Parlons jeux vidéo avec… Sachka

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Les « Parlons jeux vidéo » sont de plus en plus durs à obtenir, je le répète, donc quand on réussi à en avoir un profitez-en bien les gens ! Aujourd’hui, Sachka, game designer chez Lexis Numérique.

« Parlons jeux vidéo avec… » est un concept d’entretiens un peu particulier puisque si les créateurs de jeux vidéo qui y répondent changent, les questions, elles, ne changent pas. Tournant autour du média jeu vidéo et non pas autour d’un jeu en particulier, le but de ces questions est de cerner la vision des créateurs et de les comparer. C’est en quelque sorte un témoignage de ce que le jeu vidéo était, est, et de ce qu’il peut être amené à devenir selon ceux qui les font.

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Sachka en plein boulot (belle collection de jouets).
Sandra « Sachka » Duval-Rieunier se faisait chier dans la vie et comme elle n’avait rien d’autre à faire elle s’est mise à devenir chroniqueuse dans la presse jeux vidéo. Un peu comme tous ceux qui deviennent un jour chroniqueur dans la presse jeux vidéo quoi, j’en sais quelque chose. Aujourd’hui encore alors qu’elle a d’autres activités bien plus intéressantes elle rédige toujours ses réflexions dans des publications spécialisées. Cyberstratège, Pc4War et IG Magazine y sont passés. Tout récemment, c’est chez Pix n’ Love qu’elle s’est arrêtée parce qu’elle a vu de la lumière et un certain Florent qui faisait des blagues bizarres sur le « franponais ». Les Cahiers du Jeu vidéo #4 étaient nés. Mais comme parler de jeu vidéo c’est bien, mais en faire c’est mieux, Sachka est devenue game designer. Ca a commencé par Ageod pour divers wargames PC, puis chez Ankama pour Dofus : Arena et le MMO Wakfu ainsi que divers projets DS et IPhone. Et comme elle avait envie de faire des jeux intelligents et renommés à la fois (tiens prend ça dans tes dents Ankama et Ageod) elle se trouve actuellement chez Lexis Numérique à bosser pour notre parrain du « Parlons jeux vidéo », Eric Viennot, sur un jeu PS360 (Red Johnson’s Chronicles ?). Enfin, elle répondit à notre concept d’interview mondialement célèbre, ce qui lui permis de narguer son boss chauve en lui faisant remarquer qu’elle aussi c’est trop une vedette « alors maintenant augmente moi ! ». Voilà, maintenant si vous voulez plus de détails sur sa vie, son œuvre, sa bataille, vous allez sur son site parce que j’vais pas passer 107 ans à le recopier.

Un commentaire à faire ou quelque chose à ajouter au sujet du texte de ta biographie polygamerisée ?
Juste rendre sa toge à César : je n’y suis pour rien dans la naissance des Cahiers, on doit ce petit miracle à Tony Fortin. Et je n’ai pas travaillé sur Red Johnson, je suis sur un autre projet encore secret !

Sur Polygamer on se pose plein de questions vis-à-vis du jeu vidéo, par exemple comment tu expliques qu’il arrive à nous angoisser, nous stresser, nous faire réfléchir (à des énigmes surtout), nous injecter de l’adrénaline, mais qu’il nous fait rarement rire et pour ainsi dire jamais pleurer ?

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 »Dreamfall : The Longuest Journey », un jeu très poétique pour lequel je vous met un screen de l’héroïne en petite tenue. Pour faire plaisir à Sachka bien sûr 😀
Je pense que c’est entièrement une question d’audace et d’ambition chez les studios. Le jeu vidéo a prouvé qu’il savait faire rire et pleurer. J’ai pleuré à la fin de The Longest Journey. J’ai pleuré devant Bioshock. Mais les émotions c’est pas si facile à créer, et ça n’est pas ce qui vend le mieux. Ou du moins c’est ce qu’on nous dit. Du coup les studios ont tendance à s’autolimiter et à faire dans le potache de peur de ne pas trouver leur public. Ou même tout simplement à se reposer sur des équipes dénuées « d’auteur » qui apporterait un ton, un point de vue.
En tout cas, ce serait faux de penser que les limitations techniques du jeu vidéo seraient la cause de ce manque de subtilité. On arrivait à être immersif et émouvant avec des pixels ou des gros polygones, on devrait l’être encore plus maintenant. Regarde un jeu comme Deadly Premonition, la 3D est infâme mais c’est le jeu le plus finement drôle et le plus émouvant depuis longtemps.
Le jeu vidéo est interactif : ça ne veut pas seulement dire qu’il faut appuyer sur des boutons, ça veut dire aussi que le joueur participe mentalement à la construction de l’univers. Peu importe que les personnages soient moches, raides, les décors baveux ou que le gameplay soit irréaliste : le joueur transpose tout cela dans son imaginaire. Comme un gosse qui fait parler ses bonhommes Lego, il s’en fiche qu’ils soient inexpressifs, ça se passe dans sa tête.
C’est le principe du jeu vidéo. Faut arrêter d’attendre je ne sais quel avènement technique ou moral d’un jeu vidéo du futur. Le jeu vidéo est déjà un langage abouti, qui raconte de magnifiques histoires.

