GTA et le sexisme

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D’un côté comme de l’autre, le débat est souvent caricatural et faussement argumenté. Suffisamment en tout cas pour m’avoir donné envie d’en parler.

Mise en bouche

Tout d’abord je tiens à dire que je ne me positionne dans cet article ni comme l’avocat du diable, ni comme celui de l’accusation. Je souhaite simplement brièvement analyser à travers les épisodes principaux de la saga Grand Theft Auto le sexisme qui gravite autour, et les possibles évolutions (ou non) des titres à ce sujet jusqu’à GTA V dernièrement sorti.

La première chose à comprendre dans les GTA, c’est qu’il s’agit d’un univers satirique et parodique, qu’aucun personnage qu’il soit masculin ou féminin n’est foncièrement sain. Ce qui fait la qualité d’écriture de Rockstar c’est aussi son humour corrosif, ils excellent dans l’outrance, dans les personnages fêlés, cinglés, tarés, et dans toutes leurs exagérations. Là-dessus, tout le monde est logé à la même enseigne. On ne peut pas accuser Rockstar d’avoir fait de tel personnage féminin une pauvre folle en revendiquant à ce titre un sexisme de leur part : tous les personnages sont fous.

La deuxième chose à comprendre et qui est toute aussi importante, c’est que la saga GTA s’inspire et reprend les codes des histoires de gangsters, principalement celles du cinéma. Un milieu (le gangstérisme) particulièrement peu connu pour sa partialité envers les femmes. Souvent reléguées à des rôles peu enviés. On peut reprocher au développeur de n’avoir que peu souvent chercher à briser ces codes, c’est vrai, mais je ne suis pas certain qu’on peut particulièrement leur en vouloir de les reprendre non plus. Je creuserai ça plus bas.

Grand Theft Auto III et le sexisme

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Catalina.
GTA III a pour particularité d’avoir pour antagoniste principal une femme. Catalina, ex petite amie et ex complice de crimes du héros Claude. Elle le trahira après un braquage en commun en le laissant pour mort, fera partie du Cartel Colombien de Liberty City et sera une des dernières grosses oppositions à laquelle on sera confronté à la fin du jeu. Il s’agit d’un personnage fort et charismatique. Les personnages féminins de GTA III sont peu nombreux et leurs apparitions sont assez partagés niveau intérêt réel. Misty est très sexualisé (en gros, c’est une pute qui bosse pour divers chefs de clans et pour qui on fait le chauffeur) et Maria Latore, femme du Don, oscille entre la courge que l’on doit divertir, la pseudo amie qui nous met dans la merde et la princesse à sauver. Reste Asuka Kasen, co-leader des Yakuzas, qui nous donne plusieurs missions comme n’importe quel personnage de clan important rencontré le fait.

GTA III a de sexiste qu’il propose une sous-représentation de la femme par rapport aux personnages masculins. Mais en soi, il serait faux et exagéré de considérer qu’elles ne servent qu’à des fins sexuelles ou stupides. Le souci vient justement du fait que proportionnellement, étant donné le peu de femmes dans le jeu, elles sont moins bien écrites.

Grand Theft Auto : Vice City & San Andreas et le sexisme

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Candie Suxxx
Avec ces deux spin-off se déroulant dans des époques antérieures à GTA III (qui se déroule au début des années 2000), on a caractéristiquement les GTA les plus sexistes qu’il soit. Vice City parodie le Miami des années 80 que représentait la série Deux flics à Miami et surtout le Scarface de De Palma (le jeu va jusqu’à en reprendre presque trait pour trait quelques scènes). Pour rappel, dans le long métrage mythique on assiste à l’ascension dans le Milieu d’un immigré cubain où la représentation féminine se résume à des meufs aux mœurs légères, une femme mi fatale mi molle qui aime surtout les types dangereux et macho et le pognon, une mère dépassée et une sœur avec qui il entretient un rapport tellement surprotecteur que ça en devient malsain. Pas le meilleur exemple pour mettre sur un pied d’égalité la femme et l’homme dans le jeu de Rockstar. De mémoire, seule Candie Suxxx sort du lot et c’est une actrice porno (l’industrie étant à l’époque en pleine essor) doublée d’une prostituée. Il devait y avoir une intrigue amoureuse avec Mercedes mais un grand nombre de dialogues ont finalement été coupés et le personnage n’est qu’anecdotique.

