Parlons jeux vidéo avec… Paul Narducci

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On poursuit nos entretiens conceptuels que l’on avait entamé avec Eric Viennot (je sais ça a été long mais on fait ce qu’on peut), aujourd’hui c’est Paul Narducci qui s’y colle. Pour rappel on pose exactement les mêmes questions à divers game designers et on voit…

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Paul a un air de savant fou. Merde, j’avais dit pas le physique !
Normalement comme tu as peut-être pu le constater sur notre entretien avec Eric Viennot, on commence par une petite biographie de notre interlocuteur, à notre sauce, sérieuse mais pas trop. Le truc avec toi c’est qu’on n’a que trop peu d’infos, je sais que t’es chez le frais Ivory Tower, que t’as bossé chez Eden notamment sur Test Drive Unlimited, que t’es un vieux de la vieille dans le métier mais après… T’es plutôt discret. Allez dit nous tout, ton âge, ton parcours, tes références, tes préférences en terme de création, tout, fais pas ta mijaurée (au passage si tu as une photo de toi pour illustrer l’article elle est la bienvenue, ne t’en fais pas on ne juge pas sur le physique :-).
Alors voilà, je m’appelle Paul Narducci et j’ai 33 ans. J’ai découvert les jeux vidéo, gamin vers l’âge de 8-9 ans, à travers Popeye sur borne d’arcade. Le premier contact a été contemplatif… C’était tellement extraordinaire que la seule vision suffisait amplement à mon émerveillement ! Par la suite j’ai eu la chance de toujours être bien loti au niveau technologie à domicile. De l’Oric au PC en passant par l’Amstrad, j’ai toujours eu entre les mains de quoi jouer. Mais à l’instar de la télé je n’y avais jamais vraiment accès. Enfin pas suffisamment selon mon goût (depuis que j’ai des enfants, je comprends mieux pourquoi !).
Le jeu vidéo est vraiment entré dans ma vie lorsque mon père m’a mis une Nes dans les mains ! Premier jeu Super Mario Bros.…Après je n’ai pas cessé de jouer sur consoles ou ordi (comme je disais à l’époque), à l’âge de la majorité j’ai, comme dirait Oxmo Puccino, arrêté l’école avant de la quitter…
A cette époque la musique m’intéressait bien plus… Donc durant 5 ans c’était Dj la nuit et beatmaker la journée. Bref la belle vie ! Sans horaire, sans vacance et sans argent ! Pour vivre plus confortablement, une amie me propose de venir travailler avec elle chez Infogrames comme testeur. Sentant le bon plan, je file sur l’occasion pensant provisoirement soulager mon banquier (enfin vu le salaire en test…) et me voilà plongé dans une ambiance très bon enfant. Oui enfin disons plutôt très enfant. 🙂 Que des bons souvenirs.
C’est aussi l’époque du premier contact avec des Geeks… tuning de PC, discussion improbable, les boites de cartes graphiques exposées en trophée, des repas 100% Curly… Bref, par rapport à la musique, c’était un autre monde !

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Titeuf Mega Compet’ avait de grandes idées.
Et puis je déboule un beau jour en test dans l’équipe qui est entrain de réaliser V-Rally 3. J’ai testé le jeu en interne comme en externe durant la dernière année de développement, on m’a ensuite proposé de travailler dans ce studio, comme game designer, sur la première adaptation jeux vidéo de la BD Titeuf. Là j’étais tiraillé entre l’envie de continuer mon aventure musicale et celle naissante de m’engager dans cette voie. Au final l’équipe de dév’ était bien plus intéressante que les mecs éméchés qui gueulent « c’est la fête » toute la nuit…
Et puis honnêtement j’ai retrouvé la même finalité qu’avec la musique : donner du rêve ! Pas le vendre, juste le donner. Et puis avec le petit plus qui a fait pour moi la différence…travailler avec des personnes humainement irréprochables. Donc je me lance et abandonne petit à petit la musique…
A la fin du développement de Titeuf méga compet’ sur PS2 j’enchaine avec Test Drive Unlimited sur X360 qui sort en 2006.
J’ai grandi avec les productions Nintendo, donc forcément je suis toujours sous leur emprise. Je suis complètement admiratif du résultat de leur influence dans le jeu vidéo. Ils ont quand même inventé un sacré nombre de chose… Chapeau bas !