Tu ferais quoi toi, en tant qu’auteur plein d’idées, pour nous faire pisser de rire ou pleurer d’émotion dans un jeu ? Tu travaillerais surtout la narration ? L’interaction ? Le côté visuel ?

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Le genre de scène d’Heavy Rain facile à casser, surtout par ceux qui n’y ont jamais joué, mais qui s’avère être un vrai vecteur d’empathie pour la suite de l’aventure.
Pour ce qui est du rire, ça va, je pense que les jeux ont déjà ce qu’il faut. Pour l’émotion, je travaillerais le « design narratif », c’est-à-dire un mélange de narration et d’interaction. Si l’émotion est prise en charge uniquement par les cinématiques du jeu, sans impliquer le joueur, c’est que quelque chose ne fonctionne pas. Dans un jeu, l’histoire comme les émotions pour être immersives doivent être véhiculées par le gameplay et la structure du jeu. Par exemple on peut impliquer le joueur en jouant sur ce qu’il sait, ce qu’il croit savoir, en le poussant à élaborer des hypothèses puis en le déstabilisant, afin de le rendre fragile, perdu. C’est ce qui se passe dans Alan Wake : les différents épisodes racontent des choses a priori contradictoires, si bien que le joueur ne sait plus ce qui est réel et se sent aussi paumé que le héros.
Par contre ce qui est important quand on cherche à jouer avec les sentiments et réflexions du joueur, c’est d’être parfaitement honnête, de ne pas tricher. Dans les jeux de stratégie les joueurs ont horreur des IA qui trichent. Dans les jeux fortement narratifs, c’est pareil : le joueur refuse que le scénario lui mente, il refuse d’être manipulé. C’était le cas dans Heavy Rain : le gameplay « du quotidien » (s’habiller, se laver, se nourrir, jouer avec les enfants, etc.) qui était mis en place était une idée formidable pour impliquer le joueur dans le destin des personnages, mais tout ça a été complètement ruiné par un scénario malhonnête, plein de trous et de mensonges. Du coup, pour ma part, ça ne m’a pas touchée autant que ça aurait pu, ça m’a surtout horripilée.

Imaginons que je sois bien placé chez Microsoft et Epic, j’te file la tête du développement du prochain Gears of War, t’es libre à 100%. T’en fais quoi et pourquoi ?
J’y mets des personnages de femmes qui ne soient pas uniquement des victimes ou des badass. Je bosse un scénario qui parlerait de la société telle qu’elle était avant, et telle qu’elle pourrait se reconstruire sur des bases différentes. J’y mets des femmes qui refusent de pondre de futurs soldats en boucle, n’en déplaise à Cliff Bleszinski, et qui prendraient les armes de force. Et je me fais assassiner à la tronçonneuse par un fan de la série.
Bah, déjà je vais attendre de voir ce que donnent les personnages féminins jouables annoncés pour Gears of War 3, en termes à la fois de scénario et de gameplay.

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Les univers de Ghibli sont uniques au monde.
Imaginons que je sois bien placé chez Nintendo (ouais je sais, je suis apprécié chez beaucoup de monde), j’te file la tête du développement du prochain Zelda, t’es libre à 100%. T’en fais quoi et pourquoi ?
J’évite tout ce qui dans la série rappelle l’occident et l’heroic fantasy : simili-elfes, pseudo-trolls, épées, châteaux, auberges… Et j’appuie au contraire tout ce qui en fait le charme nippon et mystérieux, le même charme qu’on trouve chez Ghibli. Créatures des arbres masquées de feuilles, pantins flutistes, sumotori de pierre, statues animées… J’essaie aussi d’en faire un monde ouvert, où on puisse explorer ce qui nous tente sans attendre d’avoir débloquer le bon item, et où on puisse revenir pour découvrir de nouveaux passages secrets. Un de mes plus grands plaisirs dans Zelda, les passages secrets.

