Deadly Premonition, what else ?

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Deadly Premonition. Si ce jeu ne vous dit rien, cette critique est faite pour vous.

Merci Roger

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La belle Anna fait son Jésus malgré elle dans la scène d’ouverture du jeu.
Roger, mon ami, tu m’accompagnes tous les jours dans ma tête quoique je fasse, et je suis le seul à te connaître. Peu importe, tu es de très bon conseil, tu m’as chaudement recommandé Deadly Premonition ce pourquoi je le surveillais depuis sa sortie en octobre dernier. Les mois ont passés, la presse française l’a globalement zappé la faute à un distributeur étranger radin, il ne bénéficie d’aucune promo, et pourtant les gamers au détour de forums très fréquentés l’encensent et l’adulent. Roger, tu as flairé une pépite qui sans aucun tapage médiatique arrive à s’être écoulé à des centaines de milliers d’exemplaires. Evidemment ce ne sera probablement jamais un million-seller même si la critique se sort les doigts du cul et achète le jeu tout en le jugeant de façon moins manichéenne et standard qu’à l’accoutumée (ahem…). Mais tu es un génie Roger, tu sais que le grand public s’arrêtera net au commercial et ne prendra pas la peine de s’intéresser à ce qui est pourtant incroyable. Peu importe, les gamers, eux, ne se trompent jamais et pour eux Deadly Premonition est déjà culte. Oui Roger, tu as raison, pour nous aussi. Et pourtant c’était mal barré, développé au fin fond du Japon par un très modeste Access Games (Spy Fiction sur PS2) et dirigé par un certain SWERY (illustre inconnu). On a connu mieux comme départ encourageant, d’autant que Deadly Premonition n’est pas un jeu qui fait envie à la vue de screenshots ou de trailers…

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Et autant le dire tout de suite, il pleut souvent dans ce bled pourri…
Un meurtre a été commis à Greenvale, une petite bourgade forestière du nord ouest américain en apparence tranquille. Une jeune femme est retrouvée morte nue. L’agent spécial du FBI, Francis York Morgan, envoyé sur place pour démasquer le coupable, mène l’enquête avec le soutien du shérif local. Leurs investigations les amènent à révéler au grand jour les sombres secrets des uns et des autres. Pendant ce temps, d’inquiétants phénomènes se produisent…
Ce synopsis, Roger, est celui de Deadly Premonition. Et si tu remplaces « Francis York Morgan » par « Dale Cooper » et « Greenvale » par « Twin Peaks », tu as là le synopsis de la série télé culte éponyme à la bourgade dans laquelle elle se déroule, créée par David Lynch et Mark Frost en 1990. Amusant non ?

York au panthéon des héros de jeux vidéo

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Zach, nous quoi, a parfois un choix à faire sous l’interrogation de York, concernant les prochaines minutes. Ca peut être d’aller boire un coup avec l’adjointe du sherif ou de dire qu’on a autre chose à faire par exemple (vous devinez ce que j’ai choisi).
Ce dont je veux absolument parler en premier Roger, c’est de Francis York Morgan, le héros du jeu qui aime se faire appeler tout simplement York. Balafre sur la gueule qui attire l’attention, yeux bleus perçant, costumes ringards, des tics et des tocs à la pelle. York se tapote l’index contre la poitrine lorsqu’il réfléchi, il fume comme un pompier, se présente systématiquement de la même manière aux gens en tendant fièrement son insigne du bureau fédéral, lorsqu’il s’exclame il lève son index en l’air. Il est antipathique aux yeux des autres parce qu’il n’a pas vraiment de tact, il est hors des cases, déconnecté et très cohérent à la fois, allumé, persévérant, et surtout malin comme un singe. Il vit dans son monde, un monde où il lit l’avenir dans un bon café, un monde où il est frappé de visions lorsqu’il trouve un indice, un monde fait sporadiquement d’hallucinations et de rêves étranges, bien entendu tous deux jouables… Mais surtout, York a un ami imaginaire mon vieux Roger ! Le sien s’appelle Zach.