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Rien qu’à l’affiche on sait que c’est un film de Max Pécas.
Sur Polygamer on se pose plein de questions vis-à-vis du jeu vidéo, par exemple comment tu expliques qu’il arrive à nous angoisser, nous stresser, nous faire réfléchir (à des énigmes surtout), nous injecter de l’adrénaline, mais qu’il nous fait rarement rire et pour ainsi dire jamais pleurer ?
Je répondrai plus généralement que nos jeux sont actuellement super stéréotypés. La grande majorité des jeux explorent un panel d’émotion très limité. Ce n’est pas un hasard. On fait disparaître toute frustration ou sanction, on traite des sujets bateau, on place l’accomplissement de soi et la sensation de puissance au premier plan…franchement c’est un peu comme si l’ensemble de la production cinématographique se limitait aux seuls films de Max Pécas. On aurait quand même bien du mal à chialer!

Plus sérieusement, en regardant des enfants jouer, je me suis rendu compte que pour eux la donne est totalement différente. Les émotions sont multipliées par 10, c’en est même flippant. Combien d’enfants ont pleurés à chaude larme devant le spectacle terrifiant d’une poignée de Pikmin se noyant dans une petite flaque ?

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Papy Snake rencontre de bien étranges gonzesses dans Metal Gear Solid 4.
Je fais mon Druker « j’ai une petite anecdote à ce sujet… ». Dans MGS4 il y a un boss fille qui raconte une histoire terrifiante sur son enfance. La raison pour laquelle elle trucide tout ce qu’elle rencontre. Bon bref c’est une histoire inspiré d’un roman. (En gros c’est une maman en captivité qui cache son nouveau né pour éviter qu’on le lui prenne. Un jour lors d’un contrôle, le bébé pleure, alors elle le serre fort et met sa main devant son visage pour qu’aucun cri ne trahisse sa présence. Quand la menace s’éloigne elle relâche son étreinte… le bébé ne pleure plus…Il ne respire plus…il est mort.) On est d’accord que MGS niveau récit, ils sont dans ce qui se fait de mieux. Bon bah quand tu le compares avec le ressenti du bouquin. C’est pitoyable. Déjà une différence dans le jeu, c’est que tu viens préalablement de découper 850 soldats en rigolant de satisfaction…

Pour le rire, là c’est une composante essentielle de ce média. Quatre dans une même pièce, Mario Kart ou PES en tache de fond, de quoi se désaltérer et s’oxygéner, et là c’est souvent parfait. Communication rigolade et chambrage ! Franchement j’adore.

Tu ferais quoi toi, en tant qu’auteur plein d’idées, pour nous faire pisser de rire ou pleurer d’émotion dans un jeu ? Tu travaillerais surtout la narration ? L’interaction ? Le côté visuel ?
Nous pouvons sans doute élargir les émotions rencontrés mais, est ce vraiment utile de concurrencer ou d’essayer de copier les autres média ? Je ne crois pas. Prenons le cas d’une dépêche de l’Afp. La radio, la presse écrite et la télé parlent du même sujet mais en l’adaptant aux forces et qualités de leur média. A mes yeux, il est préférable d’améliorer ses qualités plutôt que d’essayer de combler ses défauts. Mais si je n’ai pas le choix, le thème abordé et le visuel sont les bases pour moi de l’émotion.

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On tue dans GTA ? Mais nooooon !
Imaginons que je sois bien placé chez Microsoft et Epic, j’te file la tête du développement du prochain Gears of War, t’es libre à 100%. T’en fais quoi et pourquoi ?

Je mets un terme au développement. Il n’y a pas de doute sur l’excellente qualité de cette licence mais deux c’est largement suffisant et puis ça permettrait à la licence de rentrer dans le mythe de la postérité. Je suis déçu par le fait que le top ten du Xbox live soit squatté par les FPS avec leurs multiples armes à feu …
On a pourtant une liberté quasi totale sur l’imagination. Dans ma vie, le monde des armes à feu me débecte. Dans les jeux disons que GTA vole tout mon quota de tuerie.

