Parlons jeux vidéo avec… Olivier Leonardi

7

C’est au tour du directeur artistique de Brink, Olivier Leonardi, de parler jeux vidéo avec nous.

« Parlons jeux vidéo avec… » est un concept d’entretiens un peu particulier puisque si les créateurs de jeux vidéo qui y répondent changent, les questions, elles, ne changent pas. Tournant autour du média jeu vidéo et non pas autour d’un jeu en particulier, le but de ces questions est de cerner la vision des créateurs et de les comparer. C’est en quelque sorte un témoignage de ce que le jeu vidéo était, est, et de ce qu’il peut être amené à devenir selon ceux qui les font.

judge_3d_olivier.jpg
Seule cette petite photo de rien du tout témoigne du visage à découvert d’Olivier. Pour le reste il se cache derrière des foulards, des cagoules et j’en passe. On le sait que t’es moche maintenant hahaha !
Olivier Leonardi est sorti des beaux-arts de Marseille avec un diplôme en poche, une maîtrise en plongeon dans la surface et en pêche à la moule. Apprenant le graphisme jeux vidéo sur le tas avec un pote, il se fait embaucher par la suite par une petite boîte qui tenta de sortir Atripolis, 2097, un des premiers titres PC CD-Rom, sur lequel il créé des décors en découpant des plaques de mousse et des pailles en plastoc, filmés puis repeints par-dessus avant d’être intégrés au jeu (et c’est pas des conneries). Vient ensuite le studio de création 3D Katarsys qui lui donna 4 ans d’enrichissement personnel où il aura touché à tout (sauf aux employés). Ubisoft Montréal, toujours à l’affut des talents et des drôles d’accents, le débaucha en mars 2003 pour être le Lead Artist sur Myst Revelation. Il passa Directeur Artistique sur Prince of Persia : Les Deux Royaumes, Rainbow Six Vegas et Shaun White Snowboarding. Criterion le prend dans sa valise en août 2007 pour faire le D.A. sur le prochain Burnout, mais il passe 6 mois à ne rien branler et à avoir la grosse rage d’avoir perdu son temps alors il se casse. Et le voilà recruté par Splash Damage, des gens cools, comme Directeur Artistique pour le futur Brink au design si atypique et dont l’idée est à mettre à son crédit personnel, la classe.

Un commentaire à faire ou quelque chose à ajouter au sujet du texte de ta biographie polygamerisée ?

Non c’est très bien résumé ! J’aime le ton direct que tu utilises sur polygamer…

Sur Polygamer on se pose plein de questions vis-à-vis du jeu vidéo, par exemple comment tu expliques qu’il arrive à nous angoisser, nous stresser, nous faire réfléchir (à des énigmes surtout), nous injecter de l’adrénaline, mais qu’il nous fait rarement rire et pour ainsi dire jamais pleurer ?

brutal-legend-consoleplayer1.jpg
C’est vrai que les jeux Tim Schafer ont à peu près tous, pour ne pas dire tous, un humour bien présent.
Je suis pas vraiment d’accord avec toi sur le rire, il y a eu pas mal de jeux bien tordants qui ont jalonné l’histoire du jeu vidéo mais peut-être qu’il faut différencier le narratif de l’expérience du joueur (ou peut-être pas !). En même temps dans un Day of the tentacle ou un Sam and Max tout est très absurde, les situations comme les actions que le joueur doit accomplir. J’ai retrouvé ce meme feeling dernièrement en jouant à Brutal Legend
Situation absurdes dans un univers absurde avec des dialogues bien amenés formant un tout vraiment poilant.
J’aime bien aussi quand certains jeux se servent de l’humour pour désamorcer des situations qui normalement devraient être dramatiques, prends par exemple Battlefield Bad company, là, on parle quand meme de tuer des gens au couteau ou les exploser au lance grenade et pourtant c’est poilant parce que la narration est très second degré, exactement là où échoue un jeu comme Modern Warfare qui veut te faire croire que c’est du super serieux (d’ailleurs le gars qui te hurle dessus sur le terrain d’entrainement au début de MW2 j’ai trouvé ca tellement irritant que j’ai faillit poser le pad et éteindre la console). En gros c’est toute la différence entre une bonne partie de paintball entre potes et un Boot camp chez les marines. Marrant versus pas marrant du tout !
La meme chose avec la série des GTA, on te propose de faire des trucs pas super corrects mais il y a tellement d’humour dans les dialogues et les situations que tu ne prends jamais ça au serieux. Dans San Andreas, tes amis sont des gangs members qui dealent de la drogue, tuent des gens, volent et traitent les nanas comme de la merde, mais c’est tourné en dérision et à aucun moment tu ne t’identifie à ces gars là, tu te rends compte au fil de l’histoire qu’ils sont tous d’affreux losers. La guerre des gangs c’est pas super marrant, ça a fait des dizaines de milliers de morts depuis les années 90 mais la façon dont Rockstar a traité ça par la dérision fait toute la différence. C’est d’ailleurs quelque chose qu’ils ont un peu perdu avec GTA 4 mais regagné avec Gay Tony.