Le sexe dans le jeu vidéo, ça sera possible un jour en occident ? (J’entends par là des jeux à caractère sexuel commercialisés strictement pour les adultes évidemment, non pas quelconque rapports bizarres avec ta console…. Ma question au-delà d’être lubrique ou ludique penche surtout à te faire causer censure et histoires uniquement pour adultes dans un jeu vidéo…)
Possible, ça l’est déjà, sauf si tu veux parler de jeux entièrement centrés sur le sexe. Mais des scènes de sexe on en a. Le problème c’est que c’est la plupart du temps traité façon blagues de cul pour adolescents : c’est plus du gag destiné à flatter la virilité carnavalesque du héros et donc du joueur (je pense à God of War) sans grand rapport avec la réalité du sexe entre adultes. C’est souvent du niveau du « fan service », c’est une récompense débloquée par le joueur, presque jamais un élément clef du scénario ou du gameplay.
Mais il existe au moins un exemple du contraire, dans Heavy Rain : la scène entre les deux personnages n’est pas là pour faire ricaner ni pour récompenser le joueur d’avoir suffisamment rempli la « jauge de drague », elle s’intègre complètement à l’histoire et elle se joue avec le même gameplay que le reste du jeu. Le joueur peut d’ailleurs y renoncer, ou la jouer de différentes façons.
Mais dans le reste des jeux un peu « mixtes », le sexe est présent mais de manière hyper pudique et fonctionnelle, comme dans Fable ou dans les Sims, ou tout se passe sous la couette uniquement. Le pire du pire étant les jeux ciblés « ménagère » où le but est de se trouver un bon mari. Pour toutes ces questions de la représentation du sexe je me permets de faire un peu de pub et de te renvoyer à mon article « Le Sexe du gameplay » dans les Cahiers du Jeu vidéo 4. 🙂

As-tu des frustrations en tant que créateur de jeux vidéo ? Lesquelles ? Pourquoi ?
Plein ! On n’imagine pas à quel point ce métier est fait de contraintes, de compromis, de renoncements. Il me semble que j’avais lu un billet de l’excellente Leigh Alexander, qui incitait les joueurs à être indulgents avec les jeux, même mauvais, parce que, disait-elle, les créateurs étaient probablement les premiers conscients de leurs défauts, et qu’ils avaient probablement lutté pendant des mois pour améliorer les choses, convaincre, sauver leur projet. C’est vrai. Si je me réfère à tous les projets sur lesquels j’ai travaillés, il n’y en a pas un seul qui se soit fait en douceur. Pour chacun d’entre eux, il y a eu des périodes où on a cru qu’ils ne sortiraient jamais (ce qui a parfois été le cas), il y a eu des moments de crise où il fallait refaire des pans entiers du design… Des idées prometteuses qu’il a fallu laisser de côté. C’est un métier où on doit encaisser la frustration.
Et puis évidemment, contrairement à la plupart des gens que tu as interrogés avant moi, je ne suis pas ma propre patronne, donc pour l’instant je travaille sur les jeux des autres. Je suis dans l’attente du jour où mon tour viendra de bosser mon propre concept !

Faire des jeux vidéo, c’était mieux avant ?
Je sais pas, j’y étais pas. J’espère surtout que ce sera mieux après, parce que j’ai bien l’intention d’y être !

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Comme je ne trouvais pas quoi mettre pour illustrer ses propos je remet une photo de Sachka (en train de penser au tee-shirt bizarre is beautiful sans doute).
Parles nous d’un ou de plusieurs de tes projets que t’aurais aimé sortir mais que tu n’as pas pu suite aux refus des éditeurs ou autres soucis. Parait que chaque créateur a au moins un projet maudit de ce type dans son baluchon, donc voilà, frustre nous de ne jamais pouvoir y jouer je t’en prie… D’ailleurs avec le recul t’en penses quoi de ce(s) projet(s) qui reste(nt) dans les cartons et de ce qui les y fait rester ?
Chez Ankama, j’ai bossé sur un platformer pour DS à base de téléportation et de voyage psychique. Ça aurait pu être excellent, d’autant qu’on avait de très bons artistes aux décors et au character design. Mais le projet a été annulé par la direction, considéré comme « bizarre » et trop différent des productions habituelles de la boîte. Avec l’équipe on avait pensé se faire des t-shirts « Bizarre is beautiful » pour se remonter le moral. Puis ça a été la même histoire avec un jeu d’attaque de train sur iPhone. J’aurais vraiment adoré que ces deux jeux sortent, mais avec le recul, je me dis que ce n’était juste pas possible. Dans ces cas-là, il faut relativiser et se dire que parfois ce qui est considéré comme bizarre chez les uns, sera considéré comme génial chez les autres ! Le tout est de trouver les bonnes personnes avec qui travailler.