Imaginons que je sois bien placé chez Nintendo (ouais je sais, je suis apprécié chez beaucoup de monde), j’te file la tête du développement du prochain Zelda, t’es libre à 100%. T’en fais quoi et pourquoi ?
J’aime Zelda. Je tente de dépoussiérer les vieux mécanismes (un micro donjon caché pour 100 rubis, alors que ma bourse est déjà pleine) et puis Miyamoto me rappelle à l’ordre et là je m’incline comme un petit enfant devant (beaucoup) plus fort que moi.

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Peut-être qu’un jour la balance board jaugera nos ébats sexuels dans Kamasutra Wii ?
Le sexe dans le jeu vidéo, ça sera possible un jour en occident ? (J’entends par là des jeux à caractère sexuel commercialisés strictement pour les adultes évidemment, non pas quelconque rapports bizarres avec ta console…. Ma question au-delà d’être lubrique ou ludique penche surtout à te faire causer censure et histoires uniquement pour adultes dans un jeu vidéo…)
Oui nécessairement, le marché explose, rien n’arrête l’expansion du nombre et du type de joueur. Avec la simplicité d’accès lié à l’anonymat du téléchargement à domicile, je ne vois rien qui puisse empêcher de voir arriver de vrai jeux d’adulte, avec du cul, de la drogue et voire même de la politique…
Pour ce qui est de la censure économique, oui c’est un problème mais pas non plus insurmontable. Tu peux avoir un éditeur ou un distrib’ frileux ne voulant pas se couper de part de marché ou la peur de ne pas être référencé chez Wallmart. Vu les sommes engagées, c’est normal ! Mais j’ai une petite question : Qui est en haut des charts mondiaux au coté de Wii Fit et Mario Kart ? GTA ! Quand tu vois le contenu de Liberty City, tu te dis que le gouvernement central de pékin n’est pas encore en occident !
Le grand public est prêt. Il ne manque plus qu’un jeu bien foutu s’engouffre dans cette brèche.
Un peu de patience, nous sommes en plein changement. Plus le média grandit, plus il se diversifie, et plus il se diversifie, plus il se développe.

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J’ai rien trouver de mieux que Carlos pour ‘blanc, obèse et solvable’… C’est con il est mort en plus.
As-tu des frustrations en tant que créateur de jeux vidéo ? Lesquelles ? Pourquoi ?
Frustration le mot est fort, disons plutôt des petites déceptions. La première étant pour moi la nécessité de faire un jeu un ciblant un type de joueur. Je ne me vois pas par exemple mettre en place le même système pour composer un morceau de musique. Genre tiens, je vais faire un album pour les blancs occidentaux obèses et solvables !!! Là j’exagère un peu, c’est clair, mais parfois franchement, on en est pas loin.

Le mépris qu’ont la majorité des gens pour ce loisir.

Le manque de temps pour tuner, régler et polisher un gameplay. Des trucs qui ne fonctionnent pas mais qui doivent malgré tout rester dans le jeu.

Faire des jeux vidéo, c’était mieux avant ?
Honnêtement je n’en sais rien. Et puis cette phrase « c’était mieux avant » je la déteste. En tous cas aujourd’hui il est possible retrouver l’esprit des pionniers avec la réapparition des micro équipes sur les plateformes de téléchargement que ce soit chez Sony, Microsoft et Nintendo. Bref encore un bon signe de notre époque. Donc si tu me forces à répondre je te dirais non c’est mieux maintenant et ce le sera encore plus demain !

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TDU donnait un gros coup de frais aux jeux de courses.
Parles nous d’un ou de plusieurs de tes projets que t’aurais aimé sortir mais que tu n’as pas pu suite aux refus des éditeurs ou autres soucis. Parait que chaque Game Designer a au moins un projet maudit de ce type dans son baluchon, donc voilà, frustre nous de ne jamais pouvoir y jouer je t’en prie… D’ailleurs avec le recul t’en penses quoi de ce(s) projet(s) qui reste(nt) dans les cartons et de ce qui les y fait rester ?
J’ai la chance de ne jamais avoir travaillé très longtemps sur des projets morts nés. Pour le moment ma plus grande déception et d’avoir dû quitter le développement de la suite de Test Drive Unlimited… Nous avions collectivement de fortes divergences d’esprit et de méthodologie avec la structure qui nous accueillait. Nous avons du nous résoudre à quitter notre chez nous pour se réfugier au plus haut de notre tour d’ivoire. J’aurai vraiment aimé donner une suite à Test Drive Unlimited. D’autre s’en charge et avec du recul c’est tant mieux comme ça.