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Catalina et son nouveau petit ami dans San Andreas.
Quant à San Andreas, il s’agit d’un hommage Rockstaresque au gangsta, le jeu se déroulant en Californie durant les années 90 en plein ghetto noir. Le gangsta rendu célèbre par le mouvement rap du même nom qui met en scène les femmes avec un minimum de vêtements et un minimum de vertu. Ce n’est à nouveau pas le meilleur moyen d’éviter d’être taxé de sexistes. Il y a beau y avoir tout le passage aux côtés de l’inénarrable Catalina, on ne se souviendra pas d’un perso féminin réellement imposant.

Pour ces deux épisodes (accessoirement parmi les meilleurs de la série), doit-on en vouloir à Rockstar de donner une image aussi peu reluisante à la femme ? Le côté hommage complètement flagrant et hyper immersif des deux périodes mentionnées mérite d’alléger un peu des accusations que l’on peut légitimement faire mais qui concernent avant tout la période et la mouvance approchée. Raison pour laquelle je peux comprendre que certains s’offusquent lorsque d’autres voudraient changer l’âme de ces jeux. Oui ils sont sexistes mais c’est toute la période approchée qui l’est et en ce sens la satire est fidèle. Rockstar aurait sans doute pu faire quelques scènes un peu plus burnées pour dénoncer le sexisme ambiant avec l’humour qu’on leur connait mais ils étaient sans doute encore un peu trop inexpérimentés dans leur écriture. Est-ce qu’une femme peut apprécier le film Scarface de l’époque ? Est-ce qu’une femme peut apprécier les albums de Tupac de l’époque ? Pourquoi ne ferait-on pas la même chose avec GTA ?

Grand Theft Auto IV et le sexisme

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Kate McReary.
Dans GTA IV les femmes sont toujours moins représentées que les hommes, mais, dans la lignée de GTA III, elles ne sont pas toutes réduites à servir de garage à bites ou de pots de fleurs. Les personnages féminins sont beaucoup plus nombreux que dans les épisodes précédents, suffisamment pour ne pas pouvoir tous les citer ici (suffit de rejouer ou de fouiner dans le wiki du jeu sur le net). On retiendra Elizabeta Torres par exemple, trafiquante de drogue, et à la hauteur fêlée et charismatique de n’importe quel autre personnage du jeu. Ou encore Michelle qui d’apparence facile et sans intérêt, rendez-vous arrangé du cousin de Niko (Michelle étant l’amie de la copine de Roman), est en fait un agent sous couverture du gouvernement. Son vrai nom est Karen et elle fera une apparition dans GTA V. N’oublions pas Kate McReary, sœur d’une famille de voyous irlandais et un des très rares personnages de la saga GTA à n’avoir rien à se reprocher. Elle flirtera avec Niko sans jamais s’offrir après une sortie arrosée ou non. C’est l’intrigue amoureuse du jeu, dont l’empathie se mesure selon votre choix de la fréquenter ou non, pour un final du jeu mémorable. Le sexisme de GTA IV n’est pas juste proportionnel au nombre de femmes par rapport aux hommes, même s’il y a une évolution flagrante. Là où certains trouvent à redire vient du fait que l’on peut sortir avec des femmes et coucher avec, ces personnages, sans intérêt, étant strictement là pour ça, à l’inverse d’amis avec qui on sortira et qui offriront des services utiles si l’entente est bonne. Seule Kate McReary a une dimension sentimentale plus que sexuelle justement parce qu’elle ne couche pas. Vous me direz, c’est un peu le cycle de la vie. Il y a des filles avec qui on couche et on ne s’y attache pas spécialement, jusqu’à rencontrer la bonne. Et l’inverse est pareil, ça fonctionne de la même façon chez les filles. Si Niko était une femme on serait sorti avec des mecs avec qui on aurait couché et qui serait juste là pour ça. Et personne n’aurait sûrement rien trouvé à redire. Oui mais justement, ce n’est pas le cas, Niko ni aucun personnage principal de GTA n’est une femme (j’y reviendrai).