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Les auteurs sont de véritables cinéphiles.
Véritable trouvaille de game design, cet ami invisible à qui il s’adresse presque sans cesse, et qui le fait sans doute passer pour un taré fini aux yeux des autres personnages, rend totalement complice le joueur et lui donne un maximum d’empathie envers York malgré ses piètres et peu nombreuses animations qui se battent en duel. Il faut dire qu’on peut finalement faire un rapprochement certain entre cet ami imaginaire et nous, joueur, même s’il a une explication scénaristique. York nous fait parfois participer directement par l’intermédiaire de Zach en lui demandant, par exemple, de lui rappeler quels indices ils ont trouvé ensemble les heures passées pour faire le point sur l’enquête, ça ne trompe pas sur les intentions du game design. Lorsqu’un personnage lui dit que c’est dangereux d’y aller seul, il répond qu’il n’y a aucun problème car Zach est avec lui. Lors des trajets en voiture qui s’éternisent un peu, York rappelle de bons souvenirs de sa vie passée à Zach, lui fait un quizz cinéphile (de notre vrai cinéma à nous et qui plus est pas de la petite référence commerciale de merde), ou lui parle de ses goûts en matière de musique punk… Oubliez les déambulations solitaires où vous incarnez un tas de polygones sans histoire, sans vie, sans humanité. York a toujours quelque chose à nous dire qui va renforcer à nos yeux son crédit en tant que personnage existant réellement. Roger, j’ai trouvé cette idée tout bonnement fantastique puisqu’elle donne un réel volume au héros que l’on dirige, on a parfois presque envie de jouer une vieille enquête d’agent du FBI qu’il raconte, il n’est pas une coquille vide comme de très nombreux héros de jeux vidéo, on s’immerge dans son univers grâce à lui et on s’attache ! Et on se marre lorsqu’il met soudainement son index et son majeur contre sa tempe pour faire un commentaire à Zach (donc à nous) au beau milieu d’une conversation avec d’autres personnages. Fabuleux !

Référencé

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La map ingame ne sert à rien, il faut consulter celle dans le menu pour y voir plus clair et elle n’est pas non plus très pratique…
Deadly Premonition est blindé d’idées Roger, tu le sais. Des idées parfois propres à lui-même comme on vient d’en citer et d’autres qui s’inspirent d’autres jeux ou de médias culturels différents comme, entre autres, Twin Peaks donc. Alan Wake vient d’ailleurs naturellement à l’esprit en jouant puisqu’il s’inspirait lui-même de la série. Les deux jeux partagent un même type de décor, un découpage en épisodes, et une aventure très scénarisée qui oscille entre action-aventure et survival-horror. Si le jeu de Remedy avait au moins le triple de budget, le petit poucet d’Access Games est paradoxalement beaucoup plus ambitieux et lui met par ailleurs une bonne tarte dans la gueule. Se déroulant dans un monde ouvert, on nous renvoie à Shenmue lorsqu’on s’aperçoit que chaque PNJ a sa propre routine d’I.A. qui leur donne un emploi du temps précis du levé au couché, chacun son métier, sa maison, ses hobbies (on pourra même aller les épier dans leurs maisons en regardant par la fenêtre). Egalement Shenmuesque, l’aventure se déroule en temps réel, on aura donc le loisir entre deux rendez-vous de glander (pêche, fléchettes, bar etc), de discutailler librement avec la populace et même d’obtenir des quêtes secondaires (majoritairement syndrome Casimir, mais qui offrent des récompenses). Le temps réel permet également de gérer le sommeil et la faim de York, car oui il doit dormir et manger, deux détails que SWERY a tenu à intégrer au détriment de son équipe qui n’en voulait pas. Je suis assez mitigé à ce sujet, ça permet d’avoir une immersion réaliste dans une vie virtuelle, de mettre en place un scénario sur plusieurs jours, ça c’est très chouette, mais en même temps on peut dormir en plein milieu d’une hallucination ce qui est très incohérent, tu ne trouves pas Roger ?