Vis-à-vis de ton expérience, t’aurais quoi à donner comme conseils à un gars qui part de zéro, les poches vides, et qui se lance dans le Game Design avec dans son sac plein d’idées et d’ambition ?
En premier lieu, jouer. Ensuite, savoir communiquer. Et ce dans les deux sens car savoir parler est essentiel mais savoir écouter et au moins aussi important. Un game designer est souvent un catalyseur d’idée ne lui appartenant pas ! Il est intéressant aussi de se pencher vers les sciences sociales et cognitives qui sont souvent très riches d’enseignement. Savoir se remettre en question, car parfois les idées ne sont pas toujours bonnes… Ensuite, la curiosité et la soif de culture ne sont à mon avis pas un handicap.
Bon et puis tant que les designers ne travaillent pas tous pour l’armée, ne pas se prendre trop au sérieux !!!

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Little Big Planet a marqué les esprits.
Est-ce que les jeux qui t’ont marqués en tant que joueur sont les mêmes qui t’ont impressionnés en tant que créateur ?
Rarement, quand je joue, honnêtement je ne suis dans aucune phase analytique. Je joue, je gagne, je perds. Bref, j’essaye de comprendre ce qui m’arrive, je découvre. Après j’imagine que j’ai d’avantage de recul et de connaissance que le joueur lambda mais je m’interdis de m’éloigner de ce qui fait pour moi l’intérêt d’un jeu vidéo : Jouer !!! L’émotion et la récompense du goût de l’effort sont aussi deux composantes essentielles pour le vieux joueur que je suis encore.

J’ai des exemples récents de jeux qui m’ont émerveillé : Flower, Braid, Pixel Junk Eden, Little Big Planet ou encore No More Heroes. Là, ça m’impressionne vraiment ! Des jeux sortis de nulle part avec des qualités énormes. C’est vrai que question vente c’est pas terrible, mais cela n’enlève en rien la qualité de ces productions.

Pour te poser au moins une question un peu plus classique : Parle nous de tes projets à venir et/ou des idées que tu aimerais explorer, lâches toi.

Ok c’est l’heure de ma réponse classique alors, je ne peux communiquer sur quelconques éléments liés au projet en cours…. patati patata

Mais pour ne pas faire ma pince, je peux parler d’un concept tout à fait personnel, basé sur 5 mots : « La conséquence de mes actes ».
Je ne pense pas aux raccourcis du bien contre le mal. Je pense plutôt à des choses insignifiantes en apparence mais qui, au fil du temps, changent la face du monde. Ce serait forcément un brulot politique mais franchement, pour réfléchir depuis pas mal de temps à ce concept, il y a un énorme territoire à explorer. Que ce soit sur l’écologie, les sciences sociales, la culture ou l’économie, nous vivons dans un monde ou cette question nous préoccupe depuis peu. Pourquoi les balkans sont depuis très longtemps une poudrière ? Pourquoi un bébé à la naissance compte plus de 300 substances dangereuses présentent dans son corps? Pourquoi tout ce qui est en grande quantité n’est jamais exploité économiquement ?

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Oh oui prend corps !
Enfin, que penses-tu de Polygamer ? As-tu des idées pour que l’on s’améliore, des suggestions, des trucs ou des machins ?

Changez le logo !

Je parcours votre site depuis quelque temps. Je me retrouve dans vos analyses ou coup de gueules. Je n’aime pas tout, mais c’est la raison pour laquelle j’aime votre site. Votre contenu devrait être exposé davantage au grand public, histoire d’amener de la variété au niveau de la presse vidéo ludique. Pourquoi ne pas infiltrer les réseaux sociaux ? Il se passe tout et rien dans cet univers. Tout est encore à faire… J’aimerai bien recevoir vos news et articles directement sur la page de mon profil facebook…

En tous les cas je te remercie de me convier à cet exercice, et à travers tes questions, de donner du corps à notre média adoré. (NdK.mi : « Quitte à donner un corps j’espère que c’est celui de Lara Croft ! »)

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