Grand Theft Auto V et le sexisme

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Amanda De Santa.
GTA V est l’épisode le plus récent et d’entre tous il est l’épisode disposant du plus de personnages féminins d’importance. En ce sens c’est encore une évolution. Les rôles secondaires féminins marquants sont nombreux et tiennent plus ou moins droit les personnages principaux, la femme de Michael, sa fille, la tante de Franklin, son ex petite amie (qui a un rôle m’ayant touché niveau écriture bien qu’essentiellement basé sur des échanges textuels, je regrette que l’histoire n’ai pas plus d’importance mais c’est toute l’écriture du jeu qui est mal foutue de toute façon), même la mère de Trevor, que l’on voit seulement pendant quelques secondes lors d’une mission bonus à la toute fin du jeu, est haute en couleur. Cependant, il pourrait y avoir exactement le même nombre de personnages féminins que masculins dans un GTA, il y aura toujours quelque chose qui divisera…

Grand Theft Auto et les filles faciles

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Scène de strip dans GTA V.
Qui dit gangsters dit filles faciles. L’un ne va pas sans l’autre dans les codes si identifiables du gangstérisme (le noyau dur de chaque scénario d’un épisode de GTA, rappelons-le). C’est triste et logique à la fois. Critiquable et justifiable à la fois. C’est sûrement sur cet état de fait que la saga GTA est la plupart du temps jugée (sinon pourquoi jeter la pierre sur GTA ? Les 3/4 de nos jeux vidéo sous représentent la femme.). Je trouve simplement regrettable que le fait de pouvoir aller aux putes et pour le dernier épisode de pouvoir « draguer » des strip-teaseuses soit l’un des principaux arguments du féministe pour dénoncer le sexisme de la saga. Cette possibilité des jeux est facultative, on peut tout à fait jouer sans jamais aller voir ces dames (ni se payer un strip dans GTA V). La saga sera toujours réduite à ça peu importe le nombre de personnages féminins d’importance dans le scénario. Pourquoi GTA n’est pas accusé d’être raciste alors que j’ai aussi la possibilité de ne tirer que sur des PNJ d’une certaine couleur de peau si j’en ai envie ? C’est le propre du jeu en monde ouvert, laisser la liberté, le choix. Et même quand c’est amoral parce qu’il s’agit d’un GTA. Mais si GTA n’est pas considéré comme raciste c’est parce que d’un personnage principal à l’autre, d’un épisode à l’autre, le héros a des origines différentes.

Une héroïne dans Grand Theft Auto

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Avatar féminin dans le GTA Online de GTA V.
Et le héros dans GTA reste un héros, jamais une héroïne. Si Rockstar souhaite un jour mettre tout le monde d’accord, s’ils veulent prouver qu’ils ont des couilles comme je le disais dans ma nalyse de GTA V, s’ils veulent montrer au monde entier qu’ils sont parmi les meilleurs en termes d’écriture, c’est ce qu’ils doivent faire. Les histoires de gangsters sont profondément ancrées dans le machisme mais aujourd’hui, la satire sociale et politique sont presque aussi importantes dans la saga GTA. Les auteurs, Dan Houser en tête, seraient parfaitement capables de se libérer des références habituelles pour pondre quelque chose de particulièrement burné. Une femme gangster, victime de sexisme comme peuvent l’être au quotidien un peu n’importe quelle femme mais accentué façon GTA. Trash, drôle, socialisé, politisé, parodique, satirique. De quoi mettre un bon coup de latte à la vision réductrice qu’ont bons nombres de personnes sur GTA et sur les jeux vidéo au sens large. Mais est-ce que Rockstar le fera un jour ? Là est toute la question. GTA Online propose bien d’incarner un avatar féminin, ce n’est probablement pas un côté sectaire qui retient les développeurs jusqu’ici…

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