En ce qui concerne l’émotion je te l’accorde c’est plutôt rare et extrêmement difficile à véhiculer car la situation dans un jeu n’est pas controlé à 100%, le joueur a la liberté de complètement casser l’intention de base qui était d’émouvoir. Reste les cinématiques, mais là on sort de la partie jeu proprement dite, et c’est assez dur de développer une histoire dans des séquences qui doivent rester courtes pour relancer (ou ne pas complètement tuer) le gameplay.
J’ai pas encore trouvé de jeu qui ai reussi à m’émouvoir, à part peut-être Mafia, deux scènes assez touchantes, celle où tu aides le comptable à s’échapper (oui écrit comme ça, ça a pas l’air émouvant !) et la scène de fin.

Tu ferais quoi toi, en tant qu’auteur plein d’idées, pour nous faire pisser de rire ou pleurer d’émotion dans un jeu ? Tu travaillerais surtout la narration ? L’interaction ? Le côté visuel ?

MrManatane.jpg
Baer, Tarantino, Poelvoorde… Je vois qu’il y a tout de même des hommes de goûts dans l’industrie.
J’essaierai de ne surtout pas séparer ces 3 composantes, l’interaction est primordiale parce qu’elle permet au joueur d’être, de devenir le facteur déclenchant de tel effet visuel ou de telle ligne de texte, on dit souvent que ce qui est important dans un jeu c’est l’histoire générée par l’expérience du joueur. Et si cette expérience est faite d’actions amusantes ça génère énormément d’histoires poilantes à raconter !
Mais pour être honnête je raterai surement mon coup parce que j’ai une approche de l’humour pas super grand public ! Les trucs qui me font rire c’est plutôt Mr Manatane de Poelvoorde, Edouard Baer ou l’humour bien decalé des films de Tarantino. Je suis pas sûr de te garantir un succès commercial !

Lambo.jpg
La même Lambo que CliffyB… Ca vaut bien un Gears of War 3 non ?
Imaginons que je sois bien placé chez Microsoft et Epic, j’te file la tête du développement du prochain Gears of War, t’es libre à 100%. T’en fais quoi et pourquoi ?
Je vois deux possibilités :
A) Je te sers la même sauce avec quelques véhicules supplémentaires, 2 nouvelles armes et une histoire a l’eau de rose ou Marcus Fenix tombe secrètement amoureux d’une femelle Locuste. On en vend par palette entières et je m’achète une Lambo mieux que celle de CliffyB.
B) J’annule le nouveau Gears of War, les fans me détestent mais je me remet au travail, planche sur une nouvelle IP et je prends de vrais risques… chose qui devrait arriver plus souvent dans les studios de développement !

Imaginons que je sois bien placé chez Nintendo (ouais je sais, je suis apprécié chez beaucoup de monde), j’te file la tête du développement du prochain Zelda, t’es libre à 100%. T’en fais quoi et pourquoi ?

Je t’avouerai que je n’ai jamais été attiré par Zelda, je n’ai jamais aimé l’univers ni le fait que dans chaque jeux le but ultime est toujours le même. Donc je te répond que ça m’intéresse pas et tu me vires de chez Nintendo.

Le sexe dans le jeu vidéo, ça sera possible un jour en occident ? (J’entends par là des jeux à caractère sexuel commercialisés strictement pour les adultes évidemment, non pas quelconque rapports bizarres avec ta console…. Ma question au-delà d’être lubrique ou ludique penche surtout à te faire causer censure et histoires uniquement pour adultes dans un jeu vidéo…)

thumb_God-Of-War2-2.jpg
Le fameux jeu de mots tellement usé sur ‘Gode of War’ n’aura jamais aussi bien porté son nom que lors de cette scène…
Ben disons que les jeux pour adultes c’est déjà possible en occident sauf que c’est une niche, aucun éditeur majeur ne veut risquer que son jeu soit etiquetté ESRB adults only sur le continent américain parce que ca veut dire pas de ventes, pas de pub avant le blockbuster de l’été, pas de pub dans les catalogues de Gamestop ou Carrefour même. Donc tout le monde fait bien attention avant de mettre du cul dans un jeu, sauf Rockstar ! Les scènes de sexe, ça arrête pas dans Ballad of Gay Tony et personne n’a cillé, pas de Hot coffee cette fois !
Mais il y a vraiment un amalgame fait entre nudité et acte sexuel. A l’époque sur Prince of Persia – Les Deux Royaumes on avait du modifier jusqu’au statues et aux fresques murales pour supprimer les tétons, ça en devenait riducule au point qu’on avait le droit de garder la forme du sein mais pas de montrer le téton… Par contre un minigame-partouze avec Kratos dans God of War, là ça passe bien ! 😉