Vis-à-vis de ton expérience, t’aurais quoi à donner comme conseils à un gars (ou une fille évidemment, je dis « gars » dans le sens générique du terme hé ho) qui part de zéro, les poches vides, et qui se lance dans le Game Design avec dans son sac plein d’idées et d’ambition ?
De trouver les bonnes personnes justement ! A moins d’être un génie touche à tout, on n’arrive généralement à rien tout seul. Et surtout on n’arrive à rien avec seulement de bonnes idées. Il faut commencer petit, se faire la main sur des éditeurs livrés avec certains jeux (sur PC), monter de petits projets avec des gens de confiance.
Il faut aussi savoir montrer son savoir-faire, aucun employeur ne vous croira sur parole.
Enfin pour les plus jeunes, il est possible de tenter une école de game design. Ces écoles ne font pas automatiquement de bons game designers, mais au moins le diplôme facilite grandement la recherche de stage et l’embauche.
Enfin je dirais qu’il faut lire énormément, il y a des tonnes de choses à apprendre sur les bons sites spécialisés, dont la plupart sont anglophones évidemment.

Est-ce que les jeux qui t’ont marqués en tant que joueuse sont les mêmes qui t’ont impressionnés en tant que créatrice ?
Oui, ça va, je suis pas encore trop schizo. Quand un jeu me touche en tant que joueuse, me passionne ou me tire une petite larme, je me dis généralement que c’est ce genre de jeu que je voudrais créer !
Je rêve de construire un univers aussi flamboyant et politique que celui de Bioshock. Je rêve d’élaborer une narration aussi intelligente que dans Alan Wake ou Shattered Memories. Je rêve d’un trip aussi loufoque et émouvant que dans Psychonauts.
Même des jeux auxquels j’ai beaucoup joué sans avoir envie de m’en inspirer comme les Super Mario sont une grosse référence à mes yeux, pour leur épure conceptuelle, leur radicalité dans le non-réalisme. Ça me paraît vital que le jeu vidéo continue à proposer ça aussi.

Pour te poser au moins une question un peu plus classique : Parle nous de tes projets à venir et/ou des idées que tu aimerais explorer, lâches toi.

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Difficile de rendre hommage à un roman via sa couverture…
Je ne peux évidemment pas te parler du projet sur lequel on est chez Lexis, qui est encore secret. On a tous bossé comme des dingues dessus et on espère que ça va marcher, c’est un truc vraiment prometteur. Et bizarre. (Oui je sais, ça t’avance pas des masses).
Sinon si un jour j’ai un budget pharaonique, j’aimerais développer un jeu open world d’aventure-enquête, dans lequel tu jouerais la dernière survivante de l’espèce humaine après une catastrophe planétaire. Pas de zombies à tuer, pas d’aliens : tu serais seul au monde, vraiment. Tu aurais des villes entières à explorer, désertes, pour trouver de quoi te nourrir, mais surtout pour mener l’enquête et comprendre ce qui s’est vraiment passé et pourquoi. Retrouver les traces de personnes disparues, pénétrer dans les bâtiments officiels et réunir des preuves. Rejouer des flashbacks. Tout en te demandant à quoi tu vas occuper les années qui te restent à vivre, seul au monde, pour toujours. Quelque chose qui soit dans l’esprit des Chroniques martiennes de Bradbury ou de Spin de R. C. Wilson en fait. De la SF humaniste, avec pas mal d’exploration et d’enquête.

Enfin, que penses-tu de Polygamer ? As-tu des idées pour que l’on s’améliore, des suggestions, des trucs ou des machins ?
J’aime bien ce concept d’interviews qui ne soit pas focalisé sur un jeu précis, et qui oblige à parler du jeu en général. Ça oblige à ne pas garder le nez sur le guidon et ça fait du bien. Merci pour ça ! Sinon pour faire de Polygamer un site encore plus classe, je te suggèrerais bien de supprimer la rubrique nichons, qui n’est pas très girl-friendly… Ou alors pour rester dans le concept de la mascotte, mets des photos de guenons.

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