également ? Comment est-il déterminé ?

Poétique, peut être pas tant que ça. En tout cas, il y a une question qu’il faut se poser, c’est : « si j’expose des jeux que l’on peut déjà trouver dans le commerce, alors, qu’est ce que j’apporte de plus ? ». Pour Arcade, c’est le rapport physique au jeu qui est modifié par la présence des bornes et des vidéo projecteurs grand angle : le joueur est debout, face à un écran de jeu si grand qu’il ne peut tout observer d’un coup d’œil, il n’a pas de pad entre les mains, mais un « panneau de commandes ». Pour l’avoir testé (bien sur !) et avoir observé les visiteurs, je peux te dire qu’il y a une immersion vraiment importante dans chaque jeu.

Et toi, tout à fait personnellement, tu aspires à poursuivre cette idée si tu parviens à devenir Commissaire d’Expo ?
Oui, et pas seulement avec le domaine des jeux vidéo, je pense que l’on pourrait étendre cette idée aux pratiques numériques en général. Des lieux et des collectifs repensent déjà cette question, comme le festival Mal au Pixel, la galerie Ars Longa, le /tmp/lab/… J’organise une conférence sur la question fin mars, mais pour l’instant je ne peux pas encore trop parler de l’événement ou du lieu…

Tu m’en reparleras je ne manquerai pas de relayer !
Cool !

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Edvard Munch, Le Cri, 1893. Peintre considéré comme le père de l’Expressionnisme, qui n’est pas l’impressionnisme mais j’avais envie de mettre ce tableau.
Je suis malheureusement beaucoup plus limité que toi concernant la culture au sens « noble » du terme, je n’ai pas fait d’études dans le domaine, je m’arrête aux grands classiques type mouvement impressionniste et compagnie, mais est-ce qu’il y a selon toi vraiment suffisamment de thèmes du genre pour coller aux jeux vidéo ? J’ai du mal à m’imaginer qu’il y ait tant de jeux vidéo que ça qui soient exposables selon les critères cités. Malgré un nombre incalculable de jeux. Je t’en prie, fais moi mal, contredis moi en m’instruisant.
Alors comment ne pas faire une réponse trop brouillon… Disons qu’en fait les expos « par mouvement artistique » ça marche plutôt pour « l’art passé », mais finalement aujourd’hui, je n’ai pas l’impression que le travail des commissaires d’exposition soit si différent de ce que je citais plus haut : ils exposent la jeune création en cherchant eux mêmes les ponts à faire entre tel et tel artiste, en choisissant un thème commun… L’année dernière au Plateau (à Paris), il y avait une expo qui s’appelait « La Planète des signes », elle avait été conçue par Guillaume Désanges. Tu pouvais y trouver de l’art contemporain, de l’art « plus ancien », des affiches d’act up…

D’accord donc je me trompe complètement en cherchant à faire un parallèle obligatoire avec l’art passé. Ton ambition est beaucoup plus avant-gardiste, montrer que le jeu vidéo peut être artistique tout en restant ludique, et sans forcément le prouver par similitudes avec autres mouvements, mais bel et bien par les jeux en eux-mêmes.
Bon avant-gardiste, c’est gentil de me lancer des fleurs mais n’exagérons pas trop. J’ai l’impression que cette situation, où le jeu vidéo est diabolisé ou vu comme un loisir infantilisant est avant tout Française. Je me trompe peut être, mais il suffit de regarder le nombre d’ouvrages de game studies publiés et de compter le nombre de traductions françaises… c’est assez surprenant. Mais je ne connais pas suffisamment les autres pays ni les autres cultures pour affirmer cette simple hypothèse.

C’était une façon de parler, étant totalement étranger à ce milieu qu’est l’art, je corresponds sans doute au cliché que tu employais tout à l’heure qui voit le milieu comme vieillot et réfractaire à ce qui est populaire, comme le jeu vidéo. Alors que je considère moi-même le jeu vidéo comme quelque chose de culturel et de « profond » (évidemment).
C’est bien mon petit, je suis fière de toi. D’ailleurs, je viens de voir que le Théâtre National de Chaillot organise une conférence le 22 janvier intitulée « Le Savant et Le Populaire », avec André Rouillé et Olivier Donnat. Je ne sais pas ce quel angle va être adopté, mais je suis curieuse de le découvrir.

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Bayonetta ne plait pas qu’aux garçons, encore un cliché qui s’effrite.
Merci. Pour conclure cet entretien, il n’y a pas très longtemps nous avons eu une discussion ensemble sur la critique de jeu vidéo que les sites dédiés pratiquent, j’aimerais qu’on revienne dessus. Ils ont tous (en ce qui concerne les sites importants) une approche technique du jeu vidéo. Moins une critique qu’un test plus exactement, ils testent un jeu comme on testerait un produit électroménager en décortiquant chaque aspect et en donnant un verdict final noté. De ton côté j’ai pu lire sur ton blog une critique de Bayonetta qui parle « simplement » des références culturelles que le jeu t’as renvoyé et même brièvement de la place du personnage par rapport à la condition de la femme dans le jeu vidéo. Ca se rapproche d’une critique d’Art à vrai dire. Alors que les sites « influents » dédiés au jeu vidéo sont généralement les premiers à défendre sa cause, en le revendiquant comme véritable média culturel, artistique, référencé au sens large, est-ce qu’il n’y a pas quelque chose qui cloche, un décalage, entre leur discours sur le jeu vidéo et leur façon de le traiter dans leurs écrits ?
Et bien écoute, bien sur que j’aimerais lire des critiques de jeu comme il existe des critiques de films, d’expositions, de livres… Je pense d’ailleurs que ça existe, il n’y a qu’à reprendre l’exemple de Pix’n Love. Mais quand tu prends mon article sur Bayonetta par exemple. En plus des 20h passées sur le jeu avant de me mettre à écrire, il m’a fallu 2 ou 3 semaines de lectures et de rédaction pour accoucher des 10 000 signes de l’article, qui au final ne comporte aucune notation ni opinion argumentée sur la qualité du jeu et son gameplay. Alors, forcément, si mon activité était d’écrire des critiques de jeux, mon rendement serait assez faible et la question « Mais t’as aimé alors ou pas ? » serait récurrente. Mais bon, je trouve que cela change de plus en plus tout de même, non ? On peut par exemple parler de la rubrique du Journal du Geek (intitulée « Culture Geek ») et alimentée par Pia, elle n’est pas forcément axée sur le jeu vidéo, mais sur une culture plus large (livres, séries, mangas, BD…), un réel plaisir à lire.
Bref, dans tous les cas, quand je lis un test de jeu vidéo, j’y trouve assez peu mon compte, et je n’ai pas forcément de plaisir à le lire. Je préfère largement les articles et dossiers qui parlent des références que l’on trouve dans le jeu, de la narration, du gameplay et de la manière dont on l’appréhende…

Je pense que ta réponse résume parfaitement la situation sur ce qu’est la critique de jeux actuellement, même si je ne suis pas spécialement d’accord avec le constat de « changement » (qui vient doucement certes). Les principaux sites de critiques restent malgré tout ancrés dans le même schéma. Le reste, journal du geek etc est plus « hors sujet ». Je rêve d’un site dédié exclusivement aux jeux vidéo et qui soit réellement culturel (ce n’est pas notre démarche sur Polygamer au passage, plus ancré dans la blague qu’autre chose). Bref, merci à toi !
Brulons tout. You’re welcome

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