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N’oubliez pas de changer de costume et de mettre le sale au pressing si vous ne voulez pas que tout un essaim de mouches vous tourne autour.
En tout cas il suffit de se griller une clope pour accélérer le temps et directement accéder à l’heure du rencard, ils ont pensé à tout et de façon amusante. Le fait d’avoir une barbe qui pousse elle aussi en temps réel et un costume qui se salit (on le voit juste par des mouches qui volent autour de York) donnent en plus un autre petit côté vraie vie plaisant. La gestion de l’essence, des clignotants, des essuies glaces et des dégâts (par jauge, pas directement de visu) en bagnole est par contre assez tarte même si rigolo 3 secondes, je ne sais pas quoi en penser. De leur côté, Les hallucinations oscillent entre un Silent Hill pour le côté « parallèle » et un Resident Evil pour les phases de shoot « je tire sans bouger » (sur des fantômes zombies bizarres qui ne savent pas ouvrir les portes). Des phases de tir que l’éditeur a tenu à faire implémenter contre l’avis des développeurs, pour des raisons commerciales, à la Eidos Vs Quantic Dream époque Nomad Soul (idiotie sans nom, DP n’étant de toute façon pas commercial). Vraiment pénibles (connard d’éditeur), ces phases peuvent être heureusement parfois écourtées grâce à une autre idée : retenir sa respiration en gérant une jauge (et passer inaperçu auprès des monstres).

Une question de sensibilité

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Une idée de mise en scène très sympa mais réutilisée au moins trois fois.
Mais par-dessus tout, ce qui tient vraiment en haleine dans Deadly Premonition c’est son scénario. Véritablement passionnant, inspiré (dans tous les sens du terme), on ne peut qu’avoir envie de connaître le fin mot de l’histoire qui nous balade de bout en bout comme un simple spectateur, toi compris Roger je le sais. Conjugués aux chouettes dialogues on est submergé de diverses émotions tantôt hilarantes, tantôt dramatiques, tantôt « mais c’est quoi ce délire de barge ? ». Chaque suspect potentiel est étrange, semble cacher quelque chose, et les indices récoltés aux fils des heures ouvrent plusieurs pistes jusqu’à ce que l’étau se resserre au bout d’une quinzaine d’heures de jeu complètement ouf (plus la fin approche plus c’est dingue). Une ambiance extraordinaire parfois bien servie par une mise en scène qui arrive à être culottée même si une bonne idée (découpage à la 24 déjà vu dans Fahrenheit par exemple) va être réutilisée plusieurs fois (la faute au budget certainement). Au passage, dans les nombreuses cinématiques et cette envie folle de mise en scène barrée à idées, on retrouve un peu de Metal Gear Solid (ou devrais-je dire de Kojima).

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Les phases de shoot sont parfois extrêmement pénibles.
Roger, je ne suis pas loin de crier au génie. Ce studio qui sort de nulle part, avec un budget restreint, et qui nous pond un jeu bourré de charme avec 12 000 idées à la seconde, un héros hyper charismatique, une ambiance folle, un scénario passionnant, le tout avec plus de couilles que bons nombres de studios réputés… SWERY est sans aucun doute un game designer à suivre. Oui mais voilà, là où le bas blesse c’est que si toi, moi et un paquet de gamers sauront apprécier Deadly Premonition à sa juste valeur, beaucoup d’autres personnes n’arriveront pas à s’y faire. La faute à un gameplay très rigide qui rappelle celui déjà vieillot de la saga Yakuza en pire (avec en plus le gameplay caisse/parpaing à la direction ultra sensible), de graphismes d’un autre temps qui ne seraient pas loin d’être médiocres même si le jeu était sorti il y a 5 ans, et d’animations tout juste dignes d’un mauvais marionnettiste (même si ça donne un côté parfois très amusant, je soupçonne même le studio d’avoir volontairement joué avec cet aspect)… Et si les graphismes et l’animation peuvent s’excuser par le manque d’argent, la raideur du gameplay est une tare typiquement inhérente aux productions japonaises (sauf exceptions d’envergures), curieux. Mais pour ma part Roger, j’ai du m’adapter à la force mentale durant le prologue et une partie de l’épisode 1 qui sont une entrée en matière assez pénible, et ce même au niveau du scénar’, avant de passer largement au dessus devant le génie qu’offre le reste.

Deadly Premonition met à l’épreuve votre sensibilité vidéo ludique. Pour vous un jeu doit être avant tout beau et très souple à jouer pour être bon, ou vous immerger et vous émerveiller grâce à son écriture et ses idées suffiront à ce que vous l’encensiez ? Roger et moi avons choisi et pour nous comme pour une belle poignée de gamers, il est déjà culte.

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