As-tu des frustrations en tant que créateur de jeux vidéo ? Lesquelles ? Pourquoi ?
La création d’un jeu vidéo c’est tout un monde de frustrations ! Non je déconne, c’est très intense comme tout processus créatif mais j’ai l’impression d’avoir été super chanceux jusqu’a présent en tombant sur des gens qui m’ont fait confiance à 200% et supporté mes choix artistiques même avec des licences déjà bien établies comme Pop ou Rainbow Six. J’ai pas de frustration mais des périodes qui me terrifient comme celles où il faut soritr la serpette et tailler dans le gras de tout ce qui a été crée, couper des map entières, optimiser le contenu, foutre à la poubelle des systèmes de gameplay, des choses sur lesquelles des gens ont mis leur savoir faire, leur temps. C’est souvent lié à des contraintes de temps ou de technique, et c’est ça qui fait mal, ça n’a rien à voir avec la qualité de tel ou tel élément. Aller dire à un artiste que tel personnage ou tel environement ne sera pas dans le jeu final c’est pas glop pas glop…

okami.jpg
L’incroyable, le merveilleux, le fantastique Okami.
Faire des jeux vidéo, c’était mieux avant ?

Non faire des jeux video c’est toujours aussi bien ! Mais si tu veux que je fasse mon Cabrel, j’ai débuté ma carrière dans l’industrie l’année où le premier DOOM est sorti, et comme tous ceux qui ont debuté dans les années 90 j’ai vécu la naissance des genres majeurs du jeu video et y’avait une avidité a grapiller la moindre info, la moindre vidéo sauvagement compressée, une vraie excitation dans la découverte de nouveaux genres de jeu et de nouvelles technologies. Là on arrive à la fin du cycle des consoles de cette génération et c’est plutôt la tendance « more of the same ».
Mais il arrive encore que des studios sortent de petits bijoux comme Okami sur PS2 quasiment au même moment où la PS3 était lancée. Et ça : c’est bien.

Parles nous d’un ou de plusieurs de tes projets que t’aurais aimé sortir mais que tu n’as pas pu suite aux refus des éditeurs ou autres soucis. Parait que chaque créateur a au moins un projet maudit de ce type dans son baluchon, donc voilà, frustre nous de ne jamais pouvoir y jouer je t’en prie… D’ailleurs avec le recul t’en penses quoi de ce(s) projet(s) qui reste(nt) dans les cartons et de ce qui les y fait rester ?

BladeRunner.jpg
Blade Runner a la particularité d’avoir une ambiance extrêmement travaillée et crédible.
Alors, attention, séquence nostalgie ! En 1993 je rejoins un petit studio de jeu vidéo parisien appelé Virtual Xperience qui commençait juste à travailler sur un jeu cd-rom PC : Atripolis 2097, une très petite équipe, avec beaucoup d’ambition, beaucoup d’engueulades (!) mais tous ultra passionés et travaillant jour et nuit. La production était presque à son terme quand la societé qui nous finançait a fermé le robinet faute de fonds et c’est rageant quand tu arrives presque au bout de tes peines et que tu te retrouves a sauvegarder ton travail et mettre tes affaires dans un carton. L’équipe était si petite que je me suis retrouvé en charge de tous les décors, co-écrit les dialogues, co-écrit le scénario, realisé les cinématiques (y avait 1 heure de scènes cinématiques avec dialogues et tout !), bref j’étais assez investi dans le projet. Y’avait une ambiance très Blade Runner dans le jeu, tu évoluais dans une megacity futuriste incarnant un flic qui aurait pu etre le fils spirituel de Rick Deckard et Fox Mulder, y’avait de la conspiration, des extraterrestres deguisés en humains et des sentinelles arachno-droide. Avoue que ca fait envie !

Vis-à-vis de ton expérience, t’aurais quoi à donner comme conseils à un gars qui part de zéro, les poches vides, et qui se lance dans le Game Design avec dans son sac plein d’idées et d’ambition ?
C’était pas le cas quand j’ai debuté dans ce métier mais maintenant tu peux trouver pas mal d’écoles ou d’universités qui ont des formations clairement orientées jeux vidéo et qui dès le départ propose des spécialisations en game design, le petit plus c’est que souvent le cursus se termine par la réalisation d’un mini jeu ou d’un prototype. C’est très pratique pour montrer quelque chose de concret à un potentiel employeur.
Tu peux aussi rentrer par la petite porte en tant que testeur et montrer ton intérêt pour le jeu en essayant d’apporter tes propres idées lors de certaines phases de test, avec un peu de chance tu te feras remarqué et tu pourras gravir les échelons mais ça dépend vraiment des studios, certains sont très hermétiques à des avis qu’ils considèrent « extérieurs » au core team, donc ça peut être un processus de très longue haleine.
Travailler sur un Mod, c’est bien mais ça concerne plus le level design que le game design parce que la plupart du temps tu vas travailler avec des contraintes et des systèmes déjà existants.

Est-ce que les jeux qui t’ont marqués en tant que joueur sont les mêmes qui t’ont impressionnés en tant que créateur ?
Je ne séparerai pas les deux par le simple fait que ce qui m’impressione en tant que créateur me procure une expérience unique en tant que joueur. C’est le travail d’une équipe, le génie de ceux qui ont travaillé sur ces jeux qui génère de telles expériences.
On pourrait argumenter sur la technologie utilisée, la puissance des machines, alimenter la gueguerre des consoles mais au final tout repose sur le génie créatif des personnes qui se sont investis. J’aime les jeux qui ne mettent pas trop en avant la technique comme Katamari Damacy, LocoRoco, Flower ou même Little Big Planet où le concept est vraiment excellent et en meme temps j’aime les grosses productions où tu t’en prends plein la gueule plusieurs heures d’affilée, t’arrives au générique de fin et tu te dis que tu viens de vivre un truc de malade.

metal-gear-solid-3-snake-eater.416661.jpg
MGS : Snake Eater aura visiblement beaucoup marqué Olivier.
GTA San Andreas, pour la quantité de contenu offert juste pour l’histoire principale et la quantité d’easter eggs qu’ils ont encore reussi à placer dans les 3 énoooormes maps et bien sûr l’humour.
Uncharted 1 et 2 pour le coté film d’aventure bien second degrès où tu aurais décroché le rôle principal. Mais la grosse claque pour moi et j’ai pas encore réussi à trouver un autre jeu à la hauteur, ce fut Metal Gear Solid : Snake Eater. Tu commences le jeu, tu joues deux bonnes heures histoire qu’on t’apprenne les nouveaux éléments de gameplay, ton ex boss te trahis et te laisse pour mort au fin fond de la jungle et là… générique de jeu facon James Bond… suivi de 20 autres heures de jeu, avec des bastons de boss complètement malades, une histoire excellente, des tactiques d’inflitration, des guns et des gadgets bien cools et plus encore. Je l’ai fini une premiere fois et rejoué entierement en mode difficile quand Subsistence est sorti… oui j’adore ce jeu 🙂
Après j’ai mes coups de coeur : Ico, Okami, FFIX, Silent Hill 3, Bayonetta, Madworld, Flashback… tous parce qu’ils présentent un univers et un traitement vraiment particulier.

brink.jpg
La D.A. de Brink, que l’on doit donc à Olivier, se démarque vraiment des sempiternels photo-réalisme et cell-shading.
Pour te poser au moins une question un peu plus classique : Parle nous de tes projets à venir et/ou des idées que tu aimerais explorer, lâches toi.
Ha… question sensible quand tu travailles dans une industrie si compétitive et où tu ne peux ouvrir la bouche à cause des NDA signées.
Mais je peux te dire que je compte poursuivre ce que j’ai entrepris sur Brink, pousser la stylisation, le traitement de l’image dans des directions très différentes. Je n’en dirai pas plus pour l’instant !

Enfin, que penses-tu de Polygamer ? As-tu des idées pour que l’on s’améliore, des suggestions, des trucs ou des machins ?
Je trouve le site vraiment bien, le ton humoristique, le coté BD, il faut garder ça, ça me fait un peu penser à Joystick d’avant le rachat par Future. D’ailleurs vous devriez faire une plus grande place au Kikirama et mettre plein de dessins partout en rapport à votre actu, sur les tests, les articles, les news etc… Je sais qu’il y en a déjà sur le site mais pas assez a mon goût… A l’époque Joystick avec les pingouins, y en avait partout, c’était de l’humour assez absurde mais ça partait toujours d’une news, d’un fait divers, etc… Ca serait bien de truffer tes pages de ces petits inserts BD…

7 Commentaires